Les attributs d'uniforme des surveillants de bagne : insigne de casque colonial, pattes de col et boutons métaliques. Ils sont spécifiques et représentent le faisceau de licteur, symbole de la république.
Acteurs de la « déshumanisation du bagne », les surveillants militaires recrutés dès l’origine avec un faible niveau de recrutement, n’ont pas favorisé le développement possible d’une réflexion sur la mise en œuvre de la peine ou de l’éducation des hommes rejetés de la société.
A leur décharge, ils n’ont fait qu’appliquer en ce sens ce que pensaient la majorité des Français de l’époque : se débarrasser de la lie de la société.
Confortés dans leurs pratiques professionnelles, on peut dès lors trouver des explications dans les débordements d’une partie du personnel, les graves erreurs commises et les manquements impardonnables d’individus parfois corrompus. Les aberrations mêmes du système de fonctionnement du bagne colonial y sont aussi certainement pour quelque chose…
Les surveillants militaires
Descendants des célèbres gardes chiourmes des bagnes maritimes, une mauvaise réputation leur colle à l’uniforme, alors qu’on peut imaginer qu’il y avait parmi eux la même proportion de bons ou de mauvais que dans toute autre administration ou corps militaire.
La célèbre formule de NAPOLEON III répondant, quand on lui demandait par qui il ferait garder les bandits dans les bagnes d’outre-mer : « par plus bandits qu’eux… » y est sûrement aussi pour une certaine part.
Les surveillants militaires dont le recrutement et le statut datent de 1867, sont nommés par le ministre des Colonies parmi les sous-officiers des armées de terre et de mer en activité de service, appartenant à la réserve ou libérés définitivement et, à défaut, parmi les militaires et les marins ayant au moins trois ans de service. Organisés en trois classes, ils bénéficient de fortes indemnités de service et d’avantages divers. Leur uniforme est de toile de couleur claire avec le casque colonial de rigueur, obligatoires de 9h à 17h, et le gros revolver ostensiblement porté sur le côté. Ils sont en permanence environ 250 à 300, 400 au plus, pour assurer la surveillance, l’organisation du travail et le rythme de vie de 4 000 à 5 000 condamnés.
Le grand mérite de ces surveillants militaires est de partager les mêmes conditions de vie que les condamnés et très souvent de ne pas être en nombre suffisant (4%) par rapport aux détenus.
Un manque de moyens matériels fait par ailleurs cruellement défaut.
L’insigne qui symbolise ce corps particulier, est le faisceau de licteur, souvent utilisé par la justice militaire, il est porté en patte sur le col, sur le casque colonial et sur les boutons de l’uniforme.
L’historien Michel Pierre considère que ce sont ces surveillants qui, « selon les cas et les endroits et aussi selon les directives donnent au bagnes tel ou tel aspect. Vivant au même rythme que les condamnés, ils ont à leur égard toutes les sortes de comportements possibles, toute la variété des sentiments que l’on peut éprouver en pareille circonstance : haine, mansuétude, peur, pitié, fermeté. L’erreur serait de croire que tous n’étaient que des brutes corrompus et éthyliques. La vie quotidienne rapproche les condamnés et les surveillants. Nombreux sont ceux qui ont laissé de mauvais souvenirs aux anciens du bagne ou suscité l’indignation des témoins, mais il en est aussi beaucoup dont les qualités humaines furent reconnus par les hommes dont ils devaient assurer la surveillance ».
D’aucuns ont affirmé que ces militaires se considéraient en état de guerre contre les déportés qu’ils considéraient comme des traîtres à la nation, mais également et par assimilation, qu’ ils faisaient également la guerre aux transportés et autres relégués. Sans doute faut-il admettre qu’ils n’avaient guère d’états d’âme, surtout en face de bagnards, tous plus ou moins perçus comme autant de sous-hommes, déchets d’une société qui les a définitivement rejetés très loin, de son territoire et de sa considération.
Dans le début de la transportation, les surveillants ne peuvent concevoir un seul instant que les forçats puissent changer. Et si l’un d’eux fait preuve de bonne conduite, ils n’hésitent pas à le traiter d’hypocrite et à lui réserver les travaux les plus pénibles, ce qui ne peut que dissuader les meilleures intentions…
« On peut toutefois regretter que le système de préparation à leur travail n’ait jamais été véritablement élaborés. Ils étaient souvent recrutés par cooptation, aux lieux des anciens bagnes ou en Corse. Venant souvent des couches sociales les moins élevées, ils n’avaient aucune idée de ce qui pouvait être entrepris pour donner à la sanction de chaque condamné sa juste proportion de peine, du caractère rétributif et dissuasif de celle-ci, et des possibilités d’amendement de l’intéressé. Un amalgame simpliste de toutes ces notions conduisait le surveillant à traiter chaque bagnard selon le même modèle, celui d’une sévérité extrême.
Il est vraisemblable que, si la sélection des surveillants avait été plus rigoureuse, la vie des bagnards aurait été différente et le développement et le développent de la colonie également.
L’administration pénitentiaire comptait sur les anciens pour former les plus jeunes, mais rien ne fut jamais entrepris pour préparer les surveillants à leur travail difficile ».
Ces surveillants sont originaires des provinces françaises habituels viviers de fonctionnaires : Corse et Bretagne (après la première guerre mondiale) en particulier. Pour les derniers survivants du Bagne, les Bretons apparaissent comme ayant été très à cheval sur les règlements…et sans grands sentiments de pitié pour les condamnés.
La brutalité des surveillants militaires ?
Officiellement les peines corporelles sont supprimées par le décret du 18 juin 1880. Pourtant après cette date, certains surveillants laissent libres cours à leur sadisme et à leur violence, malgré les textes et les instructions qui interdisent toute application de peines corporelles. Dans la Notice sur la Transportation pour l’année 1896, l’administration se voit dans l’obligation de reconnaître divers actes de brutalité relevés pendant l’année 1895 à la charge de certains surveillants militaires sur des condamnés confiés à leur garde.
Les « bavures » les plus graves sont certainement celles repérées dans le fameux camp de Charvein réservé aux détenus classés « incorrigibles ». Dans ce chantier au règlement quasi inhumain, les prescriptions du décret du 4 septembre 1891 portant règlement disciplinaire des établissements de travaux forcés demeurent complètement lettre morte et l’arbitraire des agents subalternes en service tient lieu de règle dans les punitions prononcées : les fers, la cellule et le cachot sont appliqués sans mesure et comme au hasard et prolongés pendant des jours et des mois, même pour les infractions les plus légères « pour bavardage par exemple ».
Il ne peut y avoir aucune comparaison possible entre les conditions effroyable que connaît un « incorrigible » du camp de Charvein, travaillant nu, en proie aux parasites, aux moustiques, à l’injustice, à la bêtise humaine épaisse, et celle d’un forçat exerçant comme « personnel pénal hospitalier » ou comme « garçon de famille » chez l’habitant.
En mars 1903, le procureur général de Guyane rend compte à sa hiérarchie pour ce même camp, de détenus ayant subi des brutalités, des assassinats ou des tentatives d’assassinats.
A Charvein, il y aura une grave mutinerie en août 1908.
Ces brutalités ne peuvent - être niées… Dernière actualisation 4 septembre 2014 - Philippe POISSON
SOURCES :
Michel PIERRE, La terre de la grande punition, Cayenne 1852-1953, Les éditions Autrement, 2000, p. 88.
Roger ARATA, Essai sur l’Institution pénitentiaire française à l’époque du bagne, Ecole Nationale de la Magistrature, groupe d’études n° 7, page 11.
Il était une fois le bagne colonial - Vie d'un fonctionnaire de l'administration pénitentiaire entre
Histoire, Danielle Donet-Vincent
Bien plus que l’histoire de bagne, déjà largement connue, c’est la vie d’un homme qui apparaît ici. Né en Algérie, fils d’un fonctionnaire civil de l’Administration pénitentiaire coloniale en poste à « la Nouvelle », puis lui-même fonctionnaire civil de cette même administration en Guyane, Albert Ubaud est le héros de cet ouvrage. Fasciné par les beautés de la Nouvelle-Calédonie quittée en 1908, captivé par sa découverte de la Guyane où il a vécu de 1926 à 1943, il a pris des notes, photographié, dessiné, peint tout ce qui le captivait ou le surprenait. Il notait dans le privé de ses archives « l’exotisme » colonial dans lequel il évoluait ; il décrivait ses relations avec les populations locales, et ses rapports avec ses collègues et ses supérieurs ; il s’insurgeait devant la misère des anciens condamnés, il croquait d’une phrase ou d’un trait les singularités de sa vie de « nomade » et « d’exilé volontaires ». Revenu en métropole au moment de sa retraite, il reprend la masse de ses observations, les organise, les corrige, les travaille jusqu’à la fin de sa vie. De ce long retour sur son passé, de ce voyage à rebours dans le temps et les espaces autrefois connus, il nous reste les pages attachantes ou curieuses qui ont été reprises ici, et qui montrent un Ubaud dont le cœur et l’esprit sont restés ancrés dans les terres lointaines où il a vécu. La trame de ce passé colonial, le structurant et le légitiment, reste l’univers du bagne avec sa cohorte de fonctionnaires – dont son père et lui-même ont fait partie –, les rouages de son administration, ses bâtiments, ses condamnés inconnus ou célèbres et tout le fourmillement d’une institution pénale puissante.
L’auteure s’est efforcée de replacer les situations et les faits dépeints dans leur contexte, historique tout en laissant la première place à la sensibilité et aux opinions d’Ubaud sur un monde colonial et pénal désormais disparus.
Le bagne de mon père - Cayenne, un surveillant se souvient
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DCL (Editions)
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Paru le : 24/04/1999
Surveillant militaire au bagne de Guyane ? C'était certes l'aventure, d'autres ciels, un autre monde étrange à tous égards. C'était aussi l'exil lointain, et une vie constamment dangereuse. Fils de surveillant, l'auteur a vécu son enfance et son adolescence avec ses parents, en ce lieu de punition ; et son témoignage, parfaitement authentique, riche en épisodes parfois cocasses, mais le plus souvent brutaux ou émouvants, illustre les étonnantes particularités de cette extraordinaire vie commune entre les condamnées et leurs gardiens. Il ne pouvait bien sûr en être autrement au contact quotidien du plus grand rassemblement d'escrocs, de violents, violeurs, criminels et même fous, dont la justice avait voulu se débarrasser en expédiant ce singulier troupeau d'êtres humains, où devait bien se trouver quelque innocent, dans une région où sévissait, à l'époque, une malaria meurtrière associée à d'autres endémies équatoriales. Le bagne, depuis, a été supprimé mais reste la Guyane, qui a retrouvé son âme et sa prodigieuse beauté.
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