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Document archives du 1er novembre 2005 - C'est par les registres d'interrogatoire tenus par les inquisiteurs du XIIIe siècle que nous sont parvenus les secrets et rites du pacte avec l'enfer. On y apprend, entre autres, que si les bons chrétiens vont à confesse, les autres "baisent le cul" du Malin !

Jusqu'au XIIe siècle, ce que l'Eglise condamne n'est pas tant la pratique de la magie et de la sorcellerie que la croyance en leur efficacité. Reconnaître la puissance des magiciens, c'est reconnaître la réalité d'un pouvoir occulte échappant à la volonté de Dieu et au contrôle de l'Eglise. Les sorciers et les sorcières ne sont que des sots dupés par les illusions du diable. Ce sont les superstitions qu'ils entretiennent qui sont condamnables.

A partir du XIIIe siècle, tout change. Le tribunal de l'Inquisition, né de la constitution Excommunicamus du pape Grégoire IX en février 1231, prévu au départ pour lutter contre le développement des hérésies - notamment celles des cathares et des vaudois - est progressivement étendu aux sorciers et aux sorcières, considérés non plus comme des victimes plus ou moins consentantes du Malin, mais comme les membres d'une secte hérétique adoratrice de Satan.

C'est par les minutes des milliers de procès qui se sont déroulés, ainsi que par la multitude de traités de démonologie rédigés par les inquisiteurs à partir du XVe siècle, que l'on connaît avec une précision quasiment ethnologique les rituels et pratiques par lesquels on devenait sorcier ou sorcière, en faisant allégeance au diable, considéré à la fois comme Dieu - ou anti-Dieu - et comme pape. Il faut toutefois rappeler que ces textes, élaborés à partir de témoignages obtenus la plupart du temps sous la torture, sont hautement sujets à caution, et nous renseignent sans doute davantage sur les peurs et les fantasmes qu'ont pu inspirer les sorciers et les sorcières à leurs accusateurs que sur la réalité de leurs agissements.

Un formulaire d'interrogatoire, datant des alentours de 1270, nous apprend comment les prévenus sont censés devenir sorciers : ils abjurent leur foi en Dieu, renient leur baptême et rendent un culte aux démons, qu'ils évoquent pour en obtenir des services, et auxquels, en retour, ils offrent des sacrifices. Le pape Innocent VIII, dans une bulle du 5 décembre 1484, intitulée Summis desiderantes affectibus , précise que maintes personnes de l'un ou l'autre sexe deviennent sorciers ou sorcières en déviant de la foi catholique et en se livrant aux démons incubes et succubes : « Par leurs incantations, leurs charmes, leurs conjurations, par d'autres infamies superstitieuses et des sortilèges, par leurs excès, crimes et délits, elles font périr et détruisent les enfants des femmes, les petits des animaux, les moissons de la terre, les raisins des vignes, les vergers, les prairies, les pâturages, les blés, les grains, les légumes. Elles affligent et torturent les hommes, les femmes, les bêtes de somme, le gros et le petit bétail, tous les animaux par des douleurs et des tourments internes et externes. Elles empêchent les hommes de féconder, les femmes de concevoir, les époux de rendre à leurs épouses et les épouses de rendre à leurs époux les devoirs conjugaux. Et la foi elle-même, qu'elles ont reçue en recevant le saint baptême, elles la renient d'une bouche sacrilège. Elles ne craignent pas de commettre [...] d'autres crimes et excès infâmes, à l'instigation de l'Ennemi du genre humain, au péril de leurs âmes, en offense à la majesté Divine, en exemple pernicieux et au scandale de la plupart des gens. »

Dans cette même bulle, Innocent VIII confie à deux inquisiteurs dominicains, Jacob Sprenger et Heinrich Krämer, dit Institoris, le soin de corriger, emprisonner et punir toute personne coupable de sorcellerie dans six diocèses d'Allemagne occidentale et d'Autriche. Le fruit des multiples interrogatoires conduits par les deux frères donne lieu à la publication du Malleus Maleficorum , ou Marteau des sorcières , qui connut de multiples rééditions entre 1486 et 1669.

La bulle Coeli et terrae , rendue publique par le pape Sixte V le 5 janvier 1586 pour condamner la pratique de la magie, précise que les sorciers acquièrent leur pouvoir en passant un pacte avec l'enfer. Afin de trouver des trésors, deviner les choses cachées et commettre leurs crimes en toute impunité, ils concluent avec le diable un traité par lequel, en échange de leur âme, ils peuvent évoquer et consulter les démons, enfermés dans des anneaux, des miroirs ou des fioles.

Pour le démonologue Jean Bodin, auteur de La Démonomanie des sorciers (1582), il suffit, pour devenir sorcière, de se rendre coupable des quinze crimes suivants : renier Dieu ; blasphémer Dieu ; adorer le diable ; vouer ses enfants au diable ; sacrifier ses enfants au diable avant qu'ils ne soient baptisés ; consacrer ses enfants à Satan dès leur conception ; promettre au diable d'attirer tous ceux qu'elle pourra à son service ; se nourrir de chair humaine, de pendus et de cadavres frais ; jurer par le nom du démon ; ne respecter aucune loi ; commettre des incestes ; tuer les gens, les faire bouillir et les manger ; faire mourir les gens par poison et par sortilèges ; faire périr les fruits et causer l'infertilité ; se faire les esclaves du diable et copuler avec lui. Ceux qui sont marqués du « B » sont prédestinés à devenir sorciers : les boiteux, les bossus, les bègues, les borgnes et les bigles. On les reconnaît aussi à leur regard, louche et pénétrant, porteur du « mauvais oeil ».

Les sorciers se recrutent parmi les deux sexes, tous âges et couches sociales confondus, mais la très grande majorité d'entre eux se trouve dans les campagnes, parmi les femmes et les enfants. Jean Bodin estime ainsi qu'il y a cinquante sorcières pour un seul sorcier. Pour le médecin Jean Wier, auteur de De praestigiis daemononum (1564), cette surreprésentation féminine est due à l'emprise qu'a le diable sur « le sexe féminin, lequel est inconstant, à raison de sa complexion, de légère croyance, malicieux, impatient, mélancolique, pour ne pouvoir commander à ses affections, et principalement les vieilles débiles, stupides et d'esprit chancelant. » Certaines d'entre elles sont simplement des guérisseuses soignant avec les plantes, ou bien des sages-femmes que l'on soupçonne de dérober les enfants mort-nés pour alimenter leurs festins diaboliques.

Quant aux enfants, il s'agit la plupart du temps de filles, entraînées malgré elles au sabbat par une parente ou une voisine versée dans la sorcellerie, comme ce fut le cas de Jeannette d'Abadie, qui n'avait que seize ans lorsqu'elle fut conduite au sabbat par une certaine Gratiane. A Pierre de Lancre, juge de Bordeaux qui mena une longue enquête sur la sorcellerie dans le Labourd, dans la région de Bayonne, entre 1609 et 1610, et en tira en 1612 son fameux Traité de l'inconstance des mauvais anges et des démons , l'adolescente confia qu'« elle y vit le diable en forme d'homme noir et hideux, avec six cornes en la tête, parfois huit, et une grande queue derrière, un visage devant et un autre derrière la tête, comme on peint le dieu Janus, que ladite Gratiane l'ayant présentée, reçut une grande poignée d'or en récompense, puis la fit renoncer et renier son Créateur, la Sainte Vierge, les saints, le baptême, père, mère, parents, le ciel, la terre et tout ce qui est au monde, laquelle renonciation elle lui faisait renouveler toutes les fois qu'elle allait au sabbat, puis elle l'allait baiser au derrière ».

Les sorciers et sorcières ont en effet pour mission de recruter sans cesse de nouveaux adeptes. Ces derniers sont plus faciles à convertir dans le cercle des amis ou de la famille, ou parmi les enfants et adolescents. C'est ainsi que se créent, croit-on, des lignées de sorciers et surtout de sorcières se transmettant de mère en fille leurs secrets.

Il peut toutefois arriver que l'on devienne sorcier en recevant directement une visite du diable, à moins qu'on ne le croise la nuit dans un bois, à un carrefour ou dans un cimetière. A défaut, on peut forcer le diable à apparaître en traçant au sol un cercle magique et en prononçant des formules cabalistiques, ou bien en écartelant, à minuit sonnant, une poule noire volée sans qu'elle pousse un cri. Pour mener à bien ces évocations, il est préférable de suivre les recettes de quelque vieux grimoire de magie. Mais, comme le précise Claude Seignolle, grand spécialiste du démon et de la sorcellerie, dans Les Evangiles du diable , « ces vieux ouvrages sont rares et ceux qui les possèdent les cachent et ne veulent pas s'en dessaisir ».

Seignolle décrit un autre moyen d'évoquer le diable : « [...] le sorcier devait se munir d'un crapaud noir et d'une couverture d'étoupe de laine ou bourrat. Il étendait le bourrat au milieu de la croisée des chemins et promenait le crapaud dessus, en dessinant des cercles de plus en plus petits et qui rentraient les uns dans les autres, ou bien des croix s'entrecroisant. Aux douze coups de minuit, il s'écriait : "Diaut ! Diaut ! Tétragrammatos !" Soudain, il sentait un manche à balai se glisser entre ses jambes. Il était entraîné, en une sauvage chevauchée, à travers les éléments déchaînés, jusqu'au grand maître Asmodée qui, dans d'étranges cérémonies, lui révélait ses secrets. Puis, comme au sortir d'un rêve, le sorcier se retrouvait dans la clairière. »

Le même auteur cite le témoignage d'un cantonnier solognot contemporain, mais dont le savoir en sorcellerie remonte aux sources les plus anciennes : « [...] Pour obtenir le pouvoir c'est, ma foi, bien simple et si tout le monde le savait, il n'y aurait plus que des sorciers sur terre :on ne va pas à la messe pendant un an, puis, par une nuit noire, on va sur la route de Nancay, là où elle est droite à n'en plus finir et on marche au milieu aussi longtemps qu'on peut aller sans butter contre des bordures ; là on s'arrête, c'est l'endroit du rendez-vous fixé par le Père Zebul, alors on lui fait sa demande : "Père Zebul, donne-moi ce soir un peu de ton pouvoir et je te licherai le cul". »

Le diable peut prendre l'apparence d'un homme vêtu de noir, parfois de vert, ou bien d'un animal , généralement un chat noir - le bouc satanique étant plutôt réservé au sabbat. Le diable apparaît généralement à ceux qui sont dans le besoin ou le désespoir. Il compatit aux malheurs de ses futures victimes, leur promet de les venger de ceux qui leur font du tort ou de leur procurer la chance, l'amour et la fortune.

En échange de ces bienfaits, le diable fait signer à son nouveau vassal un pacte rédigé sur un parchemin vierge et signé de son sang, avant d'imprimer sa marque en quelque endroit du corps. Celle-ci est aisément reconnaissable par la forme qu'elle suggère : lièvre, patte de crapaud, chat noir ou chien. Indélébile, elle ne peut être effacée que par le démon lui-même. Cette « marque du diable », réputée insensible, est celle-là même que les inquisiteurs s'évertuent à découvrir sur le corps des sorcières présumées en leur enfonçant de longues aiguilles dans les moindres recoins de leur anatomie. Il suffit qu'un endroit ne saigne pas pour qu'ils en concluent qu'il s'agit bien de la marque infernale.

Le diable peut se contenter de souffler dans la bouche de sa victime, après lui avoir demandé si elle est prête à se donner à lui, comme cela est arrivé à Anne-Marie de Goergel, condamnée par l'Inquisition de Toulouse en 1335. Pour preuve de son allégeance à Satan, la sorcière se rendait la nuit sous le gibet afin d'arracher aux pendus leurs vêtements, leur corde, leurs cheveux et leur graisse lui permettant d'en tirer des sorts et des potions magiques. Quant à Catherine, épouse de Pierre Delort, condamnée la même année par le tribunal de Toulouse, elle fut entraînée à contracter un pacte avec Satan par un berger de la paroisse de Quint. Selon sa confession, obtenue sous les rigueurs de la question, la rencontre eut lieu à minuit, à la lisière d'un bois, près d'un carrefour. Elle se saigna au bras gauche « en laissant tomber son sang sur un feu alimenté par des ossements humains dérobés au cimetière de la paroisse ». Parut alors un démon « sous la forme d'une flamme violâtre » qui lui apprit l'art de fabriquer les poisons.

Un autre signe d'allégeance au démon consiste à lui baiser l'anus. Ce « baiser au derrière », hommage inversé du baiser sur la bouche donné par le féal à son seigneur, fait notamment partie de la liturgie satanique du sabbat.

Ainsi, une certaine Jeannette Relescée, battue par son mari, se rendit de nuit dans un bois pour quémander l'aide de Dieu ou du diable. Ce dernier lui apparut « en forme obscure, noire », et lui promit que si elle reniait Dieu et le choisissait pour maître, son mari cesserait de la battre. Jeannette s'empressa d'abjurer son baptême et prit Satan pour maître « en ly faisant hommage, le baisant au cul, et ly donnast d'enseigne troys poil de sa teste ». Convaincue de sorcellerie, elle ne tarda pas à être jugée et brûlée à Fribourg, en Suisse, en 1493.

Voici un autre exemple de possession volontaire attestée en Ecosse : pour s'abandonner au diable, l'apprentie sorcière doit se rendre sur une plage déserte par nuit de pleine lune, à mi-chemin entre marée basse et marée haute. A minuit, elle exécute trois tours sur elle-même dans le sens opposé à la trajectoire du soleil, pour affirmer son ralliement aux forces de la nuit. Puis, assise sur le sol, elle pose une main au sommet de son crâne et une autre sous la plante de ses pieds en prononçant neuf fois de suite les paroles suivantes : « Tout ce qui se trouve entre mes deux mains est au diable ! » Elle se trouve alors esclave de Satan.

L'on devient également sorcier en pratiquant des actes contre nature, par exemple en se livrant à l'anthropophagie. Au VIIIe siècle, le capitulaire des Saxons (vers 775-790) prescrit la peine capitale pour quiconque, trompé par le diable, et croyant que les sorciers et les sorcières mangent de la chair humaine, aura fait rôtir l'un d'eux et aura donné sa chair à manger ou en aura consommé lui-même.

La bulle Vox in Rama , fulminée par le pape Grégoire IX en juin 1233, décrit avec précision les rites d'intronisation par lesquels les sorciers se rendent coupables d'hérésie en devenant des adorateurs du diable lors d'une cérémonie d'initiation se déroulant dans une sorte de temple voué à Lucifer, l'ange de lumière échu : « Lorsque le novice entre dans cette demeure de perdition, c'est une sorte de grenouille, que d'aucuns appellent crapaud, qui lui apparaît en premier lieu. Les uns le baisent honteusement au derrière, les autres sur la bouche, prenant sa langue dans leur propre bouche et recevant sa bave. Cette bête apparaît parfois de sa taille naturelle ; d'autres fois elle est grosse comme une oie ou un canard ; le plus souvent elle a les dimensions d'un four. En avançant, le novice rencontre un homme étonnamment pâle, aux yeux fort noirs, tellement maigre qu'il paraît n'avoir que la peau sur les os. Le novice l'embrasse et le sent froid comme glace. Ce baiser lui fait perdre tout souvenir de la foi catholique. On passe ensuite à table. Puis on se lève, le repas terminé. Alors, d'une colonne, comme il en existe dans les salles de ce genre, descend à reculons un chat noir, de la grosseur d'un chien de taille moyenne, la queue relevée en arrière.

Le novice en premier, puis le maître, puis enfin chacun des autres assistants, selon son rang, le baisent, du moins ceux qui en sont dignes et parfaits. [...] Cela fait, les chandelles sont éteintes et l'on passe aux plus dégoûtantes oeuvres de la luxure sans distinguer entre parents et étrangers. Si les hommes sont en plus grand nombre que les femmes, ceux qui sont en surnombre satisfont entre eux leurs passions honteuses et de même, si des femmes se trouvent en surnombre, elles satisfont entre elles, contre la nature, leurs désirs coupables.

Puis, tous ces honteux plaisirs consommés et ces crimes si détestables accomplis, les chandelles sont rallumées et chacun reprend sa place. D'un coin obscur de la pièce, où ne manquent point les hommes les plus perdus, sort un homme au corps éclatant et plus brillant que le soleil au-dessus de la ceinture, mais au-dessous poilu comme un chat. Sa clarté illumine toute la pièce. Alors le maître, enlevant une partie des vêtements du novice, dit à cet homme lumineux : "Maître, je te donne ce qui m'a été donné." Et l'homme lumineux répond : "Tu m'as bien servi à plus d'une reprise, tu me serviras encore mieux, je confie à ta garde ce que tu m'as donné." Tout de suite après ces paroles, il disparaît. »

Les sorciers, entre eux, ont également recours à des signes de reconnaissance mais ces signes sont secrets et ne doivent pas être dévoilés. Pour se préserver de leurs manigances, en revanche, il est d'usage de placer sa main droite derrière le dos en repliant les doigts, à l'exception de l'index et de l'auriculaire, pointés vers le sol. On dit aussi que les sorciers transmettent leur pouvoir en mourant d'une simple pression de la main. Il est donc conseillé de ne jamais toucher la main d'un moribond, si l'on ne veut pas se retrouver sorcier malgré soi.


Comment vendre son âme au diable

01/11/2005 – Historia

http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=16653



En complément


Le Livre des talismans et des amulettes , de Claude Lecouteux (Imago, 2005).

Le Livre des grimoires , de Claude Lecouteux (Imago, 2005).

Magie et sorcellerie , essai historique, de Pierre-François Fournier (Editions Ipomée, 1979).

Histoire générale du Diable , de Gérald Messadié (Robert Laffont, 1993).


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