Une longue série d’articles parus dans des revues scientifiques, d’ouvrages publiés en librairie, d’articles de presse, de fascicules spécialisés constitue la bibliographie de l’affaire Dreyfus, exceptionnellement abondante1. Ces études s’appuient sur des sources de différentes natures, dont l’essentiel est réparti dans plusieurs centres d’archives publiques. Il faut également considérer au rang des sources des ouvrages parus en librairie, tels la correspondance de Dreyfus2, ainsi que des opuscules édités au moment des faits3 et encore une masse considérable d’articles de presse rédigés au cours des années traversées par l’Affaire4. Or, le contexte général de l’Affaire – rendu autant que généré par la presse – a grandement pesé sur les mesures de surveillance prises à l’encontre de Dreyfus au cours de sa captivité à l’île du Diable. Le large fonds public, conservé aux Archives Nationales d’Outre-Mer, à Aix-en-Provence, et constitué de documents émanant essentiellement du ministère des Colonies et de l’Administration pénitentiaire, témoigne des rapports entre les soubresauts de l’Affaire et les à-coups de la surveillance du déporté. L’histoire même de ce fonds, resté longtemps secret, est révélatrice de l’impact de l’Affaire dans la société française, ceci bien au-delà de la date de réhabilitation de Dreyfus. Ce fonds est fondamental pour percevoir la personnalité de Dreyfus. Il l’est tout autant pour découvrir la spécificité extraordinaire, au sens premier du terme, des mesures de surveillance qui lui ont été imposées au fil des années de captivité. C’est ce fonds et ses liens avec les bouleversements de l’Affaire qui nous intéresse en premier lieu. À côté de ces éléments précieux, et de l’ensemble des documents originaux disponibles par ailleurs, et recensés de longue date5, subsiste un fonds privé beaucoup plus modeste resté inconnu jusqu’ici. Ce fonds, de même origine que les documents des Archives Nationales d’Outre-Mer, n’est ni répertorié ni étudié. Il subsiste également des papiers privés méconnus, non répertoriés, que nous avons eu la possibilité de faire entrer dernièrement dans l’espace public. L’histoire de ces documents demeurés inconnus complète et éclaire celle du fonds d’Aix en Provence. Le crime dont Dreyfus a été injustement accusé, alors que la défaite de 1870 est toujours présente dans les esprits, est apparu particulièrement odieux ; il a poussé, dès l’origine, à d’inhabituelles mesures d’isolement qui ont surpris jusqu’au personnel de l’Administration pénitentiaire. Puis, la violence des réactions, ainsi que la volonté politique d’étouffer le scandale, ont ouvertement renforcé la détermination des responsables ministériels à l’égard du Capitaine. Le dessein de tenir l’homme au secret dès son arrestation et plus encore après sa condamnation, a débouché sur des mesures de surveillance exceptionnelles dont l’Île du Diable, lointaine et minuscule terre verrouillée de vagues au sein de l’univers clos du bagne colonial, a été un lieu favorable...