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Portrait du jour - Iocasta Huppen : haïjin (auteur de haïkus), poétesse

Nouveau portrait du jour : Iocasta Huppen

Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir Iocasta Huppen.

Questions de Félix Boulé pour la mise en ligne sur notre page. Merci infiniment Félix

 

 

Questions de Félix Boulé

  1. Vous êtes née en Roumanie. Quels sont les motifs qui vous ont amenée en Belgique ?

Je suis arrivée en Belgique, à Bruxelles, en 1998 avec un visa de regroupement familial, mon mari étant Belge. Nous nous sommes mariés en 1998 en Roumanie, dans ma ville natale, Iasi (Yassy).

  1. Vous avez donc fait votre scolarité en Roumanie. Le français n’est pas votre langue maternelle, et vous le maniez admirablement. Pouvez-vous nous raconter votre rencontre et votre histoire avec cette langue ?

Merci beaucoup. En effet, j’ai appris le français lors de mon séjour de deux ans au Maroc, à Oujda, dans les années ‘80. Mon père avait le statut de coopérant, étant professeur de mathématiques au collège. Il a exercé pendant quatre ans ; ma mère, ma sœur et moi-même l’avons accompagné pendant deux ans. Ce fut une période paradisiaque, comparée à la situation de la Roumanie communiste de l’époque. Pendant toute ma scolarité en Roumanie, j’ai continué à apprendre et à améliorer mon français.

  1. Quels ont été et quels sont vos rapports avec la lecture : autrices et auteurs roumains, mais aussi francophones et autres ?

J’ai un rapport ludique dans le sens où j’aime aller chez des bouquinistes et laisser le hasard guider ma main dans mes choix. Pour l’instant, je suis en train de lire « à mon seul désir » de Claire Gallois, une auteure découverte au printemps passé chez mon bouquiniste. D’ailleurs c’est toujours chez lui que j’ai acheté « Le retour du hooligan » de Norman Manea, un auteur né en 1936 en Roumanie. J’ai adoré ce livre.

  1. A quel moment avez-vous commencé à lire et à aimer de la poésie ?

Enfant à l’école primaire et ensuite ado, je lisais beaucoup. Grâce à une institutrice de l’école primaire, j’avais pris pour habitude (que j’ai gardée d’ailleurs) de noter dans des cahiers de citations tout passage d’un livre qui me plaisait. J’ai commencé à lire de la poésie à l’adolescence et je notais dans mes cahiers pas mal de poèmes que je trouvais dans des revues littéraires. J’ai écrit aussi un ou deux poèmes en rimes ; je n’ai plus poursuivi dans cette voie, peut-être parce que j’étais impressionnée par l’image omniprésente des grands poètes. Puis, je dois avouer que j’étais fort attirée par la forme brève des écrits, genre maximes, aphorismes, pensées, sans pour autant faire le pas vers l’écriture de ces genres qui me paraissaient complétement inaccessibles.

  1. Est-ce la poésie qui vous a amenée au haïku ou le haïku qui vous a amenée à la poésie ?

C’est le haïku qui m’a amenée à la poésie. Et le haïku répondait parfaitement à mon goût de brièveté dans les écrits.

  1. A quelle occasion avez-vous connu le haïku et qu’est-ce qui vous a donné le désir d’écrire ce genre poétique ?

J’ai commencé à m’intéresser au haïku en 2013, suite à une rencontre, que je cataloguerais de décisive, avec une Japonaise qui habitait à Bruxelles. Nous étions mères toutes les deux et nos enfants jouaient ensemble. Elle m’a fait part de ses difficultés à composer des haïkus pendant sa scolarité et cela a suffi à ce que je m’y intéresse. Au-delà de l’amitié profonde qui me lie à Akiko Tsuji, elle a ouvert en moi plus que la voie du haïku ; elle m’a permis de renouer avec la poésie. Je lui en suis profondément reconnaissante.

  1. Pouvez-vous nous dire simplement ce qu’est un haïku, quelles sont les règles essentielles qui le régissent ?

Le haïku est un genre de poésie codifiée d’origine japonaise. C'est un exercice inspiré de la philosophie bouddhiste d'envisager la vie en observant les choses, sans émettre de critiques. Avec ce petit poème, nous pouvons saisir l'insaisissable et l'éphémère comme par exemple : une feuille dans le vent, un oiseau qui chante dans l'arbre sur le chemin ou encore la lumière dans les gouttelettes d’une fontaine.

Concernant les règles de rédaction, j’en ai répertorié quinze auxquelles s’ajoutent des exceptions. Je prendrai juste trois règles de rédaction.

Une première règle : la théorie nous dit que notre haïku doit avoir 17 syllabes mais dans la pratique nous pouvons avoir une ou deux syllabes en plus ou moins.

Une deuxième règle : la théorie nous dit que notre haïku doit avoir un mot de saison mais dans la pratique nous pouvons, avec parcimonie, faire une référence à deux saisons dans le même poème ou encore avoir plusieurs mots de saisons.

Et une troisième règle : la théorie nous dit qu’il faut utiliser un verbe au présent mais il faut savoir qu’en fonction de ce que nous voulons exprimer nous utiliserons, toujours avec parcimonie, d’autres temps ou même plusieurs verbes dans un haïku. Ce sont des exceptions qui ont le mérite de servir notre poème afin que sa lecture soit fluide et qu’elle puisse plaire à un grand nombre de lecteurs et de lectrices.

Je conclus en disant que pour écrire des haïkus, il faut utiliser un langage simple, des mots de tous les jours, qu’il ne faut pas être trop poète et se laisser envahir par les images trop poétiques. D’ailleurs, le haïku contient un maximum de trois images et toute personnification, figure de style, sentence, vérité absolue ou encore rime, sont interdites.

  1. Y a-t-il des haïdjin, japonais ou non qui vous touchent particulièrement ?

Oui, parmi les auteurs classiques japonais j’aime Issa, Buson, Basho, Shiki et Santoka.

Il y a aussi un auteur moderne japonais que j’aime beaucoup ; il s’agit de Mayuzumi Madoka.

Et parmi les auteurs contemporains occidentaux je citerais : Marie Derley, Damien Gabriels, Jean Antonini, Valérie Rivoallon et Patrick Palaquer, pour ne citer que quelques noms.

Sans oublier, Monsieur Jack Kerouac que j’affectionne tout particulièrement.

  1. Combien de recueil de haïku avez-vous publié ? Pouvez-vous nous en donner les titres ?

J’ai publié six recueils. Voici donc les titres avec les maisons d’éditions et les années de sortie :

Oh, et puis zut !, Éditions Bleu d’encre, 2020

Poésie brève d’influence japonaise – Atelier d’écriture et poèmes choisis, Éditions L’Harmattan, Collection Poésie(s), 2019

130 haïkus à entendre, sentir et goûter, Éditions Bleu d’encre, 2018

Le livre zen des saisons, Éditions L’Harmattan, Collection Poètes des cinq continents, Préface de Serge Tomé, 2017

Pour que les étoiles ne s’éteignent jamais, Éditions Stellamaris, 2015

Deux papillons blancs au-dessus des orties, Éditions Edilivre, 2014

  1. A part le haïku, avez-vous d’autres attirances pour la culture japonaise, que ce soit en littérature, philosophie ou autre (peinture, cinéma, manga, arts martiaux …)

J’aime les films d’animation de Hayao Miyazaki. D’ailleurs, c’est son film « Le Voyage de Chihiro » qui m’a « initiée » au Japon, si je puisse le dire ainsi. Et cela cinq-six ans avant la découverte des haïkus.

J’aime les estampes japonaises et la calligraphie du cercle zen, j’aime le compositeur Ryuichi Sakamoto, la nature japonaise (les arbres en fleurs, les mousses, les sources chaudes, les maisons avec les toits en chaume, les jardins secs, les mini coquillages en forme d’étoiles des plages d’Okinawa, etc.). J’aime aussi les temples au Japon.

Et j’aime les petits chocolats carrés fourrés au thé matcha que mon ami Ryoichi Tsukada m’a fait découvrir, entre autres délicatesses, pour les fêtes de fin d’année 2020.

  1. Le haïku reste votre genre de prédilection, il me semble. Vous avez d’ailleurs ce désir de faire connaître cet art en organisant le kukaï de Bruxelles. Alors, dites-nous ce qu’est un kukaï, et comment se déroule cette activité de création ? La situation sanitaire vous a-t-elle obligée à interrompre cette manifestation, ou bien avez-vous trouvé des moyens d’en adapter la forme ?

Un kukaï est une réunion de personnes passionnées par le haïku, qui souhaitent se regrouper et échanger sur le sujet. Il fonctionne comme un cercle littéraire. Les personnes qui y participent, écrivent elles-mêmes des haïkus. Les auteur.e.s de haïkus s’appellent des haïjins. C’est Abigail Friedman (diplomate américaine et auteure de haïkus, ayant vécu 8 ans au Japon) qui a popularisé en Occident le modèle du kukaï.

En décembre 2014, j’ai créé, selon ce modèle, le Kukaï de Bruxelles. À ce jour, j’ai pu réunir environ 36 auteur.e.s débutant.e.s ou aguerri.e.s, de tous les âges et toutes les origines.

Nous nous retrouvons six fois par an dans un bistrot-café historique à Bruxelles, lieu de rencontre des surréalistes belges. Le café s’appelle « La fleur en papier doré ».

À cause de la situation sanitaire, j’ai été obligée d’organiser deux kukaïs virtuels et d’élargir ainsi le cercle des participant.e.s, ce qui est très positif finalement. Sinon, pour les autres rencontres qui n’ont pas pu avoir lieu, j’ai juste demandé aux membres du kukaï de m’envoyer deux textes/personne et ainsi j’ai pu rédiger les comptes-rendus. Ces différents comptes-rendus sont disponibles sur ma page Facebook (FB) ainsi que sur mon site Internet : www.haikus-iocasta.be , onglet Kukaï de Bruxelles. En espérant que nous allons pouvoir nous réunir le 13 mars ’21.

  1. Vous vous investissez également dans diverses activités visant à développer l’écriture poétique en organisant des ateliers par exemple. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Tout à fait. Depuis 2014, j’organise ponctuellement, en fonction des demandes, des ateliers d’écriture de haïkus. À l’automne 2020, j’ai été sollicitée par la mairie de mon quartier pour réaliser des ateliers d’écriture de haïkus pour un public scolaire ainsi qu’un public adulte. Toujours à cause de la situation sanitaire, les dates ont été reportées en mars 2021.

Également, j’ai mis en place un atelier d’écriture de haïkus sous la forme d’un module comprenant huit séances (de fin mars à décembre ’21) pour un public adulte. À l’heure qu’il est je n’accepte plus d’inscriptions, le module étant complet. En espérant que la situation sanitaire nous permette de nous réunir.

  1. Depuis quelque temps, vous assurez une chronique littéraire consacrée au haïku, sur une radio bretonne. Comment cela se passe-t-il et quels sont vos objectifs à travers cette implication ?

En effet, depuis octobre 2019 j’assure une chronique littéraire mensuelle sur Radio Laser, une radio de Rennes. Je vous remercie d’ailleurs, Félix Boulé, pour cette belle opportunité que vous m’avez offerte de parler des haïkus ainsi que d’autres genres de poésie brève d’influence japonaise, comme le senryu (un genre au ton comique et ironique) et le tercet (moins stricte que le haïku côté règles d’écriture).

Ainsi, le dernier mercredi de chaque mois (en quatre minutes trente-cinq minutes), je présente mes coups de cœur en termes de livres de haïkus. Il peut s’agir d’auteurs occidentaux modernes ou d’auteurs classiques, japonais ou pas ; d’ailleurs c’est ainsi que j’ai évoqué Kerouac, Hosaï ou encore Bashô.

Mon objectif principal est celui de donner un aperçu du haïku au public large et ainsi créer l’envie de lecture et, je l’espère, de l’écriture.

  1. Vous êtes haïdjin, mais vous êtes, plus largement poétesse, et vous avez d’autres ouvrages à votre actif. Pouvez-vous nous les présenter ?

Oui, comme je disais en début de cette discussion, le haïku m’a amenée à la poésie. J’ai publié chez L’Harmattan, Collection Poésie(s) en 2018 un livre intitulé « États d’âme ». Il contient des poèmes sans rimes ainsi que des phrases poétiques. Et c’est vous, Félix Boulé, qui m’avait fait l’honneur de rédiger la préface. Je vous en suis reconnaissante.

Ce livre contient plusieurs thématiques dont : l’enfance, l’amour, le chemin vers la philosophie, la poésie engagée et les saisons. J’ose croire que les lecteurs et les lectrices trouveront leurs comptes avec ce livre qui ressemble d’ailleurs à un almanach littéraire.

  1. Plus récemment, vous avez abordé un genre nouveau pour vous, le pantoum. De quoi s’agit-il ?

Exactement. La découverte de ce genre poétique fut un réel plaisir. À quelques jours de la fin de l’année 2020, j’ai pu lire sur les pages FB de deux de mes ami.e.s, leurs pantoums. Cela a suscité mon intérêt et je me suis lancée dans l’écriture. J’ai posté le premier sur ma page FB et j’ai vu que les gens avaient beaucoup aimé. Cela m’a encouragée et j’ai écrit un deuxième, puis un troisième et je ne peux plus m’arrêter. À l’heure qu’il est j’en ai écrit 12. Je ressens un plaisir immense lorsque j’arrive à boucler la dernière strophe qui contient des vers présents plus haut dans le poème et que l’ensemble « tient ». C’est presque comme une énigme que j’aurais résolue.

De ce que j’ai pu lire sur Internet et des discussions que j’ai eu avec mon ami, Jacques Michonnet, qui m’a initié à cette écriture, le pantoum est un poème à forme fixe, emprunté à la poésie malaise, composé d'une série de quatrains à rimes croisées, dans lesquels le deuxième et le quatrième vers d'une strophe sont repris par le premier et le troisième vers de la strophe suivante, le dernier vers du poème reprenant le vers initial.

Il y aussi la règle des deux images qui doivent apparaître dans chaque strophe. Ainsi, si dans les deux premiers vers on parle de la nature dans les deux suivants, nous devons évoquer des sentiments amoureux. (Le pantoum est à l’origine un poème érotique). Mes premiers pantoums ne respectaient pas cette règle des deux images ; à présent, j’aime jongler avec cette règle ; parfois j’en tiens compte, parfois pas.

Il est aussi à noter qu’un pantoum doit avoir un nombre pair de strophes (4, 6, 8, etc.).

  1. Avez-vous des projets de publication concernant le pantoum ? D’autres projets, de publication ? d’animation ?

J’aimerais bien publier mes pantoums un jour ; il faut juste que j’en écrive en assez grand nombre pour les réunir dans un recueil. D’ailleurs, si un éditeur est intéressé, je suis partante.

Concernant les projets de cette année, j’ai un recueil de haïkus en voie de finalisation auprès de la maison d’édition qui a accepté de l’éditer. Plus d’infos le temps venu.

Sinon, en gros, j’ai des projets de recueils de haïku et poésie pour les trois prochaines années à venir.

Sans parler de mes ateliers d’écriture que j’ai évoqués plus haut.

Bruxelles, le 28 janvier 2021

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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