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Léon Collin, médecin au bagne - dossier
Léon Collin, médecin au bagne - dossier

Léon Collin est mort en 1970. Il a subi la boue des tranchées ; il a vécu  la défaite de 1940 et l’occupation ; il a navigué sur toutes les mers du globe et a vu la presque totalité de cet empire français où le soleil ne se couchait jamais. Il a 27 ans lorsqu’il débarque en Guyane en 1907. Il s’occupe du transport sur le vapeur le Loire des condamnés aux travaux forcés. Chargé de mission pour les services épidémiologiques, il passe ensuite trois ans en Nouvelle Calédonie de 1910 à 1912. Rien pourtant ne prédisposait ce jeune médecin de l’armée coloniale, homme de son temps, un brin réactionnaire mais profondément humaniste, à affronter l’horreur du bagne. Qui aurait pu deviner que ce fils de négociant en vin bourguignon serait marqué à vie par son expérience ? Les éditions Libertalia ont eu la bonne, la très bonne idée de publier ses carnets de notes...

 

Alors que les éditions Libertalia s’apprêtent à PublierDes hommes et des bagnes du docteur Léon Collin, nous avons voulu en savoir un peu plus sur ce médecin militaire dont le témoignage, rare et formidable, vient confirmer si besoin est l’horreur de l’enfer carcéral guyanais et calédonien. Le livre devrait faire date et, comme le souligne Michel Pierre dans le numéro spécial du magazine L’Histoire en juillet-septembre 2014, il y a encore des découvertes à faire sur le sujet. Philippe a bien voulu évoquer pour nous son grand-père, le récit de ce dernier ainsi que le grand nombre de photographies qu’il a pu prendre à bord de La Loire ou encore sur ces terres de punition. Dix questions pour aborder un homme, un brin réactionnaire mais profondément humaniste, marqué à vie par son expérience. Les souvenirs de Léon Collin dormaient paisiblement dans la maison familiale de Crèches sur Saône ; Philippe les a exhumés et s’est mis à fouiller, à chercher, à fréquenter les services d’archives et en particulier ceux de l’Outre-Mer à Aix en Provence. Une volonté de comprendre l’aïeul, de saisir ce que ce dernier a pu ressentir. Un travail énorme d’historien. Il est des voyages dont on ne revient pas totalement indemne … Une interview à lire sans modération, sans précaution et sans avis médical.

1) Qui était Léon Collin ? Quel souvenir gardes-tu de ton grand-père ?

Léon Collin est mon grand-père paternel. Il est né le 27 octobre 1880 dans le Mâconnais. Né dans une famille aisée de négociants en vin, il fait des études de médecine à Toulon puis à Bordeaux avant d’intégrer les troupes coloniales. Après un premier séjour à Haiphong, il sera affecté au transport des condamnés en partance pour la Guyane sur « la Loire ».

En 1910 il part pour un séjour de quatre ans en Nouvelle Calédonie. Il fera la guerre de 1914/1918 comme médecin des troupes coloniales (Tirailleurs Sénégalais) et sera blessé deux fois légèrement. Par la suite il occupera des postes à Madagascar, en Anam etc …

Toujours un carnet, un crayon et surtout un appareil photo à la main !

J’avais onze ans lorsque mon grand père est mort en 1970. J’en garde le souvenir d’un homme, grand, sec, assez austère mais d’une grande douceur et gentillesse derrière cet aspect un peu froid.

2) Les carnets de voyages de Léon Collin dormaient dans le grenier de la maison familial. Comment les as-tu descendus au salon ? As-tu eu conscience immédiatement du caractère exceptionnel de ce document ?

Petit j’avais fouillé dans des malles au grenier et je connaissais l’existence de plaques photographiques. Dans mon souvenir, ces plaques étaient plutôt à caractère médical et certains clichés de maladies tropicales m’avaient durablement impressionné. Lorsqu’il y a deux ans, ma mère aujourd’hui âgée de 86 ans m’a fait don de l’ensemble des documents (photos et carnets), j’ai tout de suite compris qu’il y avait là quelque chose d’exceptionnel : des textes qui commentent des photos prises sur un sujet comme le bagne, ou comme lors d’une mission de vaccination sur les îles Loyautés, des commentaires, des récits, des témoignage précis et circonstanciés, tout cela m’est t apparu comme une découverte d’importance.

3) Quelles ont été les réactions des personnes à qui tu as montré les écrits et les photographies du docteur Collin ? Que vont devenir ces documents ?

Les réactions face aux documents ont été assez contrastées. Dans la plupart des cas il y a de la curiosité, de l’intérêt. Ces photos qui surgissent de nulle part après un siècle d’oubli fascinent beaucoup de gens. Rapidement les historiens spécialistes du bagne qui ont eu les documents en main m’ont confirmé l’importance de cette trouvaille. Pour autant j’ai aussi ressenti de l’indifférence chez certains éditeurs, voire du mépris parfois. J’ai parfois senti également l’agacement de certains qui auraient préféré que je leur cède la main sur cette découverte et en faire leur miel plutôt que de me laisser valoriser ces témoignages moi-même … Au risque de les décevoir, le sujet m’a passionné et m’a définitivement phagocyté, l’élaboration du livre avec Jean marc Delpech et les éditions Libertalia a été pour moi un grand moment de plaisir.

A ce jour, j’ai donné les 1000 plaques photographiques (dont la centaine sur le bagne) au musée Nicéphore Niepce de Chalon sur Saône. J’ai négocié une autorisation d’exploitation des images et des textes pour le musée de la transportation de Saint Laurent du Maroni et le futur musée de Nouméa. Certains documents sont partis pour la Nouvelle Calédonie, d’autres sont maintenant aux Archives nationales de l’Outre-mer. Je me réserve le droit d’exploiter ces documents, mais j’ai fait en sorte qu’ils soient accessibles à tous.

4) Des hommes et des bagnes vont paraître en mars 2015 chezLibertalia. Peux-tu nous narrer la genèse de cet ouvrage ? Cela a-t-il pris du temps ? Que penses-tu du résultat ?

Dans un premier temps il m’a fallu classer, mettre dans l’ordre. Ces documents avaient été plusieurs fois déménagés, brassés. Puis à partir des numérisations des photos et des tapuscrits, j’ai reconstitué les deux ouvrages. J’ai ensuite cherché à faire connaître ces documents, c’est ainsi que j’ai eu l’occasion de croiser Michel Pierre, spécialiste du bagne ainsi que d’autres historiens et archivistes, mais surtout Jean Marc Delpech avec lequel une relation amicale et de confiance s’est installé autour d’une passion commune et de ce projet de livre. Je n’ai pas la prétention d’être un historien, mais je prends un plaisir immense à effectuer des recherches et à valoriser ces documents qui sans cesse nous renvoient sur d’autres voies qui nous ouvrent portes et sans que cela semble vouloir s’arrêter. Chaque mystère éclairci en soulève un ou plusieurs nouveaux qui excitent notre curiosité. Chaque mystère non élucidé confère à cette aventure un côté fantastique…

5) Finalement que retient-on après avoir lu les carnets et vu ces photographies ?

De la lecture de ces carnets il ressort qu’au pays des droits de l’homme ces pans gênants de notre glorieuse histoire ont été bien vite passés à la trappe. On retient que Léon Collin acteur de cette histoire et pas forcément du bon côté, se révolte à sa façon. Il tente de rendre leur humanité à ces hommes que l’on dépouille de tout : de leur dignité, de leur place d’homme dans le monde des hommes. Quelle que soit leur faute, il les écoute, leur donne la parole, même s’il continue parfois à rester fidèle à ses convictions conservatrices. Pour lui ces hommes punis sont encore des hommes et doivent le rester. Crescendo, apparait son dégoût du système qui pousse des humains à devenir des bêtes pour survivre.

6) Parmi l’incroyable galerie de portraits dressée par le médecin voyageur, y-a-t-il quelques figures d’hommes punis qui ont retenu ton attention ?

Il y a évidemment parmi ces hommes certains qui m’interpellent plus que d’autres :

- Julien Lespes, le poète désespéré. Un homme qui hurle contre l’injustice qui lui est faite, par la disproportion entre sa faute et la sanction. Ce cri étouffé par le bagne, oublié, ressurgit dans des textes, cent ans plus tard, c’est extrêmement émouvant !

- il y a Manda (Joseph Prieur de son vrai nom), l’apache parisien, amant de « casque d’or », au comportement exemplaire en détention qui libéré, mais condamné à la relégation en Guyane se clochardise et meurt de « misère physiologique » après avoir résisté pendant tant d’année.

- Law, l’anarchiste au visage d’enfant qui reste fidèle à ses convictions, n’en déroge jamais et qui sans aucune concessions au système parvient à atteindre sa libération. Après dix-huit ans passés au bagne, suite à une campagne pour sa libération il peut rentrer en France avant de disparaître sans laisser de traces.

- Brière qui en boucle répète qu’il n’a pas massacré ses cinq enfants à coup de marteau. Aujourd’hui certains éléments permettent d’émettre des doutes sur sa culpabilité. Et si Brière était innocent ? Peut-on concevoir alors à quel point il aura souffert avant de mourir des fièvres !

- et Viou le roi de l’évasion qui traverse à la nage le Maroni à son embouchure (4 Km), entre les requins d’un côté et les caïmans de l’autre ! Après dix ans de vie honnête en France, il tombe malade, va chercher refuge dans sa famille qui le rejette à la rue d’où il est renvoyé en Guyane !

Et puis il y en a tant d’autres, je vous laisse les découvrir dans le livre !

7) Alexandre Jacob anarchiste, cambrioleur, bagnard libéré en 1928, affirmait à l’écrivain Georges Arnaud en 1954 que « les pratiques pénitentiaires françaises correspondent plutôt à une vieille barbarie qu’à une civilisation ». L’expérience de Léon Collin a-t-elle changé sa vision de la question sécuritaire et carcérale ?

Je n’ai pas d’éléments ou de souvenir pour répondre directement à cette question. Toutefois au début de l’ouvrage, le ton est un peu détaché, style Tintin reporter. Puis les passages sont de plus en plus fréquents où l’empathie vis à vis des forçats est nette (dans de nombreux passages, il explique le basculement dans la délinquance par la misère sociale). Enfin la deuxième partie sonne la charge et la « Tentiaire » en prend pour son grade plus d’une fois, le point d’orgue se situant au chapitre sur les surveillants militaires. Ce glissement progressif mais net permet à mon sens d’affirmer que mon grand-père n’est pas sorti indemne de cette aventure et que sa vision de la question sécuritaire et carcérale s’est profondément modifiée durant ces années « au bagne ».

8 ) D’abord feutrées, les critiques que le médecin peut formuler à l’égard de l’Administration Pénitentiaire se révèlent de plus en plus virulentes au fil des pages. Elles sont particulièrement véhémentes lorsqu’il pointe du doigt les agents de la Tentiaire. Ces propos ne tiennent-ils pas du fantasme, ou plutôt d’une réalité vécue et arrangée ? Léon Collin mentionne-t-il des noms ? Evoque-t-il des faits précis ?

Léon Collin constate de visu le comportement de certains surveillants et il faut insister sur « certains », comme le fera d’ailleurs plus tard Louis Rousseau. Il recueille aussi le témoignage d’exactions antérieures à son passage. Il donne des noms et des détails. Les histoires citées sont si atroces qu’on peut parfois penser qu’elles sont fantasmées ou exagérées. Bien entendu nous avons cherché à vérifier certains éléments. Pour les surveillants Bonini et Buscail, pour ne citer qu’eux, les dossiers retrouvés aux ANOM sont accablants : sanctions disciplinaires pour brutalité à l’encontre des forçats, témoignages accablants de médecins, rapports confidentiels soulignant l’extrême violence et la barbarie de ces hommes, tout y est. Lorsque l’on sait à quel point la Tentiaire pardonne à ses membres et maquille les incidents au détriment des forçats, on imagine ce qu’il aura fallu de monstruosité pour qu’apparaissent dans les dossiers des traces de leur effroyable comportement. A leur décharge, les conditions de vie des surveillants de base étaient précaires. Leur maigre solde les poussait au trafic et à la corruption pour arrondir leurs fins de mois. Ils étaient exposés à des hommes parfois réellement terribles et dangereux, et aux mêmes maladies tropicales que celles qui frappaient les détenus. Pour autant Léon Collin et Louis Rousseau (ainsi que les témoignages de forçats) soulignent que si certains avaient des comportements barbares, un grand nombre faisait aussi preuve d’humanité.

9) Colonies, première guerre mondiale, bagnes de Guyane, les carrières de Léon Collin et de Louis Rousseau semblent se croiser. Les expériences de ces deux médecins sont-elles pour autant comparables ?

Il y a 12 ans d’écart entre le passage au bagne de Léon Collin et Louis Rousseau. Les deux hommes ont pratiquement le même âge (à un an près) et sont issus des mêmes écoles. On peut affirmer, même si aucun élément ne vient le corroborer, qu’ils se connaissaient ou au moins s’étaient physiquement croisés. Mais leur expérience du bagne est différente. Rousseau vit le bagne, il l’appréhende de l’intérieur, pendant deux ans. En restant à la même place pendant deux ans il peut fournir plus qu’une image, une véritable analyse, détaillée, argumentée. Pour sa part Collin ne réside pas dans le bagne, c’est un visiteur, s’il est au plus près des forçats sur le navire, son séjour en Guyane est bref (on ne possède pas encore d’éléments précis sur les dates et la durée de ce séjour). Et en Nouvelle Calédonie il ne fait que visiter le bagne agonisant. Leur regard est donc différent mais pour autant les constats sont pratiquement les mêmes (encore plus appuyés, engagés, chez Rousseau) et concordent.

10) Alexandre Jacob, que certaines plumes aiment comparer avec le gentleman cambrioleur imaginé par Maurice Leblanc, n’est jamais cité par Léon Collin. Comment se fait-il que l’honnête médecin et l’honnête cambrioleur ne se soient jamais rencontrés alors que le magazineL’Illustration mentionne ce dernier en 1908 comme une des vedettes de la Guyane, comme un des bagnards les plus dangereux qui soient ? Ton grand-père a-t-il rencontré d’autres anarchistes en Guyane et en Nouvelle Calédonie ?

Le séjour de Léon Collin en Guyane n’a pas dû excéder quelques semaines. De toute évidence Alexandre Jacob était là-bas au moment de son passage. Considéré comme dangereux parce que charismatique et dans la révolte, Alexandre Jacob purge de nombreuses peines de cachot voire même de réclusion. Mon grand-père ne l’aura alors pas croisé puis que le malheureux croupissait sans doute au fond d’une de ces terribles cellules lors de son passage. Pour autant il mentionne sa rencontre avec un autre anarchiste, Jacob Law, dont il fait un portrait photographique très émouvant et raconte quelques épisodes de la révolte de 1894 aux îles du Salut (il n’est pas encore à ce moment-là révolté contre la tentiaire et juge les anarchistes avec ironie). En Nouvelle Calédonie il mentionne la détention de Louise Michel, Jean Rochefort, et des communards, dans les années qui précèdent sa visite mais n’évoque aucune rencontre avec des anarchistes au moment même de sa visite.

Dix questions à Philippe Collin - Atelier de création libertaire

Dix questions… à Libertalia // Les éditions Libertalia

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Tags: ANOM, bagne, Brière, Collin, Delpech, Guyane, la Loire, Law, Léon Collin,Lespes, Libertalia, Manda, médecin, Michel Pierre, musée Nicéphore Niepce,Nouvelle Calédonie, Philippe Collin, photographie, travaux forcés, Viou

© Léon Collin
© Léon Collin
© Léon Collin
© Léon Collin

© Léon Collin

 

Le médecin militaire Léon Collin a laissé un rare témoignage photographique du bagne de Guyane au début du XXe siècle. Cette image a été prise lors de l'examen médical de forçats malades au camp de Charvein. Ainsi en parlait-il dans ses écrits : « On apprend que le médecin précédent a été tué par un détenu. Du coup, le nouveau médecin ne veut voir les bagnards que s'ils sont nus. Comme ils sont très faibles, ils s'entraident et se déshabillent les uns les autres. On apprend aussi que l'un des trois hommes par terre est décédé. »

Le médecin Léon Collin témoigne

... Au début du XXe siècle, Léon Collin, issu d'un milieu bourgeois, est médecin des troupes coloniales. À 26 ans, il embarque sur le Loire pour accompagner le transport des prisonniers : scandalisé par le traitement infligé à ces derniers, il décide d'en témoigner en utilisant l'une de ses passions : la photographie. Pendant cinq ans, il saisit le quotidien de ces hommes condamnés à la double peine. Une majorité des documents sont prises durant la traversée, mais il rapporte également la dure réalité des différents camps et bagnes du territoire lorsqu'il pose pied à terre. Anonymement, il diffusera plusieurs fois ses images dans le Petit Journal illustré pour dénoncer ces conditions de détention abominables.

La traversée des Bagnards : un patrimoine retrouvé - L'Oeil ...

 Des Hommes et des bagnes - Guyane et Nouvelle-Calédonie, un médecin au bagne (1907-1912)

 

Sortie du livre "Des hommes et des bagnes  une plongée en récits et images d'époque dans l'enfer du bagne de Guyane et de Nouvelle Calédonie, ... 110 ans après:

Entre 1852 et 1943, 120000 hommes partent pour les bagnes de Guyane ou de Nouvelle Calédonie. Aujourd’hui, des documents datés des années 1906-1913  traitant de cette question refont surface : mille plaques photographiques et une impressionnante quantité de notes (lettres, tapuscrits, etc).

 Léon Collin (1880/1970), médecin des troupes coloniales a traversé ces deux enfers, armé d’un appareil photo et d’un carnet, il nous livre ses impressions, décrit l’absurdité et la cruauté de cette machine à broyer les hommes. Il interroge les forçats, leur donne la parole, nous transmet leurs poèmes, en bref, il leur rend un peu de cette humanité que la « Tentiaire » (administration pénitentiaire) leur a volée.

Un livre  préfacé et annoté par l’historien Jean Marc Delpech, « Des hommes et des bagnes » vient de sortir aux éditions Libertalia. Il reprend toutes les photos et textes de Léon Collin.                                    

http://www.editionslibertalia.com/des-hommes-et-des-bagnes )

L’ensemble des plaques photographiques est aujourd’hui au musée Nicéphore Niepce, et MEDIAPART leur a déjà consacré un important portfolio.

( http://www.mediapart.fr/portfolios/parti-au-bagne-avec-les-forcats )

 

En 2007, pour son quatrième ouvrage au catalogue, Libertalia rééditait La Vie des forçats (1930), du bagnard anarchiste Eugène Dieudonné, avec des illustrations de Thierry Guitard. En 2009, nous poursuivions dans cette veine avec la réédition de L’Enfer du bagne (1957), les souvenirs de Paul Roussenq « l’incorrigible », illustrés cette fois-ci par Laurent Maffre. Peu après, nous rééditions Chéri-Bibi et les cages flottantes avec des illustrations de Tôma Sickart, la fiction (1913) de Gaston Leroux, dont l’essentiel du récit se déroule sur un bateau en route vers le bagne.

Libertalia partage déjà une longue histoire avec les bagnards et les forçats, qui reflète notre rejet persistant de la société carcérale et notre empathie pour les marges.

Alors que nous envisagions de rééditer le rarissime et passionnant Un médecin au bagne, ouvrage du Docteur Louis Rousseau publié chez Fleury en 1930, Jean-Marc Delpech, auteur d’une thèse sur Alexandre Jacob (publiée aux ACL), préfacier de L’Enfer du bagne et coanimateur des éditions de la Pigne, nous a proposé un incroyable manuscrit absolument inédit : les souvenirs du Docteur Collin (1890-1970).

Retrouvés dans le grenier de la maison familiale par Philippe Collin, son petit-fils, ces deux carnets (qui comportent 146 clichés stupéfiants) relatent les années vécues par le jeune docteur aux côtés des forçats de Guyane puis de Nouvelle-Calédonie (de 1907 à 1912).

Quelques extraits seulement des notes du Dr Léon Collin ont paru dans la presse française de la Belle Époque et de l’entre-deux-guerres. Les deux cahiers relatant son expérience constituent pourtant un document historique fondamental et totalement inédit sur les prisons à ciel ouvert de la France coloniale, et sur les criminels que la métropole a cherché à éloigner. Muni d’un carnet et d’un appareil photographique, les simples souvenirs de voyage du jeune médecin se transforment progressivement en dénonciation alerte d’une réalité pénible à dire, à voir et à sentir. De la Guyane à la Nouvelle-Calédonie, le bagne c’est la mort, la souffrance et l’échec de toute une politique répressive et carcérale. Bien avant Albert Londres, et surtout à une époque où l’administration pénitentiaire règne en maître sur ces terres ultramarines, Léon Collin montre les existences des « hommes punis ». Des hommes… et des bagnes, une incroyable galerie de portraits, des célébrités (Manda, Ullmo, Soleilland, etc.), une foule d’anonymes aussi. Des espaces exotiques à couper le souffle. Mais, comme l’a écrit l’avocate Mireille Maroger en 1937 : « De ce paradis, les hommes ont fait un enfer. » De la création officielle du bagne en 1854 au dernier envoi de condamnés en 1938, ils furent plus de 100 000 à venir s’échouer sur ces terres de grande punition.

Le fonds photographique du docteur Léon Collin a été acquis par le musée Nicéphore-Niépce. Les clichés feront l’objet d’expositions en Guyane puis en Nouvelle-Calédonie.

Parce qu’il s’agit d’un document à caractère exceptionnel, Libertalia a choisi d’en faire un « beau livre » restituant le caractère initial des carnets : couverture en toile du Marais, marquage couleur, signet, coutures, et papier Munken Lynx.

L’auteur

Léon Collin est mort en 1970. Il a subi la boue des tranchées ; il a vécu la défaite de 1940 et l’occupation ; il a navigué sur toutes les mers du globe et a traversé la presque totalité de cet empire français où le soleil ne se couchait jamais. Il a 27 ans lorsqu’il débarque en Guyane en 1907. Il passera ensuite trois ans en Nouvelle-Calédonie, de 1910 à 1912. Rien pourtant ne prédisposait ce jeune médecin de l’armée coloniale, homme de son temps, un brin réactionnaire mais profondément humaniste, à affronter l’horreur du bagne. Qui aurait pu deviner que ce fils de négociant en vin serait marqué à vie par son expérience ?

Photographies inédites
Publication : avril 2015

Des Hommes et des bagnes - Guyane et Nouvelle-Calédonie, un médecin au bagne (1907-1912)
Tag(s) : #Bagnes coloniaux, #Médecine - Hôpital - Personnels - Santé - Sport
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