21/10/2013 - Cela fait une quinzaine d'années que je tente de définir ce que l'on a coutume d'appeler le Milieu ou le grand banditisme. A mes risques et périls. Mes sources ? Des dossiers judiciaires évidemment mais surtout le témoignage, rare et précieux, de truands chevronnés qui m'ont fait découvrir l'envers du décor, l'art de la guerre ou les coups de vice qui hantent la véritable histoire du Milieu.
Un an avant l'assassinat d'Antoine Sollacaro, l'avocat des nationalistes corses, en octobre 2012, j'ai accompagné Karim Maloum, célèbre braqueur de la Dream Team, dans sa cavale de «voyou». Qui veut le tuer et pourquoi ? Embarqué au côté du fugitif, il ne m'a pas fallu longtemps pour voir surgir des noms qui chantent du Milieu, ceux que l'on présente comme des «parrains» corses. La cavale de Maloum, premier chapitre exclusif du livre, m'a donné l'occasion de reprendre la chronologie des dernières affaires, de la Corse à Paris.
Cercles de jeu, clientélisme politique, rackets, assassinats, escroqueries à la TVA, guerre des polices... Ici tout est vrai, rien n'a été inventé. Les Héritiers du Milieu est le récit d'événements que je donne à voir ou à revoir selon un point de vue qui n'est pas conventionnel, encore moins politiquement correct. Le visage de la vraie «mafia», celle qui en France ne dit jamais son nom.
Thierry Colombie est l'auteur de livres de référence sur le Milieu français, dont Le Belge (Stock, 2002 et 2003), Beaux voyous (Fayard, 2007) ou French Connection (Non Lieu, 2012).
Thierry Colombié - Docteur ès sciences économiques à l'EHESS, chercheur associé au CNRS et journaliste, Thierry Colombié est l'un des meilleurs experts du Milieu français. Il est notamment l'auteur de Le Belge, une biographie du fameux parrain marseillais (Stock, 2002, 2003), Beaux voyous (Fayard, 2007) et Stars et truands (Fayard, mars 2013).
- Les courts extraits de livres : 21/10/2013
Extrait de l'introduction
«Le phénomène mafieux en France est perçu simplement comme quelque chose d'extérieur, qui n'envahit pas trop le pays et en sort très vite. Mais en fait ce n'est pas du tout le cas, la France est un carrefour fondamental du narcotrafic, les polices le savent très bien, et je ne peux pas imaginer que l'État ne s'intéresse pas à la quantité d'argent qui circule en France. Il y a une raison à cela : c'est que les anciennes colonies françaises subsahariennes sont les endroits d'où la cocaïne part, pour arriver en France. Et si on écoute les politiciens, on a l'impression qu'il s'agit de faits divers, de petites histoires de dealers, alors qu'il s'agit en réalité d'un trafic de grande envergure : on parle ici d'argent qui rentre dans les banques et dans les entreprises. C'est pour ça que j'estime que la tolérance du gouvernement français sur ce sujet est très grande, trop grande. J'ai le sentiment que Sarkozy [alors président de la République] n'agit pas sur la question des mafias pour ne pas attirer l'attention sur ce problème. Si on trouve de l'argent sale, on peut forcément en trouver encore plus ; on ouvre alors la boîte de Pandore. Ce n'est pas pour rien, je pense, que Ferdinando Cifariello, l'un des plus importants chefs du clan camorriste Di Lauro, s'était installé à Nice. Pour que quelque chose se passe en France, il faudrait qu'un juge soit tué. Par exemple, le juge Falcone, qui a été assassiné et dont je parle dans mon livre, disait que pour que l'on commence à combattre la mafia il faut qu'il y ait des morts symboliques. Il n'y en a pas eu en France ces dernières années. [...] L'objectif du gouvernement français est que les entreprises basées sur le territoire paient des impôts. Mais ça ne les intéresse pas, en revanche, de savoir d'où cet argent arrive. Pour les banques, le problème principal est qu'avec la crise financière les défenses immunitaires de l'État ont beaucoup baissé. Cette tolérance à l'égard des mafias via le système financier est due au fait qu'elles disposent de beaucoup de liquidités dans ce contexte économique déprimé. [...] Pietro Grasso, le chef de l'antimafia en Italie, a déclaré que des groupes mafieux qui disposent de près de 500 milliards d'euros sont en train d'investir des sommes colossales en France. On aurait pu s'attendre à ce que le Président français prenne position, déclare que cet argent ne rentrerait jamais en France. À l'inverse, cette nouvelle a été entourée d'un silence assourdissant. En France, la mafia n'est pas une thématique de campagne forte, on préfère se focaliser sur la question de l'immigration. En Italie, il y a une loi qui prévoit que l'on est coupable si l'on est simplement en relation avec la mafia ; en France, cette loi n'existe pas : pour être reconnu coupable, il faut faire partie d'une mafia, et pas simplement y être "affilié". Paradoxalement, la police française fournit énormément de données. Et les politiques n'en font rien. Idem pour les journaux. Au final, c'est le film de Jacques Audiard, Un prophète, qui a peut-être fait le plus ces dernières années pour parler du problème des mafias dans votre pays.»