ŒIL EN EVEIL – QUE DIT LA LOI
Le blasphème : droit ou délit

Une statue de la justice en Irlande où une loi condamnant le blasphème a été votée en 2010 – © Wikimedia-J.-H. Janßen

En collaboration avec Philippe Poisson, Krystyna rédige régulièrement et officiellement une critique de littérature policière RUBRIQUE OEIL EN ÉVEIL sur le discret carnet criminocorpus
“L’actualité judiciaire, politique, sociale, économique, culturelle, législative ou les faits divers retentissant font, de nos jours, l’objet d’un traitement instantané par les médias, les réseaux sociaux, les parties impliquées voire même les responsables politiques, le traitement où le sensationnel, l’affectif ou bien un discours moralisateur de bon aloi se font souvent la part belle au détriment d’une analyse factuelle et d’un examen juridique des arguments et des faits avancés et de l’état du droit.
Ce derniers temps, ces sont les notions de liberté de conscience, de liberté d’expression, de délit de blasphème, qui se bousculent dans les médias, dans les discours des politiques et même auprès des tribunaux, chacun y allant de son analyse, plus ou moins orientée, plus ou moins réfléchie. L’état du droit positif français y est rarement exposé, tout comme celui de la jurisprudence en la matière. Essayons donc un succinct focus juridique sur un concept, tant décrié ces jours-ci, le blasphème. Mis en lumière par l’affaire Mila, le débat sur cette notion ne date pas d’hier. Avant d’exposer brièvement son histoire, puis, son régime en droit français, précisons sa définition. Que veut dire le mot blasphème de nos jours ? Si l’on se réfère au dictionnaire Larousse, étymologiquement, c’est une parole ou discours qui outrage la divinité, la religion, ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré. La notion de blasphème est intrinsèquement religieuse et ne concerne que les croyants d’une religion.
Après son introduction en droit français au XIII siècle, sous Louis XI, pour justifier la répression des hérétiques, il est sanctionné par la mutilation de la langue et des lèvres. Vivement critiqué à la Renaissance, il est supprimé du droit français par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui consacre la liberté d’expression au sens large et autorise la critique de toutes les religions. La III République a, parmi ses priorités, celle de mettre fin à l’hégémonie de l’Eglise catholique dans le pays, et à son rôle historique de fondement de l’ordre social. Par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, elle abolit définitivement le délit de blasphème, avec comme limite le trouble de l’ordre public Cette loi qui s’applique d’une manière générale à toute forme d’expression, est suivie par la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, qui supprime tout lien entre l’Etat et la religion et consacre le principe de la laïcité de l’Etat français. Cependant la loi Pleven de 1972, modifiant la loi de 1881, apporte des restrictions à ce régime de liberté élargi, Elle crée le délit d’injure, de diffamation et de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination, en raison d’une appartenance ou non à une race, une ethnie, une nation ou une religion. L’interprétation de ce texte a donné lieu à de nombreux débats sur la notion de la liberté de la presse, liberté d’expression et le sentiment religieux érigé en un droit de l’homme. Car, si en France est possible d’insulter une religion, ses symboles et ses figures, il est désormais interdit d’insulter les adeptes d’une religion. La différence peut être parfois tenue entre les deux, mais les juges ont fini par clarifier, en 2007, leur position et par confirmer la pertinence de ce distinguo en droit français, lors du procès contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo, après la publication par le journal des caricatures de Mahomet. Pourtant ce débat vient d’être engagé à nouveau, à l’occasion de la récente affaire Mila, le débat où les concepts du sentiment religieux et de la protection des sensibilités des croyants, considérés comme un droit et qui primeraient de surcroit sur le droit fondamental de la liberté d’expression, ont été mis en avant. Il serait utile de rapprocher cette polémique de la récente décision (octobre 2018) de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui a fait prévaloir dans son arrêt une notion de la paix religieuse ,pour valider la condamnation pour blasphème d’Elisabeth Sabaditsch-Wolff, personnalité autrichienne, qui avait qualifié le prophète Mahomet de “pédophile” lors d’une conférence du parti d’extrême-droite FPÖ en 2009. La CEDH a estimé en effet que cette déclaration menaçait la préservation de la paix religieuse , et que le jugement prononcé par la justice autrichienne ne contrevenait pas à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif à la liberté d’expression stipulant que toute personne a droit à la liberté d’expression, mais qu’elle comporte des devoirs et des responsabilités pouvant être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi.
Une nouvelle jurisprudence ou bien juste la volonté de respecter les dispositions du code pénal autrichien qui pénalise toute humiliation du dogme religieux ? La préservation de la paix religieuse, si elle était retenue par la suite par la jurisprudence française, serait-elle compatible avec la liberté d’expression de 1789 ? Le «droit au blasphème » en France serais-t-il amené à évoluer ? Le blasphème : droit ou délit ? Attendons les futures décisions de justice.”
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“L’actualité judicaire, politique, sociale, économique, culturelle, législative ou les faits divers retentissants, font, de nos jours, l’objet d’un traitement instantané par les médias, les réseaux sociaux, les parties impliquées voire même les responsables politiques, le traitement où le sensationnel, l’affectif ou bien un discours moralisateur de bon aloi se font souvent la part belle au détriment d’une analyse factuelle et d’un examen juridique des arguments et faits avancés, avec tout ce que cela comporte de recul , de rigueur, et de connaissance de la loi applicable. Ne souhaitant en aucune manière porter un jugement de valeur sur ce traitement et encore moins penser détenir science infuse de la manière de faire, je crois juste opportun et intéressant, d’y apporter un éclairage de juriste sur un point particulier de droit concerné par l’affaire faisant la une de vos journaux et de vos écrans. Un focus purement juridique peut vous apporter les éléments nécessaires ou utiles à sa parfaite compréhension : pour éclairer votre lanterne. . A titre d’exemple, dans la récente affaire Mila, suite à la controverse médiatisée sur la définition de l’atteinte à la liberté de conscience, je me propose dans le prochain billet de réfléchir sur cette notion, du point de vue purement historique, juridique et jurisprudentiel. Et d’essayer de rechercher sa définition et son origine en droit français, chose guère aisée dans ce cas précis.
Pour différencier cette approche de l’actualité des ma chronique culturelle habituelle ŒIL EN EVEIL deviendra et ŒIL EN EVEIL – QUE DIT LA LOI.
Vos remarques et commentaires sont les bienvenus.”