LE VOYAGE DANS LE TEMPS : UTOPIE SCIENTIFIQUE ? par Fatima de Castro

Émile Drouet présentant sa théorie en compagnie de Lucile Berthelot

(cliché Muller, 1948)

Une rubrique animée par Fatima de Castro  pour Culture et justice

Fatima de Castro  chargée d’études et passionnée d’histoire aime à mettre en scène un passé pas si révolu que ça. Elle sait entraîner le lecteur dans un ailleurs où tout devient possible. Le combat des femmes pour se faire accepter comme individus à part entière est l’un de ses domaines d’étude privilégié.

Idée : Un doute raisonnable ?

Argumentaire : présenter mensuellement un fait-divers criminel ancien qui a laissé les contemporains dubitatifs. Soit que l’affaire n’ait jamais abouti ; soit qu’elle ait connu des remises en question tout au long de son déroulement ; soit qu’elle présente des étrangetés permettant par exemple d’opter pour l’accident ou la mort volontaire. Dans tous les cas, le doute doit nimber l’affaire.

But : donner les éléments à l’internaute pour qu’il se fasse sa propre idée et intervienne en donnant son point de vue s’il le souhaite.

"Qui n’a pas rêvé de retourner dans le passé pour y changer un événement, retrouver un être cher ? Voir comment les Druides célébraient l’équinoxe d’automne. S’assurer qu’Halloween a toujours été fêté par les peuples celtiques ou que La Belle Otéro méritait bien le détour. Éviter les guerres mondiales en prenant les bonnes décisions à l’aune de notre regard sur ce passé qui semble déterminé, bouclé à jamais dans l’immuabilité de son action révolue. Et qui pense passé, pense forcément avenir. Imaginer pouvoir faire un bond de quelques années, quelques siècles, voir si l’humanité s’est assagie ou tout simplement effacée de la surface de la Terre. Déterminer le futur pour agir en amont et l’améliorer, quelle belle utopie !

Nos mémoires regorgent de vieux films de science-fiction de ses années 1950 si férues du genre. Images en noir et blanc, parfois grotesques tant les effets spéciaux baignaient alors dans le liquide amniotique de leur enfantement. La littérature flirte avec le sujet depuis H. G. Wells. La bande dessinée entraîne des générations de têtes blondes à rêver d’aventures spatio-temporelles qui aboutiront au sublime « Retour vers le futur » des années 1980. Tout cela relève du rêve, nous l’avons écrit, de l’utopie, des sensations fortes et du plaisir de se faire peur. Mais qu’en est-il dans la réalité physique et mathématique ?

Il s’agit bien de rêve, en effet, de rêve mis en équation à partir de la théorie d’Einstein, par un certain Émile Drouet, ingénieur astronome de son état. Dans cette première moitié du 20^e siècle, la science balbutiante de sérieux se penchait encore sur ce genre de question aujourd’hui reléguée au domaine de l’imaginaire. En 1948, la presse se fit l’écho du résultat des recherches menées par Drouet, soutenu par l’astrophysicienne Lucile Berthelot, descendante du célèbre chimiste. Drouet partait du principe que le voyage dans le temps existait déjà, dans les faits, par l’intermédiaire du rêve. Seuls manquaient les calculs indispensables à la création de la fameuse machine, celle à laquelle tout auteur et cinéaste se doit de donner l’aspect le plus loufoque possible pour la rendre crédible. Drouet, lui, n’envisagea rien de plus qu’une simple fusée qu’il baptisa « Stroboscope Drouet ». La trajectoire était calculée pour propulser l’engin dans l’espace-temps. Tout un tas de personnalités plus ou moins loufoques se proposèrent comme cobaye, comme l’écrivain Céline ou l’effeuilleuse Henriette Kennis qui souhaitait rencontrer Phryné dont elle se disait la réincarnation.

Mais tous étaient prévenus : ce voyage était un aller simple, sans retour possible. Dans la théorie, cette machine, un entre-deux entre l’aspirateur et le poste radio selon la description de l’article cité en référence, devait être projetée dans un univers parallèle où chacun existe de la même manière que dans le nôtre. Par contre, son retour dans notre univers n’était pas prévu, apparemment, pour des raisons d’incompatibilités entre lignes vibratoires et harmoniques. À bon entendeur, salut. Celui qui partait, resterait là où la machine l’envoyait. Il fallait donc croiser les doigts pour que le futur visé, si tel était le but du voyageur, ne fût pas pire que l’époque qu’il quittait !

Qu’en est-il de cette somme de calculs et d’énergie intellectuelle dépensées pour obtenir ce résultat très sérieusement présenté en 1948 à la Société astronomique de France ? Drouet avait mis au point un prototype de son Stroboscope. Une firme américaine s’y était intéressé, quoi de plus naturel ? Hélas, les deux milliards de francs annoncés pour la construction de l’engin, somme astronomique pour l’époque – si je puis me permettre -, tuèrent dans l’œuf les velléités de Drouet. Une question se pose alors : si l’utopie se concrétisait un jour, le voyage dans l’espace-temps quitterait-il l’univers du fantasme pour entrer dans celui de la réalité ?"

Fatima DE CASTRO

Octobre 2024

Source utilisée : Charroux, Robert, « La machine à voyager dans le temps est inventée : l’ingénieur Drouet veut retourner en l’an 50 avant J.-C. et amener Cléopâtre aux Folies-Bergère », France-Hebdo, 22-28 juin 1948.