Reprise du portrait du jour criminocorpus - En attendant de publier ce portrait du jour dans la nouvelle version "Culture et Justice" de l'association Criminocorpus, nous mettons en ligne celui de Michèle Perret sur mon blog personnel
Nous accueillons avec infiniment de plaisir Michèle Perret,médiéviste, linguiste et romancière.
Elle a vécu en Algérie jusqu'en 1955, d'abord dans une ferme proche de Sfisef (Mercier-Lacombe), puis à Oran, avant de s’installer à Paris vers la fin de ses études secondaires. Agrégée de lettres modernes, docteur ès Lettres et sciences humaines, Michèle Perret a exercé la presque totalité de sa carrière universitaire comme professeur de linguistique médiévale ...
Bienvenue Michèle sur le très prisé et discret Culture et justice. Ph. P et C.L.
Michèle PERRET, médiéviste, linguiste et romancière.
- Michèle PERRET, comment une spécialiste du Moyen Age en est-elle arrivée à écrire des romans historiques ?
En fait, je n’ai jamais choisi le Moyen Age : c’est lui qui m’a choisie. Recrutée par le département de linguistique de l’université de Nanterre dans les tout débuts de cette fac, en 1968, on m’a demandé d’y enseigner la langue du moyen âge, parce que c’est là que se situaient leurs besoins. A l’époque, je m’intéressais plutôt au français en devenir, mais fidèle à l’adage « pour être heureux, aime ce que tu fais », je me suis intéressée au vieux français. Et je ne l’ai jamais regretté, l’époque est incroyablement riche, l’imaginaire foisonnant, la langue en pleine création.
- Mais vous n’avez jamais quitté complètement le Moyen Age ?
Pas vraiment : mon premier livre, en 1979, a été une traduction pour Stock d’un roman de la fin du XIVe, Le Mélusine de Jean d’Arras : sur fond de croisades une histoire fantastique de femme serpent, venue du folklore poitevin.
Et ma dernière incursion dans le domaine date de 2014, avec une adaptation pour les juniors de ce même roman (chez Tertium) – Y en aura-t-il un autre ? Un jeune lecteur m’a demandé si je ne pouvais pas lui écrire « le même, mais avec des chiens et des chats ».
- Et vous êtes passée abruptement du Moyen Age à l’Algérie ?
Non, il y a eu entre deux toute une carrière universitaire, avec ses colloques, ses ouvrages collectifs, ses articles, ses missions ici et là, et même une incursion dans le monde de l’édition, avec l’éphémère direction d’une collection linguistique chez Armand Colin. Pendant cette période, la même maison m’avait demandé une histoire de la langue française ; ce fut un franc succès, totalement inattendu : parue en 1996, cette Introduction à l’histoire de la langue française a fait rigoler des générations d’étudiants et en est à sa cinquième édition.
- Rigoler ?
Le savoir était sérieux, mais le ton et les exemples plutôt drôles.
- Quand et comment êtes-vous passée des publications scientifiques à la fiction ?
Dès que l’Université m’a lâché la grappe ! J’ai encore eu une commande, la plus ennuyeuse que j’aie jamais eue, ce qu’on appelle dans notre jargon une « édition de texte » : transformer un manuscrit en un texte imprimé, avec beaucoup de notes savantes. Je n’ai aucune disposition pour ce genre d’exercices et je vivais les derniers mois de la vie de ma mère. J’ai beaucoup peiné et dès que j’en ai eu fini, je suis passée à autre chose.
- Et l’Algérie ?
J’y suis née, il y a bien longtemps, et y ai passé les belles années de mon enfance, libre comme l’air dans une grande ferme des environs de Sidi Bel Abbès. J’en suis partie très jeune pour vivre d’autres choses. Mais, sur le second versant de ma vie, il m’est soudain devenu urgent de parler enfin de ce qui me tenait à cœur et j’ai repris des liasses de pages que j’avais noircies à mes moments de loisir. C’est ainsi qu’est né Terre du vent , une fable sur le bonheur illicite, où une petite fille qui me ressemblait un peu découvrait que la ferme qu’elle habitait, son paradis d’enfance, avait appartenu et appartiendrait à d’autres qu’à elle et aux siens. Je ne sais pourquoi, ce livre, nostalgique, mal composé et bien peu réaliste, a enchanté tous les amoureux du bled, Pied-noirs, bien sûr, mais aussi Algériens, Pied-rouges ou émigrés des première, deuxième ou troisième générations. Je me suis passionnée et j’ai voulu renouer les liens entre mes deux vies, les liens entre les deux peuples qui avaient été déchirés par cette histoire violente.
- Et vous avez alors continué à écrire sur l’Algérie ?
Plus ou moins, on n‘abandonne jamais complètement…Il y avait encore parfois quelques commandes, quelques incursions dans a littérature junior, aussi. Mais autant, quand j’étais universitaire, je n’avais qu’à lever la plume pour que les éditeurs se précipitent, autant, dans l’écriture de la fiction, et sur un sujet si propice à la controverse, il m’a été difficile de me faire une place. Avec l’Algérie, nous entrons souvent dans le domaine des pensées convenues, des expressions prudentes, des sujets tabous. J’ai néanmoins continué, je suis têtue, pour constituer une sorte de trilogie sur l’Algérie coloniale : L’enfance (Terre du vent), La guerre, avec D’Ocre et de cendres , un recueil de nouvelles sur la vie des femmes pendant cette période, et Le retour, après avoir été invitée sur place par le mari de celle qui allait devenir une de mes éditrices : Les arbres ne nous oublient pas .
Oui, la maison montpelliéraine du Chèvre feuille étoilée, avec qui j’entretiens des relations amicales, me convient pleinement, tant comme édition de femmes que pour ses attaches avec les deux rives de la Méditerranée, comme moi.
- Etait-ce une raison pour passer à l’histoire avec votre denier roman sur les premiers temps de l’Algérie coloniale, cette « transportation » devparisiens, qui ressemble fort à une déportation punitive des insurgés de 1848 ?
J’aime beaucoup l’histoire, j’ai même une petite formation en la matière. Or il se trouve que j’étais allée fouiller du côté des premières années, sinon de la conquête, du moins de la colonisation : en allant regarder un peu du côté de l’arrivée des certains de mes ancêtres je suis tombée sur cette aventure des premiers colons, ces malheureux à qui l’on avait fait miroiter un eldorado, qui n’avaient jamais vu la mer, qui ont traversé la France en péniche et se sont retrouvés face à l’armée, dans un pays à défricher qui ne voulait pas d’eux et où même les bœufs refusaient d’avancer. Les documents étaient nombreux et passionnants. J’ai fais ce que je sais faire : creuser l’histoire et romancer pour donner vie, et j’ai raconté l’aventure de ce premier convoi qui n’était pas encore des déportés (les déportés des émeutes de 1848 ne le seront que deux ans plus tard, après deux ans de bagne en France) mais qui étaient déjà, aux yeux du pouvoir, de la « racaille », tout ceux dont on préférait se débarrasser préventivement. Leur aventure a été terrible : dans les premières années sur place, un tiers est mort, un tiers est reparti…Les autres ont fait souche et ont fini par aimer ce pays.
- Leur installation ferait l’objet d’une autre histoire ?
Peut-être… Antoine Delville et Jeanne Sabour demanderaient à vivre encore, mais moi, ai-je encore envie de traiter ce sujet ?
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