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Portrait du jour : Emilie Laget, l’écrivaine qui sonde l’âme et l’histoire

"Covid 19" n'aime pas le sourire de nos portraitistes du jour et c'est tant pis pour lui... "Culture et Justice" néanmoins reçoit avec infiniment de bonheur Emilie Laget , l'écrivaine qui sonde l'âme et l'histoire.

Emilie Laget est étudiante en psychologie. A seulement 22 ans, elle signe déjà son second roman La Femme de Mercure 

Nous avons demandé “au plus beau sourire de Nîmes”, la romancière Anne Combe de réaliser l’interview d'Emilie Laget .

Bienvenue Emilie sur le très prisé et discret "Culture et Justice". Ph P

 

 

Emilie Laget, l’écrivaine qui sonde l’âme et l’histoire

Étudiante en psychomotricité, Émilie Laget est aussi une romancière au style déjà bien affirmé, empreint de sensibilité, qui questionne l’Homme et le passé avec beaucoup de délicatesse, entre doute et conviction. A seulement 22 ans, elle signe un magnifique second roman sur la passion amoureuse, en plein cœur de Paris, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. à mi-chemin entre l’histoire et la psychologie. La Femme de Mercure  est une réussite littéraire qui touche notre âme et nous invite à réfléchir, entre autres, sur la relation amoureuse, l’amitié, la liberté, le désir ou encore le processus créatif (à travers le personnage principal, Édouard de Brosac, qui rêve de devenir écrivain).

Le style très riche, adapté à l’époque historique, les nombreuses références aux événements politiques, la qualité des passages descriptifs et surtout la profondeur de réflexion de cette jeune auteure donnent toute sa saveur à ce roman qui nous emporte dès les premières pages.

Écrit avec une grande maturité, ce joyau littéraire nous livre une à une ses multiples facettes et nous plonge dans une époque historique fascinante : le Paris des années 30.

Entretien avec une auteure passionnée qui nous fait voyager dans le temps et au cœur de nos émotions.

Anne Combe : Émilie, en te lisant, on découvre un univers sensitif très riche, plein de poésie, de références historiques et cultuelles, et l’on sent un regard très fort, le tien, sur ce qui nous lie les uns aux autres. Quel est ton parcours ? Quelles sont tes influences littéraires ?

Emilie Laget : J'ai eu un BAC littéraire et fait des études de psychologie et de psychanalyse avant de me tourner vers la psychomotricité.

Mon influence littéraire majeure est Alfred de Musset et plus largement la période romantique du début du XIXe siècle. L'exaltation des sentiments, la profondeur psychologique des personnages, le retour aux humanités, le lyrisme sont des éléments auxquels je suis sensible. Je suis attachée à la sonorité d'une phrase, à sa justesse, jusque dans l'étymologie des mots qui la composent. J'aime la musique qui se dégage d'un texte, aussi c'est ce que je me suis employée à faire ressortir dans ce roman. Je voulais que ce soit comme une grande poésie, forte de métaphores et de rêveries, comme une balade douce qui emporte le lecteur dans le tourbillon de 1936.

Ce sont les textes de Musset qui m'ont fait comprendre pourquoi j'aimais tant la lecture et l'écriture. Ils ne m'ont pas fait commencer à écrire pour autant, puisque j'ai toujours écrit ; j'inventais même des histoires avant d'apprendre à écrire ! Ainsi, je ne pourrais pas citer de livre qui m'aurait donné envie de sauter le pas ; je peux cependant dire que tous ceux que j'ai lus et qui m'ont touchée m'ont donné envie de continuer. J'ai d'autres inspirations comme Hugo, Camus, Zola pour la puissance de leurs engagements, Pagnol pour la simplicité de ses textes qui leur confère une grande beauté, Dumas pour les aventures de ses romans, Emily Brontë pour la complexité de ses personnages… et tant d'autres encore. Mes influences sont multiples, se mélangent, même si elles semblent antagonistes. Toutefois celle qui prédomine, c'est celle de Musset.

A.C. : Qu’est-ce que ce qui te donne envie d’écrire sur un sujet en particulier ?

E.L. : Ce qui me donne envie d'écrire sur un sujet est le sentiment qu'il me provoque. Quelque chose qui me touche est un sujet qui m'intéresse forcément. A mon sens, on ne peut faire passer des émotions à un lecteur si on ne les a pas nous-même ressenties au préalable. Avec l'écriture, on ne peut pas tricher. Soit on s'y abandonne, soit non, mais alors la qualité de l'écrit s'en ressent obligatoirement. J'ai toujours l'ambition de transmettre un message, une réflexion à travers un récit. Je pense que l'intérêt d'écrire ne réside que dans cela. L'art dans son ensemble doit venir interroger tout ce qui nous entoure, aborder les questions qui n'auront sûrement jamais de réponses mais qu'on doit se poser quand même, s'intéresser à des thèmes inhérents à l'humanité, apporter un axe de réflexion, un point de vue nouveau sur un sujet. Un bon livre est celui qui transmet un message qui fait écho en nous. C'est cet écho qui fait le lien entre l'écrivain et son lecteur.

Dans ce roman, j'ai abordé les passions quelles qu'elles soient : la passion de l'écriture, la passion amoureuse, l'amitié, les relations familiales. Ce sont des sujets universels, des questions encore sans réponses : le talent est-il inné ou acquis ? L'amour est-il synonyme de liberté ? L'amitié peut-elle nous tromper ? Est-on obligé d'aimer ou d’être en contact avec sa famille ?

A.C. : Tu as pris pour personnage principal un homme, ce qui est assez surprenant pour une romancière.

Pourquoi ce choix ? Qu’est-ce que cela t’a appris sur toi ? Quelles ont été tes difficultés éventuelles ?

E.L. : J'ai choisi d'écrire cette histoire à la première personne du singulier, sous le prisme d'un jeune homme, afin de sortir de ma zone de confort. Que pense un homme ? Comment réagit un homme ? Comment se comporte-t-il avec ses pairs ? Comment réfléchit-il sa place dans la société ? Mais ce qui était le plus intéressant encore, c'était de transposer cet homme dans un contexte historique trouble, et de le confronter à des visions différentes de la sienne. Édouard, au début du récit, est comme un enfant. Le monde et ses idées liées au monde sont préconçues. Elles ne peuvent être remises en doute. Ce qui est intéressant, à mon sens, c'est la façon dont va évoluer un personnage. En vérité, je ne me suis pas d'abord dit que j'allais choisir un homme pour changer, me mettre en difficulté, mais parce qu'il était le personnage qui devait évoluer. Rachel et Raphaël sont déjà construits. Ils savent qui ils sont et où ils vont. Qu'importe que cela soit moralement acceptable ou non. Édouard, lui, se cherche. Il veut écrire, mais ne sait pas par où commencer. Il est en manque d'affection et doute cruellement de lui-même. Il doit trouver le déclic qui lui permettra de devenir adulte, de s'émanciper.

De plus, via ce personnage, je me suis amusée à donner un coup de pied dans la fourmilière de la masculinité et de la virilité, puisque le personnage d’Édouard n'est absolument pas l'archétype de l'homme tel que la société le conçoit. Il est fragile, sensible, naïf, pudique et vierge. A contrario, Raphaël est le Don Juan aux multiples conquêtes, charismatique, affirmé et désinvolte. De même que Rachel est libre, inconventionnelle, provocatrice et indépendante. Les personnages de Rachel et Raphaël émergent de leurs différences avec Édouard. Et ce sont ces différences qui sont intéressantes, car tout au long du récit, Édouard essaie de les trouver et de les comprendre. Le plus difficile était de ne pas tomber dans les stéréotypes : ne pas faire de Rachel la garce, l'hystérique, la perverse, la tentatrice ; ne pas faire non plus de Raphaël le manipulateur séducteur sans fond, de même qu’Édouard ne devait pas être une simple victime. Je voulais retranscrire la difficulté d'être avec les autres, de se comprendre et de s'accepter. Les rapports humains sont complexes car nous sommes nous-mêmes complexes et paradoxaux, et je voulais rester fidèle à cela.

J'ai appris sur mes propres représentations des hommes et des femmes. Parce qu'on est souvent victimes, les femmes considèrent souvent à tort que tous les hommes sont des salauds. C'est faux bien entendu. De même parce qu'on baigne les filles dans des contes de fées pendant leur enfance, on croit à tort qu'elles ne sont capables de rêver que de mariage et de bébés. Nous sommes bien plus, l'un et l'autre sexe, que toutes ces conceptions toutes fabriquées. Cela est dit depuis des années, mais il faudrait désormais que les parents éduquent leurs enfants dans ce sens.

A.C. : - Tu as planté ton roman dans un contexte politique assez fort, précédant l’un des événements majeurs du 20ème siècle. Tu y dépeins de manière assez précise (et l’on sent que tu y a pris beaucoup de plaisir !) les toilettes de l’époque, les mœurs ainsi que la montée de la tension politique. Pourquoi as-tu choisi cette période historique ? Qu’est-ce qu’elle représente pour toi ? L’engagement des jeunes dans la société était-il plus fort à cette époque ?

E.L. : La période d'entre-deux-guerres me fascine car c'est un véritable tourbillon d'événements qui s'enchaînent où l'on constate de grandes tragédies mais aussi de formidables avancées. Le monde oscille à cette période entre le progrès et la régression, et la Seconde Guerre Mondiale vient faire le choix de cette seconde option. En France, lorsque le Front Populaire gagne cet été 1936, cela donne le message fort que les classes inférieures sont à présent considérées et respectées. C'est la fin des misérables. Ou du moins, c'est la volonté d'y mettre un terme. Congés payés, réduction du temps de travail à quarante heures par semaine, les vacances, les loisirs, les femmes entrent au gouvernement alors qu'elles ne sont ni électrices ni éligibles encore. Blum gagne une bataille de haute lutte contre l'obscurantisme et les ligues d'extrême droite farouchement opposées à son gouvernement. Et pourtant, le monde s'écroule déjà : Hitler est devenu chancelier depuis trois ans déjà ; il a appliqué les lois de Nuremberg, la Nuit des Longs Couteaux a fait taire ses derniers adversaires politiques, il a rétabli le service militaire et en 1936, il reprend la zone confisquée par les traités de Versailles et de Locarno appelée « La Rhénanie ». Et pourtant, la France veut rappeler à l'Allemagne son devoir de respecter les termes de sa défaite mais elle est sans ressource, puisqu'en pleine reconstruction et abandonnée par l'Angleterre qui refuse d'intervenir à ses côtés. La guerre que l'Italie mène à l’Éthiopie finit de démontrer l'impuissance absolue d'une S.D.N. faible et limitée. Pendant ce temps, la guerre civile fait rage en Espagne… C'est une période infiniment complexe où tout le monde doit dores et déjà choisir son camp, ce qui annonce les grandes décisions qui seront à prendre individuellement lors de la guerre qui se profile à l'horizon.

L'engagement des jeunes de l'époque est, je pense, aussi intense que celui des jeunes d'aujourd'hui. Ce qui peut amener à douter de l'engagement de la jeunesse actuelle pourrait être le fait que cet engagement a pris une forme différente. L'heure n'est plus à prendre une carte politique. Les classes politiques ont volé en éclat et je pense que nous sommes nombreux à ne plus avoir confiance en nos représentants politiques. Lassés de voir toujours les mêmes têtes, d'entendre les mêmes promesses qui seront parjurées, épuisés d'entendre cliqueter leurs casseroles attachées à leurs chevilles. Macron en tête au premier tour des élections présidentielles est l'expression de cela à mon sens. L'engagement maintenant est individuel plutôt que collectif : celui qui, soucieux de la catastrophe climatique, s'engage lui-même à produire le minimum de déchet, celui qui déchire sa carte d'électeur car il n'a foi en personne qui propose sa candidature, celui qui participe à différentes marches apolitiques, celui qui met son gilet jaune et va bloquer un rond-point… Toutes les prises de décision individuelles amènent ou peuvent amener à des phénomènes collectifs de grande ampleur qui peuvent se revendiquer de plus en plus sans parti politique.

A.C. : Comment t’y es-tu prise pour effectuer tes recherches (sur quelles références t’es-tu appuyée ?)

E.L. : J'ai beaucoup lu pour approfondir les connaissances que j'avais déjà sur le sujet. J'ai regardé des documentaires aussi. Je me suis intéressée aux choses les plus anodines de la vie courante : qu'est-ce qu'on écoutait comme musique à l'époque ? Qu'est-ce qu'on buvait dans un bar ? Comment s'habillait-on ? Comment draguait-on ? Quelles voitures conduisait-on ? J'ai même appris, entre autres, que les briquets à essence existent depuis les tranchées (le Zippo a d'ailleurs été créé en 1936 aux États-Unis) ! Je me suis appuyée sur divers magazines historiques, des mémoires, des livres. J'avais l'ambition de ne pas faire d'anachronismes, de respecter précisément l'Histoire afin de donner une légitimité à mon récit.

A.C. : La Femme de Mercure  aborde beaucoup de sujets dont la passion amoureuse, que tu nous fais vivre à travers la relation tumultueuse entre Edouard de Brosac et la belle et mystérieuse comédienne Rachel Petraski. Dans ton ouvrage, tu n’hésites pas à opposer l’amour à la liberté, avec une touche féministe. Qu’en est-il ? Pourquoi ce thème ?

Le personnage de Rachel n'est pas teinté d'une touche de féminisme, il est totalement féministe. C'est une femme de 1936 qui n'a aucun droit, qui est considérée mineure à vie par la gent masculine, qui n'est pas une citoyenne à part entière, qui ne peut disposer ni de son corps ni de l'argent qu'elle gagne en travaillant. On la considère même incapable de parler de sujets sérieux. Elle n'est bonne qu'à se marier et à faire des enfants. C'était le lot de la femme honnête à l'époque : fermer sa gueule et supporter d'être l'esclave domestique et sexuelle des hommes. Rachel, ayant déjà été mariée, sait que le mariage est une prison pour elle. Parce que dans ce contexte particulier, c'est véritablement une prison dont le lieu d'incarcération est la maison familiale. Elle refuse de vivre cela à nouveau. Ainsi elle oppose liberté et mariage, et même liberté et amour, car l'amour la conduira au mariage puisqu'un homme qui l'aimera voudra faire d'elle son épouse. Une femme est esclave du fait de sa condition de femme à l'époque ; une femme amoureuse est alors doublement esclave, car Eros est fils de Poros et de Penia, respectivement l'abondance et la pauvreté : l'abondance car il chasse, se déguise pour attirer ses proies, et n'est jamais satisfait de ce qu'il a ; la pauvreté car il est mendiant et réclame l'affection dont il manque cruellement (cf. Le Banquet de Platon). Il est donc hors de question qu'elle devienne à nouveau tributaire d'un homme, qu'on la méprise et qu'on ne lui attribue pas une réflexion propre qui ne soit pas influencée par le curé de l’église du village. C'est un personnage libre d'esprit et indépendant qui ne remettra pas ses chaînes. Dans une époque où les choix sont de mise, elle choisit d'être considérée comme la putain que comme la femme honnête. La putain n'est alors pas grand-chose mais la femme honnête n'est pas davantage.

Ce thème est un vrai sujet de société qu'il faut constamment remettre sur le tapis. Il faut savoir comment c'était avant (avant nos grandes avancées féministes :droit de vote, droit de contraception, droit d'IVG etc) pour pouvoir refuser de régresser.

A.C. : Quelle est la place de la femme à cette époque (dans la société, le mariage) ? Cela a-t-il beaucoup évolué selon toi ?

E.L. : Outre les grandes victoires féministes (droit de vote, de disposer de ses biens, contraception, IVG, reconnaissance du viol et du viol conjugal, reconnaissance de la violence conjugale, etc), la place de la femme dans notre société est la même qu'en 1936 : il faut faire le choix de la putain ou de la femme honnête. La première a une sexualité libre, couche avec les hommes qu'elle veut, assume son désir, se fiche des préjugés et de sa réputation. Elle sera elle-même harcelée et dénigrée à tort. Elle sera l'archétype de la fille facile, alors qu'elle saura dire non aux hommes qui ne la respectent pas, qu'elle saura dire où se trouve son plaisir et dire à un homme qu'il est mauvais au lit, au lieu de simuler pour le conforter dans sa virilité toute-puissante. La femme honnête, elle, est le cliché de la vierge, celle qui refuse de coucher le premier soir alors qu'elle en a très envie, mais qui fait la prude pour ne pas être cataloguée de putain. Elle a honte de son désir, de provoquer du désir chez son partenaire. Elle n'assume pas sa sexualité, trouve au sexe quelque chose de dégradant, de salissant car c'est cela qu'on lui a appris. Elle subit les lourds et autres porcs. Baisse les yeux pour qu'on la laisse tranquille.

Si aujourd'hui le mariage ne détermine plus ce statut, c'est la réputation morale de sa famille que la femme porte encore sur ses épaules. Elle est la fleur qu'il ne faut pas faner. Elle est prise entre deux feux d'injonctions paradoxales : ne pas être trop intelligente ni trop stupide, ne pas être trop dominatrice ni trop soumise, ne pas s'habiller trop sexy mais ne pas ressembler à une grand-mère, ne pas se laisser aller mais ne pas trop être superficielle, vivre sans rire trop fort, sans boire un coup de trop, sans dire de gros mots mais ne pas faire la mijaurée, la sainte-nitouche, la prude, la frigide etc. La soumise ne se respecte pas car elle se laisse faire, mais se respecte trop aussi car elle ne couche pas ; la rebelle est une hystérique, une folle, une sorcière, une tentatrice. Mais l'une et l'autre est sexualisée à outrance, n'est vue que comme un objet qu'on place dans le coin d'une pièce, qu'on accroche à son bras pour se donner une contenance. Malgré la parole qui se libère, malgré la reconnaissance des violences faites aux femmes, on continue inconsciemment de se dire qu'elle l'a cherché, qu'elle le mérite, que sa façon de s'habiller est un appel au viol, qu'elle était bien contente de coucher avec le réalisateur bien placé, qu'elle est folle, qu'elle invente, qu'elle fait la victime et qu'elle profite de cette victimisation, qu'elle n'avait qu'à partir. Elle est coupable et doit le rester absolument. Mais il est grand temps que la honte et la culpabilité changent de camp. Il est temps que les hommes qui les agressent soient mis au ban de la société. Il est temps qu'elles ne soient plus considérées comme des proies, des possessions, des propriétés dont on dispose à sa guise. Il est temps qu'elles choisissent ce qu'elles veulent être et que le choix ne se limite pas à la putain ou la femme honnête.

Je suis féministe et c'est pour cette cause que je m'engage. Tant qu'il y aura des gens, hommes ou femmes, qui contesteront la place de la femme dans la société à l'égale de l'homme, le féminisme aura des raisons d'exister. Tant qu'il faudra choisir entre la putain et la femme honnête, le féminisme devra perdurer. Tant qu'on voudra disposer de nos corps à notre place, nous interdire de choisir ou non d'avoir des enfants, de choisir le partenaire, le moment et l'endroit, le féminisme devra être présent. Tant qu'on n'apprendra pas aux hommes qu'ils n'ont pas à  violer les femmes, plutôt que d'apprendre aux filles à ne pas se faire violer car c'est honteux, le féminisme sera légitime. Tant qu'on continuera de protéger et de trouver des excuses à des hommes bien placés dans la société, dans la politique ou les arts, qui sont pédophiles, violeurs, tueurs de femmes, le féminisme devra vivre.

Je suis féministe parce que je veux plus tard avoir une fille sans être certaine qu'elle sera un jour victime de violences comme je l'ai été, ou comme mes amies l'ont été. Je veux qu'elle se sente en sécurité quand elle est seule dans la rue, quand elle rentre tard le soir. Je veux qu'elle fasse ses propres choix sans être influencée par quoi que ce soit. Je veux qu'elle se sente libre d'avorter ou de garder son enfant, et l'élever seule si elle en fait le choix sans qu'on la fustige. Je veux qu'on comprenne et qu'on la soutienne si elle fait un déni de grossesse. Je veux qu'elle puisse choisir sa contraception et que celle-ci ne la rende pas malade. Je veux que ses douleurs soient prises au sérieux. Qu'on ne dise pas qu'elle simule ou que c'est normal qu'elle se plie en deux parce qu'elle a ses règles. Je veux que jamais on ne lui dise qu'elle est irritable simplement parce qu'elle a ses « raniania » alors qu'elle ne les a pas. Je veux que personne ne se permette de lui ordonner comment se vêtir, comment penser, pour qui voter, en qui croire, ce qu'elle doit manger ou non. Qu'elle ne connaisse jamais les gros lourds qui insistent et qui la forcent à pratiquer un acte qu'elle refuse. Qu'elle puisse faire confiance aux hommes sans avoir à se méfier d'eux. Qu'on la respecte et qu'on ne la traite pas en objet. J'aimerais ne pas avoir à lui dire que certains se permettront de toucher son intimité sans qu'elle le veuille et qui trouveront anormal qu'elle le prenne mal. J'aimerais ne pas avoir à la prévenir de faire attention à ce que son partenaire sexuel n'enlève pas le préservatif pendant l'acte parce qu'il n'aime pas ça. Je veux qu'elle ne rentre jamais de chez un de ses partenaires en se sentant salie, vulnérable. Qu'elle ne soit pas traitée de folle ou d'hystérique quand elle lève la voix. Qu'on ne dise pas qu'elle se victimise tout le temps. Qu'elle puisse refuser d'être importunée, harcelée, attouchée dans la rue ou les transports en commun. Je veux que ma fille se sente suffisamment confiante pour faire ses propres choix. Qu'on ne puisse pas la faire culpabiliser si elle ne donne pas son consentement. Qu'elle jouisse. Qu'elle profite de sa vie. Qu'elle ne se prive de rien au nom d'une morale puritaine injuste et arriérée. Qu'elle soit libre. Infiniment libre.

A.C. : Quelle est la part de toi dans ce roman ?

E.L. : Elle est immense comme toujours. Il n'aurait aucun sens sinon. J'aime la phrase de Jan Greshoff « Écrivons sans grâce mais avec notre sang ! », c'est la façon dont j'envisage l'écriture. Écrire, c'est puiser au fond de soi des parties pleines de joies et de peines, les verser sur un papier pour les comprendre, les réfléchir, en faire le don à quelqu'un qui s'y retrouvera peut-être et qui y verra une petite clef pour questionner à son tour une petite partie de lui-même.

A.C. : Quel est le rôle d’un écrivain par rapport à l’histoire ?

E.L. : Je pense que nous avons tous un devoir de mémoire vis-à-vis de l'Histoire. Il faut savoir ce qu'il s'est passé pour comprendre pourquoi nous en sommes là et surtout, pour savoir ce qu'il ne faudra jamais reproduire. Oublier notre passé, l'ignorer, le mépriser, c'est s'oublier, s'ignorer, se mépriser soi-même. J'ai cette phrase en hébreux qui résonne toujours en moi lorsque je songe à l'Histoire : « Zakhor al tichkah » que j'ai lu dans le roman de Tatania de Rosnay dans son livre « Elle s'appelait Sarah ». Ce « souviens-toi, n'oublie jamais » est destiné évidemment à la Shoah. J'ai décidé de l'appliquer à toute l'Histoire. Se souvenir, c'est continuer de faire exister. Tout le monde. Monstres ou victimes. Les monstres, car il faut savoir qu'ils ont existé et qu'ils peuvent exister ou existent encore ; les victimes, pour les mêmes raisons en somme. Le devoir de mémoire appelle à la vigilance, au désir de perdurer un « plus jamais ça ». Sans cette mémoire, l'Histoire a la fâcheuse tendance à se répéter. A l'instar d'un individu qui commet une erreur et qui en tire des leçons, l'Humanité toute entière a le devoir solennel de se souvenir de ses erreurs et d'en tirer des leçons. Non pas pour continuer de se fustiger. Non pas pour se tirer la couverture de celui qui a le plus souffert. Non pas pour accuser les descendances innocentes. Pour avancer. Pour garder le cap. Pour ne jamais reproduire les horreurs du passé. Et c'est seulement l'Histoire qui peut le permettre.

Pour ce devoir de mémoire, il faut également une exactitude. Je me suis appliquée à être factuelle dans mes recherches : c’est-à-dire que si Léon Blum s'est fait agressé par les Camelots du Roi et l'Action Française le 13 février 1936, je ne vais pas imaginer dans mon récit qu'il s'est fait agressé en 1935 ou au mois de mai ou de juin par son propre camp, parce que d'une façon ou d'une autre, cela peut m'arranger pour la construction d'un chapitre. Étant donné que mon roman  La Femme de Mercure est un roman sur fond historique, modifier ne serait-ce qu'un détail de l'Histoire n'avait aucun sens. De même, romancer une histoire ne veut pas dire la trahir. A mon sens, on ne peut toutefois ni romancer les faits avérés, ni inventer et modifier l'Histoire si l’on affirme que son roman est historique.

A.C. : Pour finir, un mot sur ton actualité littéraire...

E.L. : J'avais envie de continuer à toucher du doigt les événements historiques ; le faire à travers un roman est aussi un bon moyen de faire fonctionner cette mémoire collective et d'apprendre beaucoup de nouvelles choses. Je suis en train d'écrire un troisième roman qui relatera un événement fort de l'Histoire de la France et du monde : la Première Guerre Mondiale. Cela me demande énormément de recherches pour rester fidèle à la réalité mais j'aime faire ce travail, me documenter, investiguer même sur les plus petits détails. C'est passionnant. Tout ce que j'apprends est d'une richesse incommensurable et me permet une grande réflexion sur un large éventail de thèmes différents mais intrinsèquement liés.

 

La Femme de Mercure (édition Nombre7)

Hiver 1936. Fraîchement installé à Paris, Edouard de Brosac, jeune homme fortuné, vit d'oisiveté accompagné de son fidèle ami, Raphaël Mahet. Désirant devenir écrivain sans encore connaître la vie, il peine à écrire vraiment... jusqu'à ce que sa route croise celle de Rachel Petraski, belle comédienne à succès. Au cours de cette folle passion, certaines vérités vont être révélées... Peut-être que nous ne montrons jamais véritablement nos vrais visages, mais peut-être aussi que nos proches refusent de les voir tels qu'ils sont. Et sans doute que ce sont les rencontres que nous faisons qui déterminent quelles voies du destin empruntent nos vies…

Retrouver Emilie Laget dans l’émission Brouillon de Culture de Radio Systeme (Vauvert)

https://soundcloud.com/radio-systeme/brouillon-de-culture-du-7-fevrier-2018-invite-emilie-laget

 

 

 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... 

Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

https://www.facebook.com/pageculturejustice

A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.

Relecture et mise en page Ph. P et S.P.

 

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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