600 000 « mauvais » soldats sont passés, en Afrique du Nord, par les centres disciplinaires de l'armée.
Biribi. Ce terme ne signifie sans doute plus grand-chose aujourd'hui. Il y a un siècle pourtant, pas un jeune Français n'ignorait ce qu'il recouvrait, et l'évocation seule du mot suffisait à faire frissonner les plus durs. On regroupait en effet sous ce nom générique les nombreuses structures disciplinaires et pénitentiaires de l'armée française. Les officiers, eux, préféraient les qualifier de « corps spéciaux », mais les journalistes et les militants n'hésitaient pas à parler de « bagnes militaires ». Nul lieu réel n'a jamais porté ce nom, mais, durant plus d'un siècle, Biribi a symbolisé aux yeux du pays les formes extrêmes de l'oppression militaire.
Biribi, c'était d'abord les compagnies disciplinaires, créées dès 1818 pour accueillir les « mauvais soldats », les fortes têtes, les ivrognes, ou encore ceux qui croyaient échapper au service en se mutilant. Ces hommes n'avaient pas commis de crime, mais leur indiscipline chronique leur valait d'être écartés de leur unité où, disait-on, ils propageaient le mauvais exemple.
Biribi, c'était encore les nombreux établissements pénitentiaires de l'armée en Afrique des ateliers de travaux publics qui recevaient la plupart des soldats condamnés par les conseils de guerre. On y associait les compagnies coloniales de discipline, créées en 1860 pour mater les condamnés les plus « vicieux ».
Biribi, c'était aussi les sections d'exclus, fondées en 1889 pour accueillir les condamnés des cours d'assises, des hommes jugés indignes de porter les armes, mais qu'on incorporait néanmoins à l'issue de leur peine, par souci d'égalité républicaine. A cet ensemble, il convient d'ajouter les Bataillons d'infanterie légère d'Afrique, les fameux « Bat d'Af' » créés en juin 1832 et installés d'emblée en Algérie où ils participèrent à presque toutes les opérations de conquête. Ces bataillons n'étaient pas des unités disciplinaires stricto sensu , plutôt des « corps d'épreuve » qui recevaient, au sortir des sections de discipline ou des pénitenciers militaires, les soldats libérés de Biribi. Mais, outre qu'ils accueillirent à compter de 1889 tous les conscrits ayant fait l'objet de condamnations avant leur incorporation, leur style et leur organisation les apparentèrent de plus en plus aux corps disciplinaires. « Pour le grand public, le Bat d'Af' et Biribi, c'est la même chose » , note le romancier Pierre Mac Orlan en 1933.
Chaque corps avait ses singularités, mais l'on retenait surtout leurs profondes similitudes, la principale étant leur implantation coloniale. A compter de 1830, les compagnies disciplinaires s'installent en Afrique du Nord et suivent dès lors les avancées de la conquête, en Algérie puis en Tunisie. C'est également le cas des Bataillons d'Afrique, puis des pénitenciers, des ateliers de travaux publics et des sections d'exclus, tous installés sur l'autre rive de la Méditerranée à compter des années 1850. D'autres, comme les disciplinaires coloniaux, furent envoyés plus loin, en Nouvelle-Calédonie, au Sénégal et à Madagascar.
Biribi était donc inséparable de l'expérience coloniale, et plus encore de l'Afrique, perçue comme un lieu d'exil, de souffrance et de non-droit. « Pour eux, l'Afrique était la terre maudite, la terre du bagne, de l'exil et des tortures » , écrit Aristide Bruant en 1911 dans son roman Aux Bat d'Af' . On y associait le travail forcé harassant : casser des cailloux sous un soleil de plomb, dans un paysage aride que l'autorité de gradés irascibles et brutaux rendait plus éprouvant encore. On y associait surtout la violence et l'arbitraire des peines, les sévices, les brimades et parfois même les meurtres perpétrés par des sous-officiers indignes, et ce terrible engrenage qui faisait « tourner » les hommes, de la Discipline aux Travaux publics, du Bataillon aux compagnies coloniales. De Biribi, il arrivait souvent que l'on ne revienne pas.
A compter du tournant du siècle, les bagnes militaires furent l'objet de longues et vigoureuses campagnes d'opinion. D'anciens disciplinaires, comme Georges Darien ou Gaston Dubois-Dessaule, publièrent de terribles réquisitoires. Certaines affaires, comme l'assassinat à Djedda en 1909 du jeune militant Albert Aernoult par des sous-officiers, suscitèrent indignation et mobilisation. Des journalistes, comme Jacques Dhur en 1907, puis Albert Londres en 1924, dénoncèrent avec force le sort réservé aux condamnés, les exactions dont ils faisaient l'objet et l'impunité scandaleuse dont bénéficiaient les responsables.
Quelques réformes furent engagées et les abus les plus criants disparurent (le nouveau code de justice militaire supprima les Ateliers de travaux publics en 1928), mais le « monstre Biribi », comme disait Albert Londres, avait la vie dure. Si l'on ne croyait plus guère, dans les années 1930, à la régénération par le travail, le combat ou l'expérience coloniale, le désir de répression et d'exclusion demeurait.
On envoya pourtant de moins en moins de soldats à Biribi, qui dépérit peu à peu, mais seule la décolonisation eut vraiment raison de ses derniers bastions. Repliée après l'indépendance de l'Algérie à Obock, sur le territoire français des Afars et des Issas, la 3e compagnie d'infanterie légère d'Afrique ne fut dissoute qu'en 1972. Entre-temps, plus de 600 000 soldats avaient fait l'expérience des bagnes coloniaux de l'armée française.
D. K.
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