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Les Aides de camp de Napoléon et des Maréchaux

Depuis deux cent ans, l’épopée napoléonienne et sa Grande Armée ont suscité une importante production historiographique. Moins d’un an après la commémoration du bicentenaire du sacre de l’Empereur (du 2 décembre 1804), le dernier livre de Vincent Rolin a le mérite de perpétuer la tradition en nous faisant revivre un corps d’officiers peu étudiés, « oubliés parfois » mais pourtant si essentiel au fonctionnement des armées du Premier Empire : les aides de camp. Voici donc un ouvrage qui va sans doute faire plaisir à tous les curieux et passionnés des batailles de Napoléon à travers le parcours singulier et périlleux de ces « officiers de prestige ».

Un livre en « hommage à tous ces officiers de prestige »

Nous vivons une époque de production féconde de thèses, souvent sérieuses mais pas toujours, sur l’immense champ des « oubliés de l’histoire ». L’auteur, qu’on peut ranger dans la première catégorie, veut, en publiant ce livre, rendre hommage à ces « officiers de prestige » du Premier Empire, insuffisamment étudiés selon lui. L’ouvrage se décompose classiquement en trois parties : la première choisit d’étudier des généralités relatives aux aides de camp (organisation, uniformes, missions, relations qui les unissaient à leur chef, carrière militaire). Les campagnes principales de l’Empereur sont abordées, dans une deuxième partie, à partir des « mémoires » souvent émouvants de ces témoins privilégiés (Marbot, Lejeune, Rossetti, etc.). Enfin, dans une dernière partie, l’historien présente un outil biographique documenté, souvent commenté, mais peu facile d’emploi sur les principaux aides de camp de Napoléon et des maréchaux. On peut regretter l’absence de planches d’illustration, sur les uniformes par exemple, même si l’auteur a eu la bonne idée de mettre en couverture un détail du tableau exposé à Versailles La bataille de la Moskowa de Louis-François Lejeune (aide de camp du maréchal et ministre de la guerre Berthier) montrant un Murat magnifique dans ses atours, dominant avec panache le champ de bataille, et donnant des ordres à ses officiers, le doigt tendu vers le ciel. C’est Lejeune, encore lui, qui a dessiné à la demande de Berthier, excédé par leur « bigarrure », les uniformes « magnifiques mais fort peu discrets » des aides de camp après 1807. 

« Ils sont les épées, les yeux, les oreilles de l’Empereur et des maréchaux »

Militaires de formation, au fait des tactiques de leur état-major, leur première fonction était de transmettre des ordres verbaux ou écrits, en temps de paix ou de guerre. Leur rôle était crucial : « sans eux, les mouvements de troupes lors d’une bataille ou les déplacements d’une armée entière perdent toute cohérence ». Beaucoup périrent dans ce type de mission. Entre 1805 et 1815, Vincent Rolin comptabilise ainsi 185 aides de camp décédés ce qui en fait le corps d’officiers le plus périlleux de cette période. Pendant la Bataille de Wagram (juillet 1809), la division Boudet harcelée par la cavalerie autrichienne menaçait de désorganiser d’autres divisions françaises vers lesquelles elle se dirigeait. Il fallait donc l’avertir et l’en éloigner pour éviter une catastrophe. Masséna, à ce moment de la bataille, n’avait qu’un aide de camp disponible : son… fils Prosper Masséna. Survint alors l’infortuné Marbot, avec sa monture épuisée, à qui il confia l’ordre dangereux de transmettre le message. Ce dernier, fidèle à l’honneur militaire, s’acquitta de la mission mais sans pouvoir retenir quelques regrets devant son maréchal : « J’aurais dû me taire ; mais indigné d’un égoïsme aussi peu déguisé, je ne pus m’empêcher de répondre, et cela devant plusieurs généraux ». Masséna eut longtemps contre lui une « rancune tenace ». Il n’est pas inutile de préciser que son fils, par bravade ou fierté, décida tout de même d’accompagner Marbot. Ce geste ne manqua pas de plaire à ce dernier. C’est là l’originalité du livre de Vincent Rolin que de nous « raconter » les batailles de Napoléon à travers les témoignages souvent bouleversants de ces hommes. Hormis celle de Russie, on (re-)découvre ainsi que la campagne d’Espagne fut la plus pénible pour ces hommes. La peur était omniprésente à cause des attaques de la guérilla : ils craignaient de périr sous les coups des paysans espagnols, dans une mort solitaire et sans gloire au détour d’un chemin isolé ou d’être capturés et torturés...

Les aides de camp avaient par ailleurs d’autres fonctions, moins périlleuses : visiter des postes, établir des relevés topographiques (c’est le cas de Lejeune à Austerlitz), assurer des missions… d’espionnage (comme Astorg, chef d’escadron en 1811, envoyé par Clarke, ministre de la guerre, sur les côtes de la Manche pour « recueillir des renseignements exacts et détaillés sur la situation actuelle des îles de Jersey et Guernesey »). Une autre fonction, pas la moins désagréable, était de se comporter en « hommes du monde »… pendant les bals ou les fêtes : « ces derniers doivent alors se montrer les dignes représentants de celui qu’ils servent car la réputation de leur maréchal est en jeu ». Ce sont donc des officiers qui devaient être capables de remplir diverses missions, souvent dangereuses, suivant leurs aptitudes, et être disponibles à tout moment.

Le choix des aides de camp

Corps d’officiers créés sous l’Ancien Régime, ils connaissent sous la Révolution plusieurs modifications concernant leur effectif, leurs uniformes et l’évolution de leur carrière. Ils sont attachés à la personne de l’Empereur, d’un maréchal ou d’un général en chef. Les maréchaux ou les généraux pouvaient choisir eux-mêmes leurs aides de camp en rédigeant une demande écrite au ministre de la Guerre. La nomination se faisait par décret impérial. L’arrêté consulaire du 8 octobre 1800 (16 vendémiaire an IX) fixait pour le général de division trois aides de camp (un chef d’escadron ou de bataillon et deux capitaines ou deux lieutenants) et pour le général de brigade deux aides de camp (capitaines ou lieutenants). Après 1805, il n’était pas rare que les maréchaux soient entourés de huit aides de camp (adjudant commandant, colonel, chef d’escadron ou de bataillon, lieutenants et capitaines). Napoléon disposa jusqu’à douze officiers, divisés entre « aides de camp généraux » et « petits aides de camp » ces derniers étant attachés aux premiers. Leur nombre élevé a pu s’avérer « utile » pour remplacer les généraux tués au plus fort d’une bataille : ainsi, le général de brigade Jean Rapp a pu prendre la tête des grenadiers à cheval à Austerlitz en décembre 1805. 

Le statut d’aide de camp était prestigieux et de « jeunes officiers issus des grandes familles » n’hésitaient pas à briguer cet emploi. Ils composaient d’ailleurs l’essentiel du corps chez Berthier et Davout. Leur proportion était cependant plus réduite chez Masséna, Ney ou Soult plus ouverts aux officiers venant de familles populaires ou bourgeoises. De toute façon, il fallait avoir les moyens de la « charge » pour payer et entretenir les chevaux (et avoir les domestiques pour s’en occuper) si nécessaires pour ces hommes à la fois « grands voyageurs » et « grands cavaliers ». A la recherche d’abord de compétences militaires ou civiles, des officiers supérieurs pour s’assurer une fidélité à toute épreuve ou promouvoir des jeunes hommes qu’ils connaissaient personnellement n’hésitèrent pas à recruter à l’intérieur même de leur famille (le maréchal Davout engageant son frère Alexandre ou Grouchy, comme Masséna, son propre fils), de leur ville ou région d’origine.

Une fidélité à l’Empereur à toute épreuve ?

Après l’épique retour au pouvoir de Napoléon Ier, en mars 1815, source d’inspiration de la « geste » villepinienne aujourd’hui, les anciens aides de camp étaient alors partagés sur la conduite à tenir. Si Henry Letellier, aide de camp d’Oudinot, s’expatrie en Allemagne, Octave Levavasseur, attaché à Ney, ne cache pas ses doutes mais par fidélité à son maréchal rejoint le parti impérial. D’autres, comme le célèbre colonel La Bédoyère, renouvellent vite leur allégeance à l’Empereur. Voici ce que dit de lui Napoléon à Las Cases, à Sainte-Hélène, en 1816 : « La Bédoyère était éminemment français ; il fut guidé par les sentiments les plus nobles et les plus chevaleresques dans la démarche qu’il fit à Grenoble ; dévouement alors admirable, car tout était douteux ». Ce ralliement à Napoléon fit de Huchet de la Bédoyère un martyr de la Terreur Blanche au lendemain des Cent-Jours : il fut exécuté à Paris le 19 août 1815. Le comte Bertrand, Montholon et Gourgaud, aides de camp de Napoléon, suivirent ce dernier à Sainte-Hélène. Pourtant, la parenthèse de l’épuration passée, la plupart des anciens aides de camp du Premier Empire purent poursuivre une vie militaire ou civile : « certains continuent de s’illustrer dans l’armée sur de nouveaux champs de bataille, en Afrique par exemple, d’autres ont entamé une carrière politique comme député ou sénateur, et d’autres enfin goûtent une retraite méritée ».

Mourad Haddak

Vincent Rolin, Les Aides de camp de Napoléon, Editions Napoléon

Tag(s) : #Repères Consulat et 1er Empire
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