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Document archives du 1er février 2009 - Fruit de l'union d'Européens et d'Africaines, les « signares » vont régner sur le commerce, faisant la richesse de l'île de Gorée puis de Saint-Louis. Tout en jouant un rôle politique.

Tout commence au XVIe siècle. Des aventuriers juifs portugais, les Lançados (ceux qui se lancent à l'aventure), fuyant l'Inquisition dans leur pays, créent des comptoirs sur la côte du Sénégal, au sud de l'actuelle Dakar. Ils vont épouser les filles des chefs de villages de l'ethnie Sérère. Les mulâtresses nées de ces unions, les signaras , c'est-à-dire dames en portugais (signare en français), occupent très vite le premier rang dans la société métisse. On les voit dominer le commerce des cuirs, des cotonnades, de l'indigo, des épices, du sucre. Elles possèdent une flotte marchande composée de cotres, petits navires de six mètres de long, équipés d'une voile triangulaire pour la navigation en mer, et de rameurs pour remonter le fleuve Sénégal. Ces bateaux pratiquent le cabotage et échangent jusque dans les comptoirs de Gambie et de Guinée, des marchandises acheminées depuis l'intérieur du pays.

Une société dynamique, libre dans ses croyances entre judaïsme et animisme, entretenant de bons rapports avec les rois noirs de l'intérieur des terres, ouverte sans exclusive au commerce, se développe. Sa prospérité attise les convoitises. En 1677, les Français chassent définitivement du Sénégal les Portugais et les Hollandais, également présents. La France devient la puissance dominante. Le catholicisme s'impose peu à peu.

Les plus puissantes font et défont les gouverneurs

Ce monopole français sur tout le commerce déstabilise le négoce des cotonnades et des cuirs contrôlé par les signares à destination de l'Europe et notamment de la Hollande. De nombreuses femmes émigrent, dans un premier temps, au sud, en Gambie et en Guinée, où les Anglais pratiquent un commerce très libéral. Dans un second temps, elles rejoignent, au nord, l'île de Gorée, à l'intérieur de la presqu'île du Cap-Vert, puis le comptoir de Saint-Louis à l'embouchure du Sénégal, au début du XVIIIe siècle.

Pendant ce temps-là, le développement des plantations de cannes à sucre aux Antilles s'accompagne d'un besoin grandissant en main-d'oeuvre. La France voit dans la Sénégambie (Sénégal et Gambie) l'occasion d'instaurer une traite négrière à grande échelle. Mais les signares mettent en échec cette politique en rachetant aux négriers du royaume du Cayor et aux différentes compagnies françaises se livrant à la traite, les indigènes capturés. Cette pratique explique pourquoi les esclaves originaires du Sénégal ne constituent qu'un très faible pourcentage, comparé à celui issu de la côte dite des Esclaves (du Bénin à l'actuel Nigeria). Passant du statut d'esclaves à celui de « captifs de case », c'est-à-dire de domestiques protégés et nourris, ces « bien-aimés » sujets travaillent pour les signares ou sont loués à l'extérieur pour des tâches diverses : réparations, charpenterie navale, domesticité, équipage sur les bateaux remontant le fleuve. Certains se spécialisent dans le tissage, l'orfèvrerie, la cordonnerie, la tannerie.

Gorée s'urbanise : 23 maisons en pierres construites à l'occidentale en 1779 ; 81 en 1784. Maîtres maçons et charpentiers, venus de France et d'Italie, forment cette main-d'oeuvre rachetée aux techniques architecturales. Ces demeures connaissent une vive animation. D'une manière générale, les rez-de-chaussée servent au stockage des marchandises : gomme arabique (extraite de l'acacia et utile à maints usages), cuirs, indigo. Le premier étage est occupé par les familles propriétaires, à l'exemple de Caty Louet, la plus riche signare de Gorée au XVIIIe siècle. Elle possède une propriété bâtie de 4 000 m2 sur laquelle vivent 64 captifs de case. Son pouvoir va jusqu'à influencer la nomination des gouverneurs du Sénégal ou leur maintien dans le poste.

Leur mariage avec des Blancs est reconnu par l'Église

Anne Pépin est tout aussi puissante. Ses amours avec le chevalier de Boufflers ont contribué à la rendre célèbre (lire Historia n° 739). Mais d'ordinaire les signares épousent des mulâtres, pratiquant ainsi une endogamie destinée à préserver leurs intérêts économiques en évitant le dispersement des biens. Mais 10 à 15 % des mariages se font avec des Occidentaux (français ou anglais) convoités pour leur position dans l'administration royale. Le fait que ces contrats de mariages soient à durée déterminée - « à la mode du pays » -, montre bien qu'il s'agit d'unions de circonstance destinées à créer d'avantageux réseaux. Ainsi s'organise un trafic - non déclaré - de gomme arabique et d'or, expédiés aux frais des compagnies commerciales françaises, entre Gorée et les familles des époux demeurant en France. La signare achète et stocke la gomme arabique, le mari permet son embarquement en contrebande et sa revente en Europe.

Ces unions, reconnues par la monarchie française et par l'Église, impliquent la protection des héritiers et la reconnaissance de leurs droits en matière d'héritage. Liens familiaux étroits et convergences d'intérêts expliquent les faveurs exceptionnelles et uniques dans l'histoire des rapports entre la métropole et les territoires coloniaux dont bénéficient les signares. En effet, l'administration royale n'a de cesse de recommander « douceurs et persuasion » à leur encontre. Dans le même temps, une discrimination sévère à caractère social, mise en place par les signares, interdit aux « Français de bas étage », « petits Blancs », matelots et autres subalternes, de courtiser les captives de case. Le XVIIIe siècle est l'âge d'or de cette confrérie seule habilitée à prendre les décisions pour la communauté, et qui se retrouve encore aujourd'hui, sous d'autres formes, dans toute l'Afrique de l'Ouest. Les hommes, maris ou fils, travaillent pour le compte de leur épouse ou mère. Ils sont en moyenne cinq fois moins riches que leurs épouses.

De 1809 à 1817, les Anglais occupent les comptoirs du Sénégal, avant le retour de la France, qui s'accompagne d'une nouvelle politique des terres. Alors que Gorée est surpeuplée, Saint-Louis - qui n'est alors qu'un villag -, offre des possibilités d'expansion que le gouverneur Schmaltz, et son successeur, le baron Roger, entreprennent de développer entre 1817 et 1828. Une partie des grandes familles de signares émigre dès lors de Gorée à Saint-Louis. Leurs capitaux vont financer l'urbanisation et l'économie de la ville. Des dizaines de belles maisons en briques sont construites le long de rues se coupant à angle droit. Sous l'impulsion du prince Louis Napoléon Bonaparte, élu président de la République en 1848, l'essor de la cité se poursuit. Le futur Napoléon III souhaite en faire une véritable capitale d'Empire. Saint-Louis « la roturière » prend sa revanche sur Gorée « l'aristocrate ». La politique des comptoirs marchands côtiers laisse place à une vraie colonisation agricole. Le commerce de la gomme est supplanté par celui de l'arachide, cette précieuse légumineuse permettant la fabrication d'une huile utile pour l'alimentation et l'industrie. Avec l'arrivée du général Faidherbe en 1854, comme gouverneur du Sénégal, la conquête des royaumes noirs de l'intérieur est lancée. Il s'installe et prend ses fonctions à Saint-Louis, capitale du tout jeune empire colonial français d'Afrique : un nouveau Sénégal se met en place. Cette colonisation modifie les mentalités.

Elles perdent leur pouvoir à la fin du XIXe siècle

Les « petits blancs », venus faire fortune dans les colonies, font preuve de mépris et d'arrogance envers « les indigènes », noirs et métisses confondus. L'application des lois françaises affaiblit le pouvoir des signares. À la suite de l'abolition de l'esclavage en 1848, le gouvernement a convaincu les propriétaires de captifs de case d'accepter qu'une part des dédommagements prévus soit convertie en actions de la toute jeune Banque du Sénégal. Les signares actionnaires sont vite mises en minorité face aux actionnaires blancs. Leur crépuscule concorde aussi avec l'ascension d'un pouvoir patriarcal de cette seconde moitié du XIXe siècle. [Le code civil interdit aux femmes de commercer avec l'étranger sans l'autorisation de leur mari.] Partout le pouvoir matriarcal des signares est battu en brèche. L'endogamie, qui l'avait préservé, se disloque. Les mariages des enfants mulâtres avec des familles bordelaises accélèrent la disparition de leur puissance économique.

Aujourd'hui, le souvenir des signares se perpétue lors du Fanal (carnaval) de Saint-Louis, qui se tient en décembre. Un défilé nocturne, envahit les rues au son des djembés et des chants, illuminé par des lampions confectionnés par les habitants. À l'origine, ces lampions étaient portés par les serviteurs pour éclairer le parcours emprunté par les signares se rendant à la messe de minuit. Fidèle à la grande époque, cette manifestation est l'occasion d'un concours d'élégance féminine entre les différents quartiers de Saint-Louis.

Par Françoise Labalette



Des élégantes à la mode de Paris

Ces femmes portent une haute coiffe en tissu, pointue comme un hénnin, élégamment drapée et nouée, qui évoque à la fois la tiare papale (la plupart sont catholiques) et la coiffure des femmes sérères de la petite côte. Elles pratiquent un art de vivre luxueux, tourné vers l'Occident. Abraham Gradis, juif portugais réfugié à Bordeaux, est leur principal fournisseur en produits de luxe entre 1763-1777. Elles lui commandent, parfums, perruques, robes à la mode de Versailles, meubles, produits pour les arts de la table. L'influence de la mode française est prégnante. Plus tard, les nouveautés des grands magasins parisiens, le Bon Marché, la Samaritaine, se retrouvent dans ces riches demeures de comptoirs africains. Les folkars (bals ou réceptions) où les mulâtresses, parées, maquillées, rivalisent d'élégance, ponctuent la vie de cette société. Leurs mains, bras, oreilles sont chargés de bijoux en or massif qu'elles font fondre régulièrement afin de créer de nouveaux modèles. Elles sont chaussées de babouches en maroquin, et portent un grand morceau de tissu jeté sur l'épaule gauche rappelant le sari indien. Ce raffinement, ce souci de la parure et de la distinction, qui caractérisent les signares, se retrouvent chez les captives de case, qui portent des colliers de grains de corail, d'ambre, de grelots d'or et d'argent. Leurs cheveux sont frisés en petites boucles flottantes sur le cou, le bord de leur paupière noirci, l'intérieur des mains, les ongles, les pieds teints en rouge incarnat. Le rang et la richesse d'une signare s'évaluent au nombre de captifs qui l'entourent. Le statut de signare se transmet de la mère à la fille.

LA SÉNÉGAMBIE

Si les Hollandais bâtissent un fort sur l'île de Gorée en 1617, les Français choisissent de s'établir à l'embouchure du fleuve Sénégal en 1639. C'est seulement vingt ans plus tard qu'ils y fonderont Saint-Louis (Dakar, actuelle capitale, ne sera créée qu'en 1857). Pendant ce temps, les Anglais ont entrepris, eux, de remonter la Gambie, pour s'établir sur une île du fleuve et d'y fonder Saint James en 1661. Au XVIIIe siècle, Français et Britanniques se disputent Gorée et Saint-Louis, qui seront attribués à la France par le traité de Versailles de 1783 alors que la Gambie, avec sa nouvelle capitale, Banjul, reviendra à la Grande-Bretagne. Les frontières entre le Sénégal et la Gambie seront fixées seulement en 1889.

Les dames métisses au pouvoir

01/02/2009 - Historia

http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=24797

 

Histoire de Gorée

http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-30224767.html

 


Jean-Luc Angrand est issu de la plus ancienne minorité métisse d'Afrique qui naquit au Sénégal au XVIe siècle avec l'arrivée des premiers explorateurs du prince Henri le navigateur, sur la petite côte du Sénégal; souvent des juifs portugais. Il retrace dans " Céleste ou le temps des signares " la période matriarcale de cette minorité, appelée " temps des signares ".

 

Les signares, maîtresses-femmes métisses, commencent leur règne au XVIIe siècle qui s'achèvera avec le début de la colonisation au XIXe siècle et l'application du terrible code civil français qui transformera les filles des fières matriarches des comptoirs du Sénégal (Gorée et Saint-Louis) en femme mineur à vie, à la façon de la métropole.

Les signares, réputées pour leurs beautés envoûtantes et leurs habilités au commerce, amassèrent des fortunes colossales et développèrent un art de vivre somptueux durant trois siècles. Entre coquetterie quotidienne, fêtes dominicales et entretien de suites grouillantes de petites captives richement parées, elles menèrent des vies de business woman, de chefs de familles et de femmes fatales, cultivant à l'extrême la sensualité.

" Il n'y a guère de maîtres ou chefs parmi les nègres et les mulâtres, mais des maîtresses. "
ARMENY DU PARADIS, gouverneur du Sénégal, 1778.

 

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