La Maison d’éducation de Vennes, dans les hauts de Lausanne, était l’institution officielle vaudoise réservée aux garçons adolescents placés par les autorités judiciaires ou civiles. Fondée au XIXe siècle, elle est transformée au milieu du XXe siècle et devient une institution reconnue et dynamique.
Mais elle subit une crise majeure à l’époque de la publication de L'antichambre de la taule, en 1978, et une restructuration est mise en place; celle-ci échoue partiellement, l’Internat est supprimé, mais la formation professionnelle en externat se développe et l’institution devient le Centre d’orientation et de formation professionnelles (COFOP) en 1987.
L’histoire de ce lieu d’enfermement est empreinte d’inertie; elle est pourtant jalonnée de réformes, inspirées par l’évolution des conceptions pédagogiques et judiciaires; mais elle est aussi tumultueuse, avec des drames individuels, des scandales publics, des campagnes de presse qui la noircissent.
Cet ouvrage met, plus largement, en évidence la problématique complexe de l’enfermement et de l’éducation des adolescents délinquants ou inadaptés en présentant des situations concrètes. Enfin, quelques trajectoires individuelles sont esquissées grâce aux dossiers d’élèves constitués depuis les années 1930.
Richement illustré et très agréable à lire, ce livre intéressera tant historiens, professionnels du social que le grand public motivé par le sujet.
Voici un ouvrage qui nous vient de Suisse romande. Geneviève Heller, historienne (Haute école de travail social et de la santé), membre de notre association, s’est intéressée à l’histoire d’une institution pour jeunes délinquants presque bicentenaire. Ouverte au début du XXe siècle comme colonie agricole, elle devient école de discipline et école de réforme. Cette institution, qui fut apparentée aux bagnes d’enfants, devient en 1941 la maison d’éducation de Vennes, préfigurant le nouveau code pénal suisse pour mineurs de 1942 ; l’éducation prime sur le volet répressif.
Après une histoire mouvementée, l’établissement a son apogée dans les années 1950-60. En 1983, Vennes ferme son internat pour se consacrer uniquement à la formation professionnelle pour mineurs délinquants dans le cadre du Centre d’orientation et de formation professionnelle (COFOP).
La première partie de l’ouvrage porte sur l’évolution - oh combien complexe! - de cette institution, du XIXe siècle à aujourd’hui. La seconde partie, plus thématique, montre combien dans les années 1930-60, s’opèrent les différentes réformes dans la prise en charge des jeunes: l’évolution de l’architecture de l’établissement, l’usage du cachot et des autres punitions, la primauté de la formation professionnelle et de la pédagogie des loisirs. Une troisième partie porte plus particulièrement sur les dossiers des élèves, leur trajectoire, leur vécu avant et pendant leur séjour.
Ceci n’est pas une prison constitue un ouvrage très riche, très dense qui intéressera aussi bien l’historien que le pédagogue. Claude Pahud, qui fut un des fondateurs de l’école d’éducateurs de Lausanne, évoque dans sa préface la récente décision du Grand Conseil vaudois de créer un établissement de détention pour mineurs inspiré par les modifications du droit pénal des mineurs, entrées en vigueur le 1.1.2007. La maison d’éducation de Vennes disparaît dans cette "tourmente". Avec Claude Pahud, nous ne pouvons que constater combien l’histoire se répète.
Jacques Bourquin, Pour l'histoire de l’Association pour l’histoire de la Protection judiciaire des mineurs, no 60, automne 2012
Il n'est pas exagéré de dire que Geneviève Heller a renouvelé l'approche historique en Suisse romande. Sa thèse très remarquée, Propre en ordre, portait sur les conditions d'habitat et d'hygiène à Lausanne, mais aussi sur l'idéologie de la propreté comme moyen de moraliser et de contrôler les classes populaires. Puis l'historienne a consacré de nombreux ouvrages à la santé et à la maladie (cures d'hygiène, tuberculose, débats sur l'eugénisme), ainsi qu'à l'école, à l'enfance et à l'adolescence, en particulier aux jeunes délinquants.
Son dernier ouvrage, au titre ambigu et un peu ironique, Ceci n'est pas une prison, s'inscrit dans cette ligne. L'auteure se penche ici sur les deux siècles d'histoire de la Maison d'éducation de Vennes. Celle-ci, plus connue sous le nom des Croisettes, avait à l'époque où j'étais gosse la réputation d'un bagne pour enfants, et tenait lieu d'épouvantail censé préserver du crime!
Dans la première partie de l'ouvrage, C. Heller fait l'historique de l'institution. Ses appellations successives témoignent de son évolution, et de ses progrès cahotants. La Discipline pour garçons (la bien nommée!) naît en 1846 et gardera ce nom jusqu'en 1901. Elle abritera, selon les années, entre une vingtaine et une soixantaine d'individus "vicieux" ou délinquants, souvent issus de familles nombreuses vivant dans des conditions sociales misérables, où dominent le chômage, la violence, l'alcoolisme. La Discipline revêt la forme d'une colonie agricole. Cela d'une part pour en limiter les frais de fonctionnement, d'autre part parce que les activités agricoles sont censées inculquer à ces garçons difficiles une discipline de travail. Elles occupent une place centrale, à côté de l'instruction religieuse et primaire. Mais elles s'inspirent aussi des théories pédagogiques (rousseauistes) de Pestalozzi. G. Heller montre comment ce modèle des colonies agricoles a pu générer en Europe la création d'institutions remarquables, souvent plus novatrices que celle des hauts de Lausanne. Aux Croisettes, la journée est longue et dure: lever à 4h30 du matin, coucher à 9h du soir, sans parler de l'enfermement et des multiples formes de punitions (isolement, cachot, tonte à ras, fouettée à nu des évadés, les peines corporelles étant pourtant officiellement interdites). En 1901, la Discipline devient l'Ecole de réforme. Le changement de terminologie traduit un début d'évolution. Mais il faudra attendre les années 1940 pour que le canton de Vaud entreprenne de véritables modifications profondes du régime concernant les mineurs. En 1941, l'institution change à nouveau de nom et devient la Maison d'éducation de Vennes. Ce changement va de pair avec l'adoption du Code pénal suisse du 21 décembre 1937, qui n'entrera cependant en vigueur qu'au 1er janvier 1942. Une série d'articles y sont consacrés aux mineurs, mettant l'accent sur l'observation et l'éducation. Ces textes sont complétés par la Loi vaudoise sur la juridiction pénale des mineurs du 3 décembre 1940.
Mais que sont les articles de loi sans les hommes qui les mettent en pratique? Or l'institution de Vennes a bénéficié de la présence successive de trois directeurs aux grandes qualités pédagogiques et humaines. Le premier fut Henri Bourquin, directeur de 1940 à 1948. Faisant le constat de l'état de délabrement et de la médiocrité de l'encadrement de la maison dont il hérite, il affirme que Vennes "ne doit plus être un pénitencier pour enfants, mais une institution de rééducation". Il lui insuffle un esprit nouveau. Son ère se termine pourtant tragiquement: accusé d'actes de nature pédophilique, Henri Bourquin se suicide par noyade. Signalons que cette affaire a fait grand bruit, et que la Voix Ouvrière y joua un rôle important. Ses deux successeurs de 1949 à 1967, le Dr Jacques Bergier, pédopsychiatre, puis l'instituteur Paul-Eugène Rochat, marqueront "l'apogée" de l'institution, même si ce qualificatif serait certainement récusé par nombre de ses pensionnaires!
Puis Vennes connaîtra une "lente régression", due autant aux qualités insuffisantes de son nouveau directeur qu'à l'esprit du temps, qui est à la contestation post-soixante-huitarde, à la vogue des pédagogies non directives et à la dénonciation des méthodes disciplinaires, dans l'esprit de Michel Foucault. C'est l'époque ou Michel Glardon et le Groupe action prison (GAP) dénoncent les conditions de détention, et où Rolf Kesselring, qui a passé par Vennes, écrit L'Antichambre de la taule. Le terme "Maison d'éducation", trop connoté, disparaît donc en 1981 au profit de celui de Centre cantonal de Vennes. Enfin l'institution, comme l'internat, disparaît en 1987. Elle est remplacée par le Centre d'orientation et de formation professionnelles (COFOP).
La deuxième partie de l'ouvrage adopte une démarche thématique. On y lira des chapitres sur l'architecture (avec atténuation progressive de l'aspect carcéral) ou sur le personnel, qui évolue du "gardien" ou "geôlier" (à l'origine de simples domestiques agricoles) vers la fonction d'éducateur spécialisé. Il faut souligner ici le rôle éminent joué par Claude Pahud, également fondateur de l'Ecole sociale souvent appelée de son nom. D'autres chapitres sont consacrés aux punitions, et à la "laborieuse mise en place de la formation professionnelle" : l'apprentissage de métiers artisanaux, puis de la mécanique va peu à peu remplacer le travail agricole devenu obsolète, et peu adapté à une clientèle surtout urbaine. Enfin, dans des pages partiulièrement intéressantes, l'auteure se penche sur les loisirs (sports de groupe, excursions, bricolage, théâtre, etc.), longtemps considérés comme un luxe inutile dans un "lieu de pénitence", alors qu'ils jouent un rôle fondamental de resocialisation.
Une troisième partie, au delà des articles de lois et des statistiques, est consacrée aux personnes, à ces vies de jeunes bouleversées qui apparaissent au travers des dossiers des pensionnaires: autant de destins individuels souvent poignants. Cette étude sur Vennes fait particulièrement sens, alors que l'ouverture d'une prison pour adolescents à Palézieux est prévue en 2013. Voilà donc un ouvrage qui devrait impérativement être lu par tous les travailleurs sociaux en contact avec la jeunesse "difficile", mais qui intéressera aussi un public plus large, soucieux des problèmes d'éducation et de société.
Pierre Jeanneret, Gauchebdo, 21 septembre 2012
À l’heure où la construction d’une prison pour adolescents à Palézieux, dans le canton de Vaud, est en chantier (ouverture prévue en 2013), la sortie de l’ouvrage de Geneviève Heller sur l’histoire de la Maison d’éducation de Vennes arrive à point nommé. En effet, en écho à l’obsession sécuritaire qui traverse actuellement notre société, on assiste à la réémergence de structures "paracarcérales" destinées aux adolescents, structures qui ont pour ambition de tenter une conciliation entre une finalité de contention et un contenu se voulant éducatif. La prison pour adolescent·e·s prévue par le nouveau code pénal des mineurs de 2007 en sera le "fleuron" et peut-être avec elle la répétition de l’histoire....
Profitant de la récente ouverture des archives de la Maison d’éducation de Vennes, Geneviève Heller livre une étude fouillée, minutieuse et nuancée de cette institution d’Etat qui vit le jour au début du XIXe siècle sous le nom de Discipline. Installée depuis 1805 dans les bâtiments de l’hôpital cantonal à la Mercerie, au pied de la Cathédrale, la Discipline était destinée à l’origine à accueillir des jeunes mis en "correction paternelle" à la demande de leur tuteur ou parent. Garçons et filles cohabiteront jusqu’en 1846 avec des adultes malades, prisonniers et aliénés, avant que cette promiscuité ne soit jugée inacceptable et que soit créée à l’intention des garçons la Discipline des Croisettes, située sur les hauts de Lausanne. Conçue sur le modèle de la colonie agricole alors en vogue en Europe, tenant à la fois de l’asile des pauvres et de la prison, cette institution va avoir progressivement pour principale vocation d’accueillir des placements pénaux, même si elle continuera à être également utilisée pour des placements civils. Les filles attendront encore vingt-cinq ans avant d’être transférées à Moudon. La Discipline des Croisettes changera d’appellation et deviendra successivement l’Ecole de réforme en 1901, la Maison d’éduc- ation de Vennes en 1941 et s’éteindra en 1983, après quelques soubresauts, sous l’appellation de Centre cantonal de Vennes (1981), en abandonnant définitivement sa mission d’internat pour devenir, en 1987, un centre de formation professionnel pour les jeunes en difficulté (COFOP).
L’ouvrage est divisé en trois parties. À travers le portrait des différents directeurs qui ont marqué l’institution de leur personnalité, une première partie, consacrée à son histoire, porte plus particulièrement l’attention sur deux périodes charnières: les années 1940 et la période allant de 1970 à 1987.
Les années 1940 voient l’introduction d’un nouveau code pénal ainsi que l’émergence d’instruments spécifiques pour les mineurs (Chambre pénale des mineurs, Office cantonal des mineurs, Office médicopédagogique). Elles obligent l’institution à entamer des réformes entre les années 1930 et 1970 pour s’adapter aux modalités d’une éducation moderne. Les années 1970 à 1987 seront le théâtre d’une remise en cause de l’institution par des professionnels de l’action sociale, des acteurs de la société civile et politique et aboutiront à la fin de l’unique institution publique de rééducation en Suisse romande.
Une deuxième partie est consacrée à une approche thématique et aborde les différents registres (architecture, catégories d’élèves, personnel éducatif, cachot, formation professionnelle, loisirs) sur lesquels l’institution a opéré des réformes entre les années 1930 et 1960. La dernière partie porte plus spécifiquement sur les dossiers des élèves et permet, au travers des traces qui en subsistent, de faire émerger l’histoire singulière.
Par le titre de son ouvrage, Ceci n’est pas une prison, l’auteure met en lumière l’ambiguïté d’un établissement qui tentera, tout au long de son existence, de se détacher des stigmates de son passé et de se démarquer de sa parenté avec la prison, tout en faisant appel, en mimétisme, aux pratiques du milieu carcéral et à l’arsenal prévu par le Code pénal suisse. Mais jusqu’à sa fermeture, en 1981, ces références seront indissociables du vocabulaire pénitentiaire (on parlera de semi-liberté) comme du choix de ses pratiques coercitives à l’égard de jeunes en infraction avec son règlement (placement en section fermée ou en chambre forte). Située au niveau de la micro-histoire ou de l’histoire locale, la monographie de Geneviève Heller donne accès de manière concrète à l’évolution de la problématique du placement institutionnel et plus particulièrement de la prise en charge des mineurs délinquants et de ses enjeux politiques. Elle aborde de manière détaillée la confrontation de l’institution, durant les années 1970, aux changements sociaux (apparition de la drogue, contestation de l’autoritarisme) et à la remise en cause des pratiques disciplinaires et plus largement des placements institutionnels.
En 1978, le Groupe information Vennes publiera un document, L’Antichambre de la Taule (Lausanne, Éditions d’en bas, 1978, épuisé), donnant la parole aux jeunes de Vennes, et mènera une campagne pour la fermeture de cet établissement. Sa démarche s’inscrivait dans le mouvement initié par la Heimkampagne pour ce qui est de l’Allemagne et de la Suisse allemande et par le Groupe information prison, emmené par Michel Foucault, pour ce qui est de la France. La Suisse romande fut quant à elle marquée par l’action du Groupe action prison et l’engagement du fondateur des Editions d’en bas, Michel Glardon.
La chute de Vennes fut "facilitée" par la personnalité contestée, y compris par les autorités de placement, de son dernier directeur, Jacques Tuscher (1967-1979). Mais l’issue du combat qui aboutit à la fin de Vennes fut aussi le résultat d’un jeu de "contre-alliances" politiques. La droite du Parlement cantonal, toujours prête à faire des économies dans le social et tenante d’une éducation plus répressive, s’empara du dossier et acheva, avec la complicité des autorités judiciaires, la lente agonie de cette institution d’Etat. Elle s’opposera à une restructuration défendant une relation personnalisée à l’égard des adolescents difficiles.
Près de trente ans se sont écoulés depuis...durant lesquels l’offre des prises en charge pour les jeunes en difficulté s’est étoffée, diversifiée, pour tenir compte des problématiques auxquelles ces adolescents sont confrontés et pour se sortir de la tentation du modèle punitif et d’exclusion. Mais l’imaginaire du modèle répressif n’a pas pour autant cessé de hanter la salle des pas perdus.
Car si l’histoire ne se répète jamais vraiment, elle bégaie parfois. En 1900, la Discipline des Croisettes se dota d’un nouveau bâtiment construit en parallèle avec ceux de la prison de Bochuz et du Bois Mermet. En 2013, le pénitencier pour mineurs qui s’inaugurera à Palézieux n’aura rien à envier sur le plan de l’équipement sécuritaire avec une prison pour récidivistes.
Muriel Testuz, Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier, N°28/2012: "Des grèves au pays de la paix du travail"
En couverture du livre, la photo d’un intérieur carcéral (couloirs courant le long de murs percés de portes toutes semblables, et, entouré de barrières, un vide central donnant sur l’étage inférieur). Au-dessus, le titre: Ceci n’est pas une prison. La référence à Magritte, plus qu’un clin d’œil, fait référence à l’ambivalence fondamentale de l’institution, à son cheminement lent et jamais abouti de la répression à la réintégration.
L’ouvrage de Geneviève Heller, que viennent de publier les Editions Antipodes, est consacré à l’institution vaudoise de détention des mineurs délinquants, plus connue sous le nom de Maison d’éducation de Vennes.
La première partie est historique, l’auteure étudie différents avatars et tribulations de cet établissement de placement forcé, pendant les deux siècles de son existence. La seconde partie, thématique, s’attache prioritairement à certains aspects de la vie dans l’institution, à partir des années 1930 jusqu’à sa fermeture en 1987: architecture, personnel éducatif, punitions, formation professionnelle, loisirs. Les derniers chapitres, impressionnants, nous donnent des aperçus de quelques trajectoires individuelles de garçons internés. Dans l’ensemble de l’ouvrage, les citations sont nombreuses, éclairantes.
L’intérêt du travail de Geneviève Heller est double. Il s’agit tout d’abord de la première monographie consacrée à la Maison d’éducation de Vennes, cible de nombreuses polémiques au cours de son histoire, mais qui n’avait jusqu’à aujourd’hui pas fait l’objet d’une étude scientifique approfondie. Par ailleurs, l’auteure a pu nourrir sa recherche de la consultation des archives de l’institution, devenues récemment disponibles. Ces données, quoique lacunaires, irriguent les chapitres thématiques et donnent au texte sa profondeur humaine.
Au départ, la Discipline des filles et des garçons, créée en 1803, vise à offrir une réponse à des demandes de placement d’enfants venant de parents ou d’un tuteur (détention civile). Elle est installée dans les locaux de l’Hôpital de Lausanne (bâtiment de la Mercerie) où garçons et filles cohabitent avec des adultes malades, prisonniers, aliénés. Il faut attendre 1846 pour que la promiscuité des enfants et des adultes soit jugée inacceptable et que soit créée la Discipline des Croisettes, colonie agricole réservée aux garçons, et qui va dès lors accueillir en majorité des délinquants pénaux mineurs. Les filles devront encore attendre 25 ans avant d’être transférées à Moudon.
Au tournant du siècle, l’institution quitte les bâtiments fermiers des Croisettes, vétustes, et devenus trop exigus. Un nouveau bâtiment est construit, qui va abriter l’Ecole de Réforme pendant une quarantaine d’années.
Le début des années 1940 est marqué par des nouveautés importantes en matière juridique: le Code pénal suisse entre en vigueur en 1942. Dans la foulée, le canton de Vaud se dote d’instruments juridiques spécifiques aux mineurs (Chambre pénale des mineurs, Office cantonal des mineurs, Office médico-pédagogique). Parallèlement, l’Ecole de Réforme cède la place à la Maison d’éducation de Vennes (MEV). Cette période, 1941–1980, est celle où l’institution vivra les plus grandes mues et traversera des crises importantes. Rien d’étonnant à cela puisque c’est le temps des grands débats idéologiques sur l’enfermement (voir les travaux de Goffman et de Foucault), sur la liberté de l’individu, dans le sillage des profondes mutations sociales et des mœurs de ces années-là. La MEV ne survivra pas à la longue crise des années 70, elle sera brièvement remplacée par le Centre cantonal de Vennes, dont l’internat sera fermé en 1983, faute de pensionnaires.
Il est intéressant de constater que cette institution de détention pour mineurs, qui tout au long de son histoire accueillit entre 20 et 60 garçons au maximum, a occupé une place importante dans la cité, qu’il s’agisse des travaux du Grand Conseil, des interventions des autorités judiciaires, médicales ou pédagogiques, ou encore des débats publics.
La valse des dénominations est à elle seule révélatrice des tensions successives et de la lente évolution de l’institution. On passe de la Discipline (ou Ferme disciplinaire) à la Réforme puis à l’Education avant de se retrancher derrière la formulation neutre de Centre. On pourrait faire des constats analogues s’agissant des termes qui désignent les garçons internés ou le personnel qui les prend en charge.
On est frappé, en parcourant ces deux siècles d’histoire de la détention des mineurs dans le canton de Vaud, du caractère à la fois lent, parfois même régressif, mais pourtant inéluctable des mutations dans la prise en charge de ces jeunes internés. On va passer lentement, avec à-coups, d’une prise en charge essentiellement répressive et carcérale à une volonté de promouvoir la formation professionnelle des jeunes et leur réinsertion.
Ces changements sont évidemment inscrits dans l’évolution globale des mentalités, au XXe siècle en particulier, mais ils sont aussi très directement marqués par la personnalité des acteurs successifs de l’institution, directeurs, éducateurs, maîtres de métier. Plusieurs chapitres de l’ouvrage mettent en évidence leur influence, positive ou négative.
Les débats sur la pertinence des loisirs est à lui seul emblématique: jugés valorisants et formateurs par les uns, ils seront dénoncés comme outil camouflé de répression par les autres; voir la polémique de la fin des années 70, où le Groupe Information Vennes relaie des témoignages d’anciens jeunes internés, auxquels répondent les autorités, directeur ou responsable administratif. Là aussi, le débat local rejoint des mouvements plus amples, dont celui de l’antipsychiatrie (Cooper et Laing, Bonnafé).
L’ouvrage se clôt sur une présentation des dossiers d’élèves aux différentes époques de l’institution, et sur des extraits de quelques-uns de ces dossiers. Une manière pour Geneviève Heller de conclure sur l’essentiel. Ces extraits sont poignants – drôles, désolants, parfois encourageants. Au-delà de toutes les analyses historiques ou sociologiques, le poids des existences individuelles.
Françoise Gavillet, Domaine Public, 19 avril 2012