Comment la tension entre respect de la liberté de manifester et exigence de maintien de l’ordre a-t-elle posé problème à la République depuis la fin du XIXe siècle ? Emmanuel Laurentin s'entretient avec les historiens Ludivine Bantigny, Laurent Lopez, Arnaud-Dominique Houte et Anne Steiner.
Emmanuel Laurentin s'entretient avec Ludivine Bantigny, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Rouen-Normandie, Arnaud-Dominique Houte, professeur à la Sorbonne-Université, Laurent Lopez, chercheur associé au Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales (CESDIP) et Anne Steiner, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense.
Peut-on encore parler de violence d’état au fur et à mesure que l’on avance dans le XXe siècle ?
Laurent Lopez : Il peut y avoir des comportements policiers brutaux ou homicides, et un décalage entre la théorie et la pratique, mais sur la longue durée, et depuis la circulaire de 1930 qui stipule que les forces de l’ordre doivent « remplir leur mission en évitant les conflits brutaux et sanglants », on observe une volonté de l’Etat de pacifier le maintien de l’ordre.
Arnaud-Dominique Houte : Il y a une tendance de réduction de la violence – et la baisse du nombre de victimes des violences policières est très nette - mais cette tendance de longue durée doit être réinterrogée à la lumière de cette dernière décennie. Alors que depuis la fin du XXe siècle il semblait qu’on allait vers des formes de manifestations de plus en plus pacifiques et ritualisées, depuis les manifestations dans les banlieues de 2005, la crise du CPE, les manifestations contre la loi Travail et l’occupation du site de Sivens, de nombreux événements viennent contredire cette idée d'une pacification croissante.
Dans l’entre-deux guerres, on assiste à l’invention de nouvelles techniques de maintien de l’ordre public en temps de manifestations ou d’émeutes. Certaines très utilisées aujourd’hui ont pourtant connu des débuts difficiles ?
Laurent Lopez : Introduits en Allemagne sous la République de Weimar, on suggère l’usage des gaz lacrymogènes au sein de la gendarmerie en France à partir du début des années 1930 dans le but d’éviter le contact entre manifestants et forces de l’ordre. Parce que l’on sait que ces contacts sont propices à tous les incidents, y compris les plus dramatiques. Mais cette suggestion se heurte à la résistance des politiques qui continuent d’associer le mot gaz à des souvenirs encore très présents, ces gaz lacrymogènes étant les avatars des funestes gaz de combats de la Première Guerre mondiale.
L’Etat n’est-il pas pris en ciseau entre ses principes démocratiques et la nécessité de réprimer les citoyens qui transgressent certaines lois républicaines ?
Ludivine Bantigny : L'interrogation fondamentale dans chaque moment de révolte, d’insurrection, voire de révolution, c’est quel ordre protège les forces de l’ordre ?
Bibliographie
- Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962 : anthropologie historique d’un massacre d’État, Gallimard, 2006
Politique éditoriale de la page "Culture et Justice" - Le blog de Philippe Poisson
Le carnet de recherche de Criminocorpus a été créé en 2008 sur la plateforme Hypotheses avec l'objectif de couvrir l'actualité de la recherche en histoire de la justice. Il s'est progressiveme...
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