Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Portrait du jour - Raphaël Rubio, prof de philosophie, chroniqueur , acteur : « Un vrai chevalier silencieux »

Reprise du portrait du jour criminocorpus du 25 mai 2020 - En attendant de publier ce portrait du jour dans la nouvelle version "Culture et Justice" de l'association Criminocorpus, nous mettons en ligne celui de Raphaël Rubio sur mon blog personnel.

Aujourd'hui nous recevons avec infiniment de plaisir Raphaël Rubio.

Raphaël Rubio est né en 1976 à Carcassonne. Membre de la communauté gitane, il est diplômé de Science Politique ainsi que d’Histoire des Idées Politiques. Passionné par les critiques de la Modernité, il enseigne la Philosophie, la Culture Design Graphique et l’Histoire des Arts – Auteur (roman, théâtre, poésie), chroniqueur et correspondant à Marseille pour Slate.fr . Prof de philosophie et même acteur de court-métrages …

Nous avons demandé à un autre ami de "Culture et Justice", Marek Corbe, de réaliser l’interview de Raphaël Rubio pour le carnet Criminocorpus.

Bienvenue messieurs sur "Culture et Justice". Ph. P

 

Marek Corbel est né en 1976, à Quimperlé dans le Finistère, département où il a grandi. Diplômé de l’Institut d’ Études Politiques de Toulouse, juriste dans l’Éducation nationale, il demeure un amateur assidu de romans policiers depuis l’adolescence. Cette passion de lecteur pour le genre l’a poussé à franchir le cap de l’écriture, en 2011, avec un premier opus. Depuis, Marek Corbel a publié quatre romans noirs. Il affectionne les intrigues sociales, politiques racontant, quelque chose de notre époque comme dans « Il était une fois 1945 » (I.S. Edition) ou dans le premier volet de sa trilogie numérique « En proie au labyrinthe » (Editions La Liseuse). Pour autant, cet auteur ne dédaigne pas taquiner un polar plus classique inséré dans une région partie prenante de l’enquête policière, que ce soit dans « Le sanctuaire de Cargèse » (Editions Néobook) ou dans « Concarn’noir » (Averba Futurorum).

« Salut mon cher Raphaël. Ça fait longtemps dis- moi……

Salut mon cher Marek. Ça fait longtemps oui. Il faudra que je monte à Paname, un de ces jours, histoire qu’on cause et qu’on avale des Guinness !

  1. Question bateau mais inévitable. Comment en es-tu arrivé au roman, à la poésie, aux nouvelles ? De mémoire depuis qu’on se connaît tu écris, non ?

J’écris effectivement depuis le XXe siècle. Des bouts de poésies, des fragments de romans, des histoires parfois complètement folles. Tu te souviens très bien, sur les bancs de Science po, j’étais une espèce de cœur d’artichaut. En vue de compenser un physique, et un look, pas très rock and roll, j’ai du dégoter autre chose que la Beau Gosse attitude. Je griffonnais ainsi des poésies vaguement romantiques. Le truc tombait toujours à plat ! Je me trouvais alors dans la peau d’un petit jardinier, toujours à collectionner les râteaux ! Papa Freud se serait bien marré. Moi aussi d’ailleurs. Il me reste de cette époque un souvenir assez brumeux. Je me demande parfois où est passé le jeune homme qui croyait changer le monde avec des pavés en forme de poèmes. Il gît peut-être au fond de moi. Faudrait que j’en parle à mon psy.

Plus sérieusement, j’ai écrit réellement du polar grâce à toi mon cher Marek. Tu m’as proposé un livre à 4 mains, un thriller politique et historique marseillais. Ce fut une expérience formidable ! Je rêve souvent du héros de notre roman ! L’acte d’écriture, chez moi, est intimement lié aux songes. J’y reviendrai. Je ne suis pas, pour rien, un fan absolu de Lovecraft. Avant même de les fondre sur le papier, cet écrivain horrifique rêvait des Dieux anciens. Je suis très heureux, d’ailleurs, du destin qui attend notre héros marseillais. Mais chut…

 

La poésie, enfin, je veux dire une poésie publiable, est affaire de rencontres. Le monde moderne est ainsi fait, on divise des villas. Un couple en bas et l’autre en haut. J’ai entendu dire qu’on pouvait acheter des appartements collectifs. Ce “revival” des logements communautaires soviétiques est drôlement glaçant. Bref… Mon voisin du dessus, au sein d’une grande baraque, était, le dramaturge, acteur, scénariste et poète Lionel Parrini. Imagine un peu. 20 pièces de théâtre, des œuvres jouées en Avignon, Paris et Bordeaux. Une grande amitié s’installe. Nous partageons des balades, du saucisson, des barbecues, et nous écrivons ensemble. Lionel est un éveilleur ! Un mec que je considère comme un génie ! En poésie, je lui dois tout ! D’ailleurs, mon recueil en prose « Noli me tangere, onze chants pour une pénitente » comporte une préface qui lui est consacrée.

2. Ton imaginaire se déploie autour du romanesque, de la poésie, du spirituel. Comment parviens-tu avec une originalité inégalée à combiner tous ces univers ?

Je te remercie mon cher Marek. Je suis membre de la communauté Gitane, et, sans faire de déterminisme paresseux, je possède une sensibilité culturelle assez particulière. A mon sens, rien n’est séparé. Je ne veux pas ici m’engager dans un fatras mystique, mais je considère, que l’un des drames de notre Modernité réside précisément dans le principe de séparativité. Si je devais reprendre l’expression de Léo Ferré, je dirais que le citoyen « sent » vraiment « de la tête ». C’est une abstraction qui pue. Le voilà coupé de tout : de la nature, de son œuvre, de son travail, de sa communauté, de son Dieu et même de son sexe ! Face à ce constat tu as deux solutions. Soit tu finis complètement réac… Soit, tu développes, ce que j’appelle une forme “d’érotisme révolutionnaire ». Attention mon Gari ! Ne te méprends pas, il n’y a rien de coquin ou d’impudique dans mes écrits. L’érotisme en question est un rapport charnel au monde. Une façon de percevoir l’univers avec le corps ! Tout est relié. Il s’agit simplement de sentir les choses. Les nuits sans étoiles, par exemple, sous les néons jaunâtres, ne sont rien d’autres que des crimes “contre-érotiques”. J’ai un projet de polar, où, sous une pluie incessante, le héros, appelé simplement “l’Homme”, est à la recherche d’un bout de ciel pur. En tant que Gitan, je relie le zénith à la terre. Mon écriture est tellurique. J’ai besoin d’éprouver les lignes de forces, ces fameuses veines du Dragon. Voilà pourquoi, je suis attaché à certains lieux très denses : Rennes le château, Couiza, Bugarach, Théopolis… En somme, dans mon esprit, rien n’est isolé. Faut que j’en parle à mon infirmier psychiatrique…

3. Quelle fut ton sentiment le jour où tu as su que ton polar ésotérique « Le chevalier silencieux » allait être édité ? Les premiers retours de lecteurs tu les as vécus comment ?

Tout d’abord un sentiment de reconnaissance. Une envie de dire merci. Merci à toi. Merci aux éditions Averba Futurorum. Je suis un gars sensible ! J’ai vraiment été touché ! Mon premier besoin a été de continuer d’écrire ! Approfondir chaque jour cette joie et ce mystère. Les réactions des lecteurs ont été positives. J’ai composé “Le Chevalier Silencieux” avec les tripes. Il ne s’agit pas vraiment d’un Polar ésotérique mais bien d’un thriller politique ! Toutes mes obsessions y sont présentes : La critique du monde moderne, l’intégration d’un gitan « diplômé » à une société tout aussi désorientée que lui. J’évoque la notion de violence sociale, de précarité, de mal logement. Et puis, je mets en scène des marginaux. Je possède une véritable fascination pour les marges. Ceux que la Modernité rejette. Les clochards célestes vivant à Rennes-Les-Bains, les chômeurs volontaires, les types qui sincèrement opèrent en vue de »Trianguler les énergies avec leurs crânes de cristal ». La marginalité sera toujours une tentation…

4. Vu que tu ne redoutes pas de te confronter à différents genres, que penses-tu du roman de genre et de ce qu’on appelle communément la blanche ? Comment situes-tu tes fictions dès lors ?

La littérature blanche française est ternie par un désir mimétique. Son style, son esthétique, jusqu’à ses façons de croire et d’espérer, sont entièrement écrasés par l’hégémonie culturelle d’une certaine bourgeoisie. Les classes populaires sont absentes, le drame bourgeois, médiocre et nombriliste, a remplacé l’héroïsme tragique. Perso, je ne possède pas de grande demeure, je n’ouvre pas les volets, par un matin clair, pour y respirer les premières fleurs du printemps. Je me fous comme d’une guigne des petits malheurs de tel ou tel rupin boutonneux. J’habite face à l’usine Alteo de Gardanne, je respire des particules de boues rouges, je suis un fils de gitan, mes potes galèrent afin de nourrir les mioches. La bohème artistique que j’ai l’honneur de fréquenter mobilise l’énergie du désespoir. Ma vie est beaucoup plus proche de celle du premier Rocky, que des récits imaginés dans les ouvrages de littérature blanche. La Bourgeoisie n’est pas un modèle. Tu sais les Gitans sont des Princes. J’ai du respect envers les Aristos. Aucun à l’égard des classes moyennes (Catégorie d’ailleurs qui n existe pas…).

Seule la littérature de genre permet de témoigner de la réalité concrète. Il s’agit, je crois, d’un espace de liberté. De grandes figures peuvent y prendre place. Je peux écrire sur le chômage, la solidarité et le foisonnement merveilleux de la vie populaire ! En ce sens, il faudrait préserver le polar des superstitions de la littérature blanche.

5. Est-ce que tes expériences de journaliste, de participation à la création de court-métrages, d’acteur t’influencent dans la construction romanesque, dans l’écriture ? Si oui de quelle manière ?

Raphaël Rubio

Mon expérience journalistique a confirmé ce que je viens de dire. La réalité, la réalité seule, vibre d’une richesse extraordinaire. Je couvre actuellement, pour Slate.fr, la campagne municipale de Marseille. Je réalise des portraits de responsables politiques locaux ainsi que d’habitants de la cité phocéenne. Mes chroniques cherchent à donner la parole aux marseillais. Je débute alors invariablement par la peinture de la vie réelle. Je m’intéresse aux gens, à ces témoins qui affrontent avec courage les difficultés de notre temps. J’ai de la sorte recueilli la voix des sans grades et des invisibles. Leurs histoires sont incroyables. Je pense par exemple au dénommé Furax. Ancien ouvrier, il décide de tout lâcher parce que « le taf c’est un truc imbécile »… Il se casse de sa région, passe en bagnole par le mont Saint Michel parce qu’il veut « Zieuter l’Ange », descend vers le sud et se retrouve, à Bordeaux, sans un rond et sans essence… Là, t’as un lointain cousin qui lui refile de la caillasse. Direction Marseille. Il squatte dans des maisons abandonnées et dort parfois dans sa voiture. Un jour « il trouvera ». Je ne sais trop quoi mais il cherche… Je pense également à « Wikigirl », une jeune étudiante « plus grand cerveau de Marseille ». Elle fume des pipes en forme de têtes de marins. Je pourrai encore te raconter le parcours de Marine ! La jeune femme, est nantie d’un boulot stable sur Paris. Elle étouffe. Elle meurt. Le management de sa boîte est odieux. Plus rien n’a de sens. Alors, elle se barre, rentre dans le sud-ouest, veut mettre sa « life » en adéquation avec ses valeurs. Au hasard, elle candidate auprès d’une association basée à Marseille. Cette dernière, Bi-pole est spécialisée dans l’événementiel plutôt orientée LGBTQ+. Marine est prise ! Nouvelle vie, nouveau challenge. Son univers est beau. Elle est bercée par la street art, la musique électro, le militantisme en faveur des minorités sexuelles. Je suis profondément admiratif. Mon écriture se nourrit de leurs exemples. La réalité et la vie concrète sont si inspirantes!

J’aime les gens. Je suis un gonze bienveillant…

Je pense que tu as compris. Marseille est un décor de roman noir. Et puis, après chaque interview, je vais me taper un gros plat de pâtes aux palourdes… Un régal ! Tu te roules par terre jusqu’à la Capellette tellement c’est bon !

A propos, des court-métrages, l’aventure est fabuleuse. Mon ami Chris Darvey est un réalisateur de génie. J’adore ses intuitions, ses images, son talent. Quelque part entre Lynch et Kubrick, ses films sont des diamants purs. L’un de ses derniers, avec Lionel et moi, comme acteurs, se nomme Metanoïa.. Le film se déroule à Rennes les bains et à Bugarach. J’ai simplement eu les larmes aux yeux en le contemplant. Il est en effet basé sur l’un de mes textes…

6. Quels sont les projets en cours ? As-tu des envies particulières ou nouvelles dans la période à venir ?

Raphaël Rubio et Caroline Gora

Mes projets sont nombreux. Je continue à me pencher sur la vie réelle. Je suis entrain d’écrire « Sous le signe du Lion ». Il s’agit de la biographie du magicien Batiste André . Après un accident de voiture, cet ancien membre des ERIS, est complètement anéanti. Les mains sont paralysées. Il parle à peine. Avec force, volonté, détermination, mais aussi avec beaucoup d’amour, il crée des spectacles de stand up, obtient le prix Albertas, participe aux championnats du monde à Busan !!! L’un de ses tours est repris par un magicien célèbre à la télévision. Batiste est une belle personne. J’écris son histoire. C’ est mon Rocky à moi.

Je viens par ailleurs de terminer un recueil de poésies « Il pleut sur l’océan ». Je cherche un éditeur.

J’ai des projets avec toi, notamment en BD. C’ est euphorisant !

Je bosse enfin sur un “polar industriel » : Gardanne, les boues rouges, la pluie qui ne cesse pas, des meurtres en cascade… Et “l’Homme”, dont j’ai parlé, hanté par son bout de ciel.

Je continue donc à écrire. Soutenu par la plus belle fille du monde : ma femme et ma muse Caroline Gora .

Je te remercie, Marek, toi mon ami depuis 25 ans ! Vive le polar et la palourde. »

 

 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... 

Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

https://www.facebook.com/pageculturejustice

A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.

Relecture et mise en page Ph. P et S.P.

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :