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344 - Cherif Zananiri, physicien de formation et écrivain vulgarisateur

Le Carnet de l’histoire de la justice, des crimes et des peines  développe la rubrique Portrait du jour – Criminocorpus  et ouvre ses pages aux fidèles lecteurs du site.

Pour son 344ème Portrait du jour – Criminocorpus  le carnet reçoit avec infiniment de plaisir Chérif Zananiri.

Physicien de formation et écrivain vulgarisateur pendant une longue période, Chérif ZANANIRI s’est intéressé aux terroirs sancerrois et solognot et y a planté les décors de ses romans, souvent liés à des éléments d’histoire : les guerres de Religion, celles de 1870, de 14-18 ou de 39-45…

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  • Une plongée au cœur du combat des Suffragettes dans les années 20.
  • Une réflexion pertinente sur le milieu notable d’après-guerre.
  • Une enquête de terroir menée par une héroïne engagée et indépendante.

Marie et Gaston vivent une vie paisible de notables provinciaux. Mais quand un usurpateur vend des faux à Gaston avant d’être assassiné, tout bascule ! Qui donc sème le trouble dans ce petit village ? Marie, très engagée auprès de la cause des suffragettes, n’a que faire de la police et ne va pas attendre qu’on enferme son époux : elle va mener sa propre enquête et démêler cette histoire !

Sortie le 29 mai 2020 aux Editions De Borée 

Bienvenue Chérif Zananiri sur le très discret et prisé carnet criminocorpus  Ph. P

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Portrait très original de Chérif Zananiri – « Le prévenu »

« Le prévenu était mal à l’aise ; on l’avait embarqué dans le panier à salade et, sans qu’à aucun moment on s’occupe de lui, il se trouva dans une cellule. Dire qu’elle sentait davantage la rouerie que les mauvaises odeurs, serait une évidence. Elle n’était pas plus grande qu’un réduit et était éclairée par la porte ; on pouvait voir un petit lit de fer et une table de toilette avec son miroir, déjà brisé. Décidément, tout cela n’annonçait rien de bon. Il s’affala sur le lit et attendit que l’on veuille s’occuper de lui. La première chose qu’il dit et répéta à foison au policier qui l’interrogeait, se résumait en peu de mots :

– Je suis innocent, je n’ai rien fait de mal. Je n’ai rien fait du tout. Il faut me libérer, je suis attendu demain à la librairie du Soleil-d’or et plus d’un de mes lecteurs serait déçu si je ne m’y trouve pas pour signer mes romans.

Le policier ne semblait pas satisfait de cette défense qui criait bien fort une innocence suspecte, d’autant que les librairies venaient d’ouvrir. Le prévenu tournait la tête dans tous les sens, guère habitué à ces accusations.

– Libérez-moi ; je vais tout vous expliquer. J’ai peut-être fait des bêtises, mais je n’ai jamais fait exprès ! Puis, il n’y a pas mort d’homme !

L’affaire semblait prendre bonne tournure ; l’inspecteur de police se tint sur ses gardes, vérifia que la vidéo tournait, et fit mine de s’assoupir sur la chaise face à celle du prévenu.

– Je vous explique. Avant d’écrire, il faut commencer par apprendre à lire et j’ai lu tôt et beaucoup. Plusieurs langues à la fois, sans doute ai-je eu de la chance de naître dans un pays cosmopolite. Je peux vous avouer monsieur le policier, que c’était un plaisir de passer toute une journée assis sur le sol à feuilleter les pages du Grand Larousse Universel de 1920, chercher un mot et puis passer d’un mot à un autre, comme on grimpe les échelons d’un escabeau. On a l’impression de monter et de ne s’arrêter que près des nuages. J’avais une belle vie. Un gamin qui lit Agatha Christie en anglais, tout comme Shakespeare, qui découvre le Cid, sans rien y comprendre, qui s’amuse à lire la bible dans plusieurs langues et découvrir Sherlock Holmes en même temps. Sans m’en rendre compte j’avais un monde aussi grand que l’univers ; j’étais libre et en un claquement de doigt, je m’envolais.

 Tout cela n’est pas bien grave, intéressant quoique bénin. A l’école, comment ça allait ?

– Bien. Je ne m’étais jamais posé cette question. Il a fallu que je sois jeune adulte pour me rendre compte que j’allais plus vite que d’autres avec une compréhension plus assurée.

 Dans quelles disciplines ?

– Justement, c’est là qu’ont commencé mes ennuis. J’étais multicolore, ou du moins, je n’excellais dans rien, et j’avais la chance de tout aimer pareillement.

 N’est-ce pas là, le rêve de tous les parents ?

– Sans doute. Pour moi, ce fut l’origine de mes tourments. On ne peut pas tout aimer de la même façon ; il faut faire un choix ; on ne peut pas être ingénieur et peintre, on ne peut pas marier deux extrêmes : être à la fois physicien et linguiste. C’est incompatible.

Le policier ne semblait guère impressionné par la difficulté déclarée du prévenu, estimant qu’il valait mieux avoir deux arcs que le carquois vide. Impatient, il demanda :

 Et alors, comment s’est terminée votre affaire ?

– On m’a conseillé de laisser tomber les lettres, les langues et aller en fac de physique.

 A vous entendre, on pourrait croire que c’était terrible…

– Alors que ce n’était pas du tout le cas… C’était un vrai bonheur et j’ai rencontré le même sentiment d’avancer à grande vitesse lorsque les autres piétinaient. J’avais beaucoup de chance…

 Oui, bon. D’accord. Tout ça n’est pas bien grave.

– Je le sais. Mais autant tout vous dire. Je continuais à lire, quoique moins. Disons que j’ai continué à travailler avec des manuels d’anglais et en particulier ceux de l’Université de Berkeley.

 Et c’est bien, ça ?

– Oui, c’est ce qu’on dit. Mais il faut bien comprendre pourquoi. Je n’avais pas le temps d’assister à tous les cours. Je travaillais et j’étais souvent absent. Il fallait donc que je trouve tout seul mon chemin.

 Et vous l’avez trouvé ?

– Oui, et il faut croire ça m’a appris à penser autrement la physique et par la suite à la présenter différemment.

 Donc vous avez enseignez…

– Effectivement, toute une carrière à enseigner la physique dans les écoles d’ingénieurs et en classes préparatoires.

 Ça devait être intéressant.

– Oui, mais pas délictuel.

– Non, non. Mais c’est peut-être un premier faux-pas.

– Oui, je l’avoue ; j’ai commencé à publier. Et cela pendant près de 25 longues années.

 Une longue période…

– Oui, près de cinquante publications. Il est vrai qu’il y en a eu de toutes les sortes, des plus sérieuses à d’autres encore plus sérieuses. Puis un jour, j’ai eu envie de l’être un peu moins. C’est sans doute la raison pour laquelle je suis ici, accusé de je ne sais trop quoi !

Le policier fit un signe au greffier pour qu’il lise les premiers aveux. Pendant toute la lecture, l’accusé demeura immobile, la tête légèrement penchée vers le lecteur. Pas le moindre petit mouvement, pas la plus petite contraction, et pendant que le policier semblait frissonner aux récits de l’accusé, celui-ci ne bougea pas, resta froid, impassible. Le policier regarda l’accusé dans les yeux :

 Dois-je faire venir les témoins ?

– Ah ! parce qu’il y a des témoins ?

 Évidemment, tous ceux qui ont dû subir vos histoires…

– Mais je suis innocent, se récria l’accusé. Je n’ai commencé à écrire des romans qu’à partir du moment où j’ai abandonné la physique.

 C’est faux, vous mentez…

– Mais non ! Je ne mens pas !

– Faux. Mais je laisse tomber.

 Vous persévérez ?

– Oui. Quel plaisir d’écrire !

 Je ne comprends pas. Vous prétendez qu’écrire vous procure du plaisir.

– Oui, absolument. (L’accusé, pour la première fois, sembla retrouver son allant.) Je vous explique. Écrire, c’est créer à faible coût, tout un monde, avec ses décors, ses climats, ses habitants, ses aventures, ses personnages célèbres gentils ou méchants. L’auteur est Dieu ; Dieu pour une heure ou deux, un jour, un mois, … Mais lorsque le roman s’achève, tout se grave dans le marbre et les personnages deviennent aussi vivants dans mon esprit que mes propres souvenirs. Ils sont comme mon humeur a voulu qu’ils soient et associés à d’autres qui ont vraiment vécu, je fabrique une histoire dans l’Histoire et un monde dans le Monde. Quoi de plus grisant ! Puis les mots, l’amour des mots avec leurs rythmes, leurs silences. Écrire en mots et en silences : mon rêve ; comme les poètes. C’est dire et ne pas dire, attendre dire, interroger les limites du langage, car le silence est aussi fort que les paroles avec l’illusion folle de faire entendre ce qui est tu car toute écriture porte en elle tous les mots qu’elle ne dit pas. Mon projet, mais illusoire, il est vrai, est d’être le créateur des mots qui disent ce qui échappe aux mots.

Le policier sembla fort mécontent :

 Vous voulez prendre la place de Dieu. Dans un tribunal religieux des temps anciens, on vous aurait brûlé vif. Pour en revenir à vos affirmations, vous semblez préférer les romans historiques aux autres.

– Oui, il faut croire que mon esprit cartésien aime construire comme le lierre…

 Comme le lierre ? Je ne comprends pas.

– Le lierre ne pousse bien que le long des murs. Les éléments d’histoire sont comme le mur pour le lierre, je construis et je remplis les trous que les historiens n’ont pas pu combler. (Puis il ajouta avec le sourire.) La nature a horreur du vide !

 Travail mineur et sans intérêt, dit sur un ton catégorique le policier.

– Non, je revendique cela. Pas plus mineur qu’un autre et fort intéressant car il permet à ceux qui peinent à entrer dans l’étude de l’Histoire, de pénétrer par une petite porte, de soulever les rideaux et si d’aventure la lecture leur a plu, ils auront le courage, peut-être d’aller plus loin. C’est ce que je me propose de faire.

 Accusé, défendez-vous. Et votre sortie littéraire pour cette année ?

– Il faut mettre le pluriel ; elles sont du même moule. Avec ces histoires de confinement, le livre qui aurait dû sortir en mars, puis avril est prévu pour le 28 mai 2020. Titre : Marie et le marchand de temps, chez de Borée. Entre-temps, j’ai réactivé un livre sur les expériences de physique que l’on fait avec les enfants dans le laboratoire de la maison, je veux parler de la cuisine : 250 EXPERIENCES DE PHYSIQUE DE 7 A 77 ANS. Il y a quelques jours, une « récréation littéraire » : CORONAVIRUS ET BROCOLIS ». Enfin, comme le calendrier se complique, ma sortie chez Ramsay à l’automne est repoussée pour l’hiver : SŒURS D’ARMES.

 De quoi parle votre « Marie et le marchand de temps » ? Ce ne serait pas un roman policier ?

– Un peu. Cette histoire qui a plus de cent ans, a eu lieu dans une petite ville de province, Chartres. On y voit des savants crédules, un homme accusé à tort et surtout une belle héroïne, Marie, suffragette par conviction, qui va défendre son mari, bec et ongle pour le sauver des griffes de la police…

Le policier sembla intéressé.

 Je vous somme, pour le prochain roman policier, de choisir des enquêteurs qui ne ridiculisent pas la police.

– Rien à craindre, celui-ci n’est pas véreux ! Le gendarme en question est habile, intelligent et sympathique. Il a tout pour lui ; ce sera donc un homme qui donne une bonne image de … vous et de la police.

L’accusé se tut quelques instants et puis d’une voix timide, presque dans une expiration, ajouta : « Puis il y a tous ceux qu’on aime… »

 Pardon…

– Oui, je suis aussi écrivain pour tous ceux que j’aime. Avoir la chance de pouvoir raconter à mon temps tout ce que je n’ai jamais eu l’occasion de leur raconter. Écrire, c’est leur dire en mille langues et encore plus de mots, tout l’amour qu’on leur porte et toutes les histoires que l’on aimerait leur raconter. Le papier sera mon témoin et je vis dans l’espoir que la succession sera un jour ouverte et que ceux à qui je destine mes romans, auront la patience de les lire.

 Bien… (On sentait que le policier voulait tourner la page.) Finalement, vous avez eu deux métiers…

– Non, j’ai d’abord été professeur ; c’est mon unique métier. Faut-il craindre que le professeur déteigne sur le romancier, le rendant barbant, lourd et pédagogiquant à chaque détour de phrase ? Non, pas du tout, car un professeur n’est pas là pour exprimer mais pour suggérer. Il ne pense pas pour ses étudiants, élèves, disciples. Il éclaire presque en silence et laisse l’autre choisir. Le romancier crie dans le silence et espère que ce qu’il écrit, sous forme de suggestions sera lu, compris et apportera à chaque lecteur ce qu’il attendait du texte, donc pas nécessairement la même chose d’un lecteur à l’autre. Professeur est un métier, comme plombier ou médecin, un métier digne, respectable. Être écrivain, ce n’est pas un métier, mais un acte de folie douce et d’espoirs insensés. On est journaliste toute sa carrière, on est écrivain pour la vie. Reste à avoir le goût de la phrase bien tournée et le don de la correction… sans oublier la modestie de ses exigences pécuniaires. Je vous en laisse juge à la lecture de mon compte en banque.

– Non, merci, je ne suis que policier, mais je vois que vous vous défendez correctement. Je vous libère…

– Déjà ?

– Oui, c’est fini, il y a plus urgent… Je commence à lire un nouveau feuilleton sur la toile ? Facebook. Il s’intitule : « Blessures du passé… »

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Philippe Poisson, gestionnaire du carnet Criminocorpus, anime la rubrique « Portrait du jour et la prison au cinéma».

Le carnet Criminocorpus est ouvert à un large public au-delà de la seule communauté des chercheurs. Cette rubrique «portrait du jour» permet  de faire connaître d’autres activités croisant l’histoire de la justice à travers le parcours de personne ayant accepté de présenter leur trajectoire professionnelle. On trouvera donc ici des parcours d’historiens, de romanciers, de sociologues, cinéastes, professionnels de la sécurité, etc.  Cette rubrique est animée par Philippe Poisson, membre correspondant du CLAMOR et ancien formateur des personnels à l’ENAP et l’A.P. La publication du portrait du jour est liée aux bonnes volontés de chacun, nous invitons donc les volontaires à prendre contact avec philippepoisson@hotmail.com – Marc Renneville, directeur du CLAMOR et de Criminocorpus.

Directeur du CLAMOR, Marc Renneville est historien des sciences spécialisé sur les savoirs du crime et du criminel, directeur de recherche au CNRS et membre du centre Alexandre Koyré.

A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.

Nos autres sites : REVUE et le BLOG D’ACTUALITÉS

Relecture et mise en page Ph. P et S.P


Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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