A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.
Les repères et les outils proposent des données et des instruments d’exploration complémentaires visant à faciliter les études et les recherches.
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Le blog Criminocorpus est ouvert à un large public au-delà de la seule communauté des chercheurs. Cette rubrique « portrait du jour » permet de faire connaître d’autres activités croisant l’histoire de la justice à travers le parcours de personne ayant accepté de présenter leur trajectoire professionnelle. On trouvera donc ici des parcours d’historiens, de romanciers , de sociologues, cinéastes, professionnels de la sécurité, etc. Cette rubrique est animée par Philippe Poisson , membre correspondant du CLAMOR et ancien formateur des personnels à l’ENAP. et l’A.P. La publication du portrait du jour est liée aux bonnes volontés de chacun, nous invitons donc les volontaires à prendre contact avec philippepoisson@hotmail.com – Marc Renneville , directeur du Clamor et de Criminocorpus.
Pour son 149ème Portrait du jour la rédaction du carnet criminocorpus reçoit Fátima de Castro, habitante du Val de Loire. Elle a étudié les lettres à La Sorbonne, et a participé à des travaux de traduction sur le regard portugais porté sur les cultures étrangères notamment en Égypte et Éthiopie.
Ici elle nous présente l’ouvrage qu’elle a traduit en Français pour son homonyme Ana de Castro Osorio . « En temps de guerre » sous titré « Aux soldats et aux femmes de mon pays » est un recueil d’articles compilés durant la première guerre. Ou Ana la première féministe rappelle que le Portugal a bien participé à cette première guerre mondiale, en y perdant d’ailleurs près de 20 000 hommes lors de la bataille de la Lys , et dans ses écrits d’alors, injustement oubliés, Ana exhorte ses consœurs portugaises à participer activement à la lutte contre l’ennemi germanique, et à changer la société portugaise. Nul doute que cette traduction était nécessaire pour nous éclairer sur le rôle des femmes portugaises en 14/18 …
Après des travaux interrogeant le regard portugais porté sur les cultures étrangères, Fátima de Castro a voulu répondre à cette question souvent entendue : pourquoi les Portugaises n’ont-elles pas suivi le mouvement féministe au début du XXe siècle ?
Dans le cadre d’une association patrimoniale locale Fátima de Castro a réalisé une brochure sur l’attentat que Cadoudal prévoyait à l’encontre du futur Napoléon. Elle s’est basée sur les compte-rendu du procès et des recherches biographiques pour établir ce récit.
Le sérieux des publications de cette association est assuré par des membres issus du corps universitaire et du CNRS. Pour en savoir plus contacter l’auteure du portrait
https://www.facebook.com/profile.php?id=100016504086205
Bienvenue Fátima de Castro sur le carnet criminocorpus résolument ouvert aux femmes et aux féministes. Ph.P.
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« … Voilà ma réponse à ceux et celles qui me posaient les questions citées en entrée. Une réponse non par ma voix, mais par celle d’une des femmes les plus investies dans la vie sociale de son époque, une femme qui écrivait, qui haranguait ses semblables, qui œuvrait à l’éducation de la population pour changer les choses. De muette et oubliée, j’ai voulu faire resurgir cette voix, ressusciter cette pensée. Oui, le Portugal a bien sacrifié des soldats à la cause commune, certes tardivement, en 1916, après avoir confisqué les navires allemands amarrés dans ses ports, mais tout de même. Et oui, les Portugaises ont bien suivi le mouvement international engagé dès le milieu du 19e siècle … » Fatima de Castro
« Comment se fait-il que vous autres, Portugais, soyez restés loin des champs de bataille de la Première guerre mondiale ? »
« De toute façon, vous, les femmes portugaises, vous êtes habituées à ne rien faire pour améliorer votre condition »
Ces deux remarques récurrentes, tant de fois entendues, m’ont amenée à m’interroger sur ces deux sous-entendus « nordiques » un peu pesants qui supposent que, dans le Sud, on ne fait pas grand chose pour… changer les choses. L’image d’habitants nonchalants, de femmes soumises, semble encore bien ancrée d’après ce que mes écoutilles enregistrent.
Mes recherches universitaires m’avaient amenée à m’interroger sur le regard que porte le Portugal sur les cultures étrangères qu’il lui a été donné de croiser dans sa longue expérience d’explorateur. Comment les premiers Portugais qui ont mis le pied en Ethiopie, à la recherche du mythique Prêtre Jean, ont-ils perçu la réalité de ce pays qui, bien évidemment, n’avait rien de commun avec les rivières d’émeraude et autres flots d’or et de pierres précieuses décrits dans la fameuse lettre mystificatrice de 1170. Loin de s’en émouvoir, les Portugais ouvrent leurs yeux et leurs Jésuites se mettent à publier la réalité du terrain (Pêro Pais : introduction à la lettre d’un jésuite en Éthiopie (1603). In : Cahiers du Centre de recherche sur les pays lusophones – CREPAL, Presses de la Sorbonne Nouvelle, cahier n°11, 2005, p.27-36).
A la fin du 19e siècle, le grand écrivain portugais José Maria Eça de Queiros , encore jeune et auteur en devenir, a la chance de pouvoir fouler les terres égyptiennes et bibliques à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez. Sensations avides et dépaysement exotique dont il couvre fébrilement ses carnets de voyage qui lui serviront, par la suite, à alimenter ses œuvres de cette expérience qui mêle intérêt culturel et regard personnel (Eça de Queiroz et le Moyen-Orient : réalité et fiction, mémoire de maîtrise, Université Sorbonne-Paris IV, 1996).
Mais les étonnements qui m’arrivent par la suite me portent à inverser ce regard. De Portugal regardant je me trouve face au Portugal regardé. Mal regardé. Ou regardé avec un certain préjugé parce qu’on n’en a jamais entendu parler. Et pourquoi ? me suis-je demandé. La littérature traduite reste très… littéraire, ou axée sur des études relatives aux découvertes, le grand succès du Portugal médiéval et renaissant. Le Portugal lui-même semble n’accorder d’intérêt universitaire à la question du mouvement féministe que depuis récemment. Ce mouvement, je le découvre moi-même très actif dès son apparition. S’il surgit tardivement par rapport aux mouvements américains ou du Nord de l’Europe, il part sur les chapeaux de roues, créé commissions sur commissions, investit la vie publique et éditorialiste. Je découvre le nom tristement oublié aujourd’hui d’Ana de Castro Osório, fer de lance du féminisme, participante active à la mise en place de la République en 1910, la tête pleine de projets pour faire évoluer son pays et la condition de la femme avec. Cerise sur le gâteau, je tombe par hasard sur une publication de 1918 : Ana y regroupe un ensemble d’articles par elle rédigés tout au long du premier conflit mondial.
Voilà ma réponse à ceux et celles qui me posaient les questions citées en entrée. Une réponse non par ma voix, mais par celle d’une des femmes les plus investies dans la vie sociale de son époque, une femme qui écrivait, qui haranguait ses semblables, qui œuvrait à l’éducation de la population pour changer les choses. De muette et oubliée, j’ai voulu faire resurgir cette voix, ressusciter cette pensée. Oui, le Portugal a bien sacrifié des soldats à la cause commune, certes tardivement, en 1916, après avoir confisqué les navires allemands amarrés dans ses ports, mais tout de même. Et oui, les Portugaises ont bien suivi le mouvement international engagé dès le milieu du 19e siècle.
Dans son En temps de guerre, Ana de Castro Osório analyse l’effondrement social et économique du pays mis en évidence par l’entrée en guerre et dû à la défaillance d’une approche politique qui n’a jamais souhaité faire de la femme un membre actif de la société, un membre dont l’énergie serait bien utile à un moment où les hommes sont sur le front. Elle souligne les dysfonctionnements dans toutes les branches : administration, agriculture, industrie, enseignement, l’abandon des soldats portugais par les leurs. Elle interpelle les politiques, ses concitoyennes, citant l’exemplarité des Françaises, des Anglaises, des Russes et même des Chinoises. Pour elle, la passivité féminine est devenue une tare. La femme portugaise doit se réveiller, agir, ne plus simplement attendre dans la quiétude de son foyer. Dans ce recueil d’articles, Ana de Castro Osório va au-delà du féminisme comme simple notion sociale. Elle lui donne une envergure pratique, propose des solutions, enguirlande ses consœurs et tente d’éveiller la part active qu’elles peuvent devenir au sein de la société, qu’elles doivent devenir au sein de la société.
Ana de Castro Osório, En temps de guerre : aux soldats et aux femmes de mon pays (Portugal 1914-1918), traduction Fatima de Castro, éditions l’Harmattan, 2018.