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© musée Nicéphore Niépce / Léon Collin -

© musée Nicéphore Niépce / Léon Collin -

Trois condamnés arabes. Entre 1906 et 1910. « Pendant ce temps, des scènes de désolation inénarrables se passent à bord des barques indigènes, venues assister au départ. Les matelots ont grand mal à écarter tous ces curieux à coups de gaffe. Des mouquères au visage voilé poussent des cris véritablement déchirants ; une vieille juive se jette à l’eau de désespoir, lorsqu’elle voit son fils gravir la coupée du transport. Toute la populace de Bab Azoun et de la Kasbah saluent d’au revoir frénétiques l’ami reconnu qui monte l’échelle à son tour. Cet embarquement ne manque pas de pittoresque. La foule grouille sur les quais, car ce passage de la Loire, deux fois l’an, est un gros événement dans un certain monde. Jusqu’au départ, les barques chargées de parents et d’amis des condamnés sillonnent la rade. Les exhortations, les souhaits ne manquent pas aux futurs exilés. Ceux qui restent apprécient leur bonheur et témoignent bien fort, par leurs cris, la joie qu’ils ont de rester libres » (note du docteur Léon Collin).

Le médecin militaire Léon Collin a débuté sa carrière en accompagnant un transport de prisonniers vers la Guyane, avant de partir en Nouvelle-Calédonie où il a assisté aux dernières années du bagne en 1924. Au cours de ces voyages, le docteur Collin va réaliser un reportage photographique, composé principalement de 125 plaques négatives. Il va les tirer par contact puis les assembler dans des cahiers tapuscrits, où sont compilés les témoignages qu’il a accumulés auprès de chacun des forçats (et que nous reproduisons tels quels en légendes). Cet officier va diffuser ces « interviews » en gardant l’anonymat dans plusieurs magazines du début du XXe siècle, et dénoncer ce mode de châtiment judiciaire. Mediapart en publie des extraits et ouvre ainsi une collaboration régulière avec le musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône.

Parti au bagne avec les forçats | Mediapart

Le “garçon de famille” dans le bagne colonial - Repères

Sortie du livre "Des hommes et des bagnes  une plongée en récits et images d'époque dans l'enfer du bagne de Guyane et de Nouvelle Calédonie, ... 110 ans après:

Entre 1852 et 1943, 120000 hommes partent pour les bagnes de Guyane ou de Nouvelle Calédonie. Aujourd’hui, des documents datés des années 1906-1913  traitant de cette question refont surface : mille plaques photographiques et une impressionnante quantité de notes (lettres, tapuscrits, etc).

 Léon Collin (1880/1970), médecin des troupes coloniales a traversé ces deux enfers, armé d’un appareil photo et d’un carnet, il nous livre ses impressions, décrit l’absurdité et la cruauté de cette machine à broyer les hommes. Il interroge les forçats, leur donne la parole, nous transmet leurs poèmes, en bref, il leur rend un peu de cette humanité que la « Tentiaire » (administration pénitentiaire) leur a volée.

Un livre  préfacé et annoté par l’historien Jean Marc Delpech, « Des hommes et des bagnes » vient de sortir aux éditions Libertalia. Il reprend toutes les photos et textes de Léon Collin.                                    

http://www.editionslibertalia.com/des-hommes-et-des-bagnes )

L’ensemble des plaques photographiques est aujourd’hui au musée Nicéphore Niepce, et MEDIAPART leur a déjà consacré un important portfolio.

( http://www.mediapart.fr/portfolios/parti-au-bagne-avec-les-forcats )

 

En 2007, pour son quatrième ouvrage au catalogue, Libertalia rééditait La Vie des forçats (1930), du bagnard anarchiste Eugène Dieudonné, avec des illustrations de Thierry Guitard. En 2009, nous poursuivions dans cette veine avec la réédition de L’Enfer du bagne (1957), les souvenirs de Paul Roussenq « l’incorrigible », illustrés cette fois-ci par Laurent Maffre. Peu après, nous rééditions Chéri-Bibi et les cages flottantes avec des illustrations de Tôma Sickart, la fiction (1913) de Gaston Leroux, dont l’essentiel du récit se déroule sur un bateau en route vers le bagne.

Libertalia partage déjà une longue histoire avec les bagnards et les forçats, qui reflète notre rejet persistant de la société carcérale et notre empathie pour les marges.

Alors que nous envisagions de rééditer le rarissime et passionnant Un médecin au bagne, ouvrage du Docteur Louis Rousseau publié chez Fleury en 1930, Jean-Marc Delpech, auteur d’une thèse sur Alexandre Jacob (publiée aux ACL), préfacier de L’Enfer du bagne et coanimateur des éditions de la Pigne, nous a proposé un incroyable manuscrit absolument inédit : les souvenirs du Docteur Collin (1890-1970).

Retrouvés dans le grenier de la maison familiale par Philippe Collin, son petit-fils, ces deux carnets (qui comportent 146 clichés stupéfiants) relatent les années vécues par le jeune docteur aux côtés des forçats de Guyane puis de Nouvelle-Calédonie (de 1907 à 1912).

Quelques extraits seulement des notes du Dr Léon Collin ont paru dans la presse française de la Belle Époque et de l’entre-deux-guerres. Les deux cahiers relatant son expérience constituent pourtant un document historique fondamental et totalement inédit sur les prisons à ciel ouvert de la France coloniale, et sur les criminels que la métropole a cherché à éloigner. Muni d’un carnet et d’un appareil photographique, les simples souvenirs de voyage du jeune médecin se transforment progressivement en dénonciation alerte d’une réalité pénible à dire, à voir et à sentir. De la Guyane à la Nouvelle-Calédonie, le bagne c’est la mort, la souffrance et l’échec de toute une politique répressive et carcérale. Bien avant Albert Londres, et surtout à une époque où l’administration pénitentiaire règne en maître sur ces terres ultramarines, Léon Collin montre les existences des « hommes punis ». Des hommes… et des bagnes, une incroyable galerie de portraits, des célébrités (Manda, Ullmo, Soleilland, etc.), une foule d’anonymes aussi. Des espaces exotiques à couper le souffle. Mais, comme l’a écrit l’avocate Mireille Maroger en 1937 : « De ce paradis, les hommes ont fait un enfer. » De la création officielle du bagne en 1854 au dernier envoi de condamnés en 1938, ils furent plus de 100 000 à venir s’échouer sur ces terres de grande punition.

Le fonds photographique du docteur Léon Collin a été acquis par le musée Nicéphore-Niépce. Les clichés feront l’objet d’expositions en Guyane puis en Nouvelle-Calédonie.

Parce qu’il s’agit d’un document à caractère exceptionnel, Libertalia a choisi d’en faire un « beau livre » restituant le caractère initial des carnets : couverture en toile du Marais, marquage couleur, signet, coutures, et papier Munken Lynx.

L’auteur

Léon Collin est mort en 1970. Il a subi la boue des tranchées ; il a vécu la défaite de 1940 et l’occupation ; il a navigué sur toutes les mers du globe et a traversé la presque totalité de cet empire français où le soleil ne se couchait jamais. Il a 27 ans lorsqu’il débarque en Guyane en 1907. Il passera ensuite trois ans en Nouvelle-Calédonie, de 1910 à 1912. Rien pourtant ne prédisposait ce jeune médecin de l’armée coloniale, homme de son temps, un brin réactionnaire mais profondément humaniste, à affronter l’horreur du bagne. Qui aurait pu deviner que ce fils de négociant en vin serait marqué à vie par son expérience ?

Photographies inédites
Publication : avril 2015

Des Hommes et des bagnes - Guyane et Nouvelle-Calédonie, un médecin au bagne (1907-1912)

 

« Pour parler du bagne, il ne suffit pas d’être passé devant, il faut être allé dedans », disait un bagnard anonyme de Guyane. De passage en Guyane, je fus naturellement curieux d’aller visiter les vestiges encore présents d’une colonie pénitentiaire créée par la France au milieu du XVIIe siècle. L’histoire de la Guyane semble être indissociable de celle des origines du bagne que l’on a créé dans cette contrée pour punir, exploiter et s’approprier une terre qui doit à la France autant de civilisation que celle apportée à ses autres colonies. Le passé du bagne en Guyane est certes révolu, les passions se sont depuis adoucies et les historiens ont pu révéler ce qui fut une tragédie (une de plus) du colonialisme. Mais que sait-on des Algériens qui ont été déportés au bagne de Guyane - Par Dr Nazim Benhabib

(nazimbenhabib@hotmail.com)


En parcourant les documents qui me permirent d’en savoir plus sur l’histoire du bagne, j’appris que les bagnes coloniaux français étaient en fait, dans la forme, inspirés de l’expérience anglaise en Australie. En effet, dès 1788, les établissements de Botany Bay et de Sydney Cove furent ouverts pour accueillir ceux qui, par la suite, allaient être les pionniers de la construction d’un pays riche, prospère et libre. De la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe, la Guyane allait être transformée en terre maudite accueillant bras ouverts puis refermés à jamais, des milliers de détenus condamnés pour la plupart à purger des peines de travaux forcés à perpétuité. Le bagne va commencer aux îles du Salut le 10 mai 1852 après que le décret du 27 mars 1852 décida de la fermeture des bagnes portuaires français de Toulon, Brest et Rouen. L’arsenal juridique du bagne fut complété par la loi du 30 mai 1854 qui sera responsable alors de la déportation de 100 000 hommes durant un siècle dans les bagnes de la mort de la France coloniale. Cette loi créa ce qui sera dénommé : la transportation, ce qui veut dire la condamnation aux travaux forcés de détenus de «droit commun » qui auront à subir la peine «à l’avenir dans des établissements créés par décret de l’empereur sur le territoire d’une ou plusieurs possessions françaises autres que l’Algérie». L’article 2 de ladite loi précise que «les condamnés seront employés aux travaux les plus pénibles de la colonisation et à tous autres travaux d’utilité publique». Il est aussi instauré le «doublage» c'est-à-dire l’obligation pour le condamné à moins de 8 ans de travaux forcés de rester en Guyane après sa libération une durée égale à sa condamnation. Les condamnés à 8 ans ou plus, eux sont assignés à vie en résidence en Guyane après la fin de leur peine. Cette juridiction sera elle-même complétée par une nouvelle loi sous la IIème République le 27 mai 1885 qui instaure la «relégation» au sujet de la petite délinquance récidiviste (deux petites condamnations suffisent à exiler le détenu en Guyane). Entre 1 852 à 1 953 furent envoyés en Guyane, 57 000 «transportés» condamnés aux travaux forcés, 15 600 «relégués » et 329 officiellement «déportés politiques»(1) ou «prisonniers militaires» provenant des colonies, on estime que le quart d’entre eux était arabe, soit un total de 67 929 prisonniers dont la plupart moururent en cours de détention. Le premier convoi quitte le port de Brest et appareille pour les îles du Salut le 31 mars 1852 301 bagnards coloniaux, politiques et droit commun embarquèrent sur la frégate Allier, le nombre de détenus provenant de l’Algérie n’est pas connu. En dix ans, de 1852 à 1862, 12 750 forçats transitent par les îles, d’autres métastases du bagne vont alors au fur et à mesure être créées le long de la côte guyanaise. Les bagnards sont répertoriés sur tout le littoral de la Guyane, on les retrouve dans la rade de Cayenne, à Saint-George l’Oyapoc au sud de la Guyane, Saint-Jean du Maroni au nord réservé aux relégués, à Kourou qui comprenait fermes pénitentiaires. En 1858, fut fondée la commune pénitentiaire de Saint-Laurent du Maroni, qui deviendra par la suite la capitale du bagne de Guyane. La mortalité dans tous ces camps était effroyable et variait entre 21 et 62 % par an. En 1942, on a enregistré 48 % de décès du fait de la faim, maladie et manque de soins. A Saint- George d’Oyapoc entre autres on aurait relevé 90 décès sur un effectif de 180 à la fin du XIXe siècle. C’est alors qu’en 1869 fut décidé de n’envoyer en Guyane que les condamnés aux travaux forcés d’origine coloniale, les Européens étaient, eux, dirigés vers la Nouvelle Calédonie réputée pour un climat moins hostile. Les îles du Salut(2) sont un des éléments du grand dessein de colonie pénitentiaire élaboré pour la Guyane. On y envoie ceux qui sont réputés être «les plus mutins passer quelque temps, ce qui joint à son singulier nom, peut faire supposer que ce n’est pas un paradis terrestre» (lettre d’un aumônier jésuite). L’île royale abrite ceux qui sont réputés être les plus «dangereux». Boulali Belkacem y séjourna, arrivé en 1935. A la fin du XIXe siècle, les trois îles du Salut sont devenues la prison la plus dure de Guyane. Papillon(3) alias Henri Charrière séjourna et connut le succès après avoir publié son témoignage. L’isolement insulaire explique le choix de ces lieux pour incarcérer les détenus que l’on voulait isoler du monde extérieur, tels les militants anticolonialistes et les déportés politiques dont le plus célèbre fut Dreyfus(4). Prisonnier hors norme, innocent envoyé au bagne et incarcéré sur l’île du Diable, Dreyfus va subir sa peine de «déportation en enceinte fortifiée» de 1895 1899. Par la suite, seront enfermés dans le même sillage les condamnés coupables «d’intelligence avec l’ennemi» ou «d’excitation à la guerre civile». Ce fut le cas de Soufi Abdelkader, condamné en 1916 à Oran pour excitation à la guerre civile, et le nommé Berredjem Lakhdar Bentahar qui est révélé dans la correspondance qu’adresse Soufi Abdelkader au directeur de prison sollicitant un simple entretien avec l’interprète des déportés en vue de rédiger des lettres à sa famille (voir illustrations 1- et réponse du directeur 3). Au début du XXe siècle avec la création sur l’île Saint-Joseph du quartier de la réclusion cellulaire, Saint-Joseph va contenir 120 cachots que les bagnards appelaient «l’antichambre de la mort». Le camp de la réclusion de l’île Saint-Joseph devint le lieu d’enfermement le plus redouté des bagnes de Guyane. Le régime de la réclusion cellulaire fut appliqué avec une très grande sévérité jusqu’en 1925. Les détenus étaient enfermés jour et nuit, totalement isolés dans des cachots sans plafond, sans abri. Seule une grille les délimitait, permettant ainsi à un gardien sur une passerelle surélevée de les surveiller. 50 à 70 gardiens majoritairement corses appartenant au corps spécial de surveillant militaire colonial étaient affectés aux îles à la surveillance des prisonniers. Le condamné à Saint-Joseph était attaché aux pieds la nuit dans sa cellule par la «boucle(5)» double, quelquefois, le jour en cas de punition. Les portes des cellules étaient dotées d’un guichet pouvant laisser passer la tète du prisonnier, afin qu’il soit rasé et reçoive sa pitance (illustration 4). Le régime alimentaire des bagnards des îles du Salut était à base de pain sec et eau. Beaucoup succombaient de faim, de maladie ou de fièvre tropicale( 6). Leurs corps étaient systématiquement jetés aux requins. Les requins étaient conditionnés et répondaient au son d’une cloche qui annonçait qu’un corps allait être jeté à la mer. Quant à ceux qui mouraient dans les prisons du littoral, ils étaient enterrés dans des fosses communes. Ces conditions de détention ont poussé les déportés de l’île Saint-Joseph à déclencher une mutinerie le 21 octobre 1894 qui sera réprimée dans le sang. Des dizaines de bagnards ont été tués figure parmi eux Salah Ben Ahmed Ben Embarek qui portait le matricule 19851. Un autre bagnard dont le nom est de consonance algérienne est blessé : Ahmed Ben Abdelkader qui portait le matricule 23 582.

Les conditions d’incarcération sur les trois îlots étaient abominables

Un journaliste parisien Albert Londres (1884-1932) se rendit en Guyane en 1923 et visita le bagne des îles du Salut, de Cayenne et de Saint-Laurent-du-Maroni. Décrivant les horreurs de ce qu'il voit, son reportage suscita de vives réactions dans l'opinion mais aussi au sein des autorités. «Il faut dire que nous nous trompons en France. Quand quelqu'un – de notre connaissance parfois – est envoyé aux travaux forcés, on dit : il va à Cayenne. Le bagne n'est plus à Cayenne, mais à Saint-Laurentdu- Maroni d'abord et aux îles du Salut ensuite. Je demande, en passant, que l'on débaptise ces îles. Ce n'est pas le salut, là-bas, mais le châtiment. La loi nous permet de couper la tête des assassins, non de nous la payer. Cayenne est bien cependant la capitale du bagne. (...) Enfin, me voici au camp ; là, c'est le bagne. Le bagne n'est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C'est une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui sert à façonner le forçat. Elle les broie, c'est tout, et les morceaux vont où ils peuvent.» ( Au bagne (1923)). Et le récit se poursuit : «On me conduisit dans les locaux. D'abord, je fis un pas en arrière. C'est la nouveauté du fait qui me suffoquait. Je n'avais encore jamais vu d'hommes en cage par cinquantaine. [...] Ils se préparaient pour leur nuit. Cela grouillait dans le local. De cinq heures du soir à cinq heures du matin, ils sont libres – dans leur cage.» L’idée de la fermeture du bagne commence alors à germer. Cependant, il a fallu attendre 1938 pour qu’un décret-loi abolisse la pratique de la transportation en France. Néanmoins, la même année, un navire prison : la Matinière, transporta 57 condamnés algériens en Guyane. Albert Camus, alors journaliste à Alger Républicain avait écrit : «Je ne suis pas très fier d’être là… il ne s’agit pas ici de pitié mais de tout autre chose. Il n’y a pas de spectacle plus abject que de voir des hommes ramenés au-dessous de la condition de l’homme.» Il était sûrement encore loin d’imaginer le vécu et le sort qui attendaient ces détenus algériens. Au bagne, ils étaient appelés les «chaouch» en référence aux troupes coloniales. «Un forçat ça ne vaut pas cher mais ces garslà (entendu par cela les Arabes qui désignaient les Algériens) valent encore moins…»(7) Ce n’est qu’en 1946 que la fermeture du bagne fut officiellement prononcée. Celui des îles du Salut va fermer en 1947 et l’administration pénitentiaire quittera l’ile royale en 1948. Les îles du Salut seront alors complètement abandonnées et pillées. Le Centre national d’études spatiales en devient propriétaire, après s’être installé à Kourou en remplacement du site de Hammaguir algérien. Un grand travail d’historien est nécessaire afin de retrouver la mémoire de ces milliers d’Algériens qui ont été déportés pour différentes raisons en Guyane, loin de leur pays et de leur famille. L’histoire fera alors avouer au bagne le nombre de ces déportés algériens, s’ils ont survécu et combien d’eux sont retournés en Algérie(8). De mon côté, de mes liminaires recherches, je n’ai retrouvé aucun indice me permettant d’en savoir plus sur les détenus algériens des îles du Salut. Je ne sais pas ce qui est advenu d’Abdelkader ni de Belgacem. Peut-être qu’ils ont succombé à la dureté des conditions carcérales et qui sait si leurs corps n’ont pas été jetés aux requins ? Peut-on espérer qu’ils aient survécu au bagne et qu’ils se soient par la suite installés en Guyane ? Ont-ils alors une sépulture quelque part en Guyane ? Pourra-t-on trouver un lien, un lieu ou des personnes qui témoigneront de leur exil ? Je n’ai malheureusement aucune réponse à toutes ces questions. Je sais uniquement qu’ils n’ont jamais revu leur patrie, qu’ils ont rêvé de liberté mais n’ont pas vu leur pays devenir libre, ni comment par la suite il a perdu sa voie. Tout ce que je sais, c’est qu’à chaque fois que je revois leurs photos et particulièrement celle d’Abdelkader, et sans savoir me l’expliquer, une grande frayeur m’envahit, celle de mourir sans revoir l’Algérie. Etre condamné comme les bagnards algériens de Guyane à ne choisir ni sa vie ni sa mort. Nous, nous avons encore le choix et la chance de revoir ce paradis, cette Algérie que nous n’avons su ni aimer, ni bâtir, ni protéger. On ne sait certes jamais où on va mourir, ni quand cela nous arrivera, mais on peut savoir et décider : pourquoi, pour quelle cause, pour quel engagement. Les bagnards algériens savaient pourquoi ils luttaient, alors que nous ne savons même pas s’il faut lutter justement et comment le faire. C’est là le véritable désespoir que nous vivons : celui de renoncer à nos rêves, celui de renoncer à nos vies, celui de renoncer à notre pays.
N. B.

1- L’administration coloniale, refusant tout droit politique aux indigènes des colonies, faisait une confusion entre les déportés politiques des colonies et les condamnés de droit commun. Il suffisait qu’un déporté politique sorte un fusil pour le condamner à des peines de travaux forcés, c'est-à-dire de droit commun.

2- Les îles du Salut sont constituées de trois îlots : l’île Royale la plus grande dont la superficie est de 28 hectares, île à l’est : Saint-Joseph qui fait 20 hectares et l’île du nord : île du Diable 14 hectares. La superficie totale est de 62 hectares. Les îles du Salut portaient autrefois le nom anglais de «Devils Islands». Les Britanniques furent les premiers navigateurs à avoir cartographié ces îles. On les nomme aussi îles du Triangle en raison de leurs dispositions selon les Amérindiens. Ces îles sont visibles du continent et sont situées à environ 8 miles de la ville de Kourou. Elles prirent le nom d’îles du Salut après que les colons décimés par les fièvres tropicales décidèrent de s’y réfugier pour se protéger des piqures de moustiques.

3- Henri Charrière, plus connu sous le nom de Papillon, est ce qu’il y a de plus malfrat et criminel au bagne. Il n’était pas apprécié des autres bagnards. Cet Ardéchois d’origine a reçu une bonne éducation, ses deux parents étaient instituteurs. Il décide d’arrêter ses études et s’engage dans la marine où il est vite réformé. Henri Charrière va évoluer dans le milieu de la pègre parisienne. Il devient proxénète à Paris. Probablement pour une femme, il tue un autre proxénète en 1930 qui s’appelle Roland Legrand. En 1931, la cour d’assises de Paris le condamne à une peine de travaux forcés à perpétuité pour meurtre, il niera ce crime. Il arrive en 1931 en Guyane et s’évade en 1944 de Cayenne et non des îles du Salut comme il l’écrit dans son livre. Il va gagner la Guyane britannique et rejoindra le Venezuela où il fera de très bonnes affaires et connaîtra la célébrité grâce à son ouvrage éponyme dans lequel il s’attribue nombre d’aventures et hauts faits accomplis par autrui.

4- Dreyfus, accusé sans aucune preuve, en 1894 d’avoir transmis à l’ambassade d’Allemagne des documents militaires est condamné pour espionnage à une peine d’enfermement à vie. L’affaire prit une autre dimension avec la publication de l’article d’Emile Zola «J’accuse» qui partagea la France en deux sur fond d’antisémitisme. Le procès sera rejugé en 1899 et maintiendra la culpabilité de Dreyfus. Néanmoins, il sera gracié par le président de la République, réhabilité définitivement en 1906 et réintégré dans l’armée. Il fut rétabli seulement au grade de commandant alors que s’il avait poursuivi sa carrière, il aurait dû prétendre au grade de lieutenant-colonel ou colonel, ce qui le décida alors à quitter l’armée.

5- Anneaux métalliques fixes doubles qui immobilisaient les pieds des détenus, les obligeant à ne se mettre qu’en position assise ou couchée.

6- Les fièvres tropicales ont décimé les populations d’origine étrangère déportées et surveillants réunis. Le vaccin contre la fièvre jaune n’a été mis en service qu’en 1926 et le bagne a été créé en 1852.

7- Le grand livre du Bagne, chapitre : la société du bagne page 173 Eric Fougère Édition Orphie.

8- M. Amar Belkhodja (chercheur en histoire) dans son ouvrage Pages de novembre édition (ANEP 1997) relate l'histoire du regretté Serada Morsli arrêté en 1930 par les colons français et exilé au bagne de Cayenne. «Nous autres Algériens faisions carême pendant le mois de Ramadan et enterrions nos morts dans nos propres cimetières », avait-il révélé. «Sa libération de Cayenne coïncide avec le déclenchement de la guerre de Libération nationale. Après son retour, il est arrêté en 1957 par l'armée française, il parvint à s'évader au cours de son transfert…

Eu égard à son âge et sa blessure, il est procédé à son transfert vers le Maroc grâce au concours des services de l'ALN. En 1962, il retourne une deuxième fois chez lui.» Il décéda en janvier 1989 dans l'anonymat.

Contribution Les bagnards algériens de Guyane - Le Soir d ...

 

Tag(s) : #Bagnes coloniaux, #Peinture - Photographie - Dessin
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