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Portrait du jour : Éric Labayle, éditeur (Éditions Lamarque)

NOUVEAU portrait du jour : Éric Labayle, éditeur (Éditions Lamarque)

Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir  Éric Labayle.

Bienvenue Éric sur le très discret et prisé Culture et justice

 

Interview d’Éric Labayle, éditeur (Éditions Lamarque) à Avon les Roches en Touraine

par Jean Michel Sieklucki.

 

 

  • JMS : Avec un nom comme celui-là, vos origines ne sont pas tourangelles. D’où venez-vous ?

EL : Effectivement, je ne suis tourangeau que d’adoption. Je suis originaire de Gironde et installé en Touraine depuis plus d’une vingtaine d’années, après avoir longtemps vécu en Picardie.

  • JMS : Au départ vous êtes historien et avant tout professeur d’histoire. Vous avez un doctorat. Quelle est votre spécialité ?

EL : Je suis spécialiste d’histoire militaire, française et canadienne. Et dans ce domaine, qui reste très vaste, je m’intéresse plus particulièrement à l’histoire sociale de l’armée française (l’armée en tant que corps social) entre 1850 et 1950. Par ailleurs, j’ai beaucoup travaillé sur le témoignage et son exploitation historique : carnets de guerre, correspondance, mémoires, journaux intimes, etc.

  • JMS : Un jour vous abandonnez l’enseignement pour partir dans le monde des livres. Vous devenez éditeur. Un coup de folie ?

EL : Sans doute, oui. Mais un coup de folie raisonné. En fait, tout est venu d’un constat, partagé avec plusieurs confrères historiens. Pendant longtemps, les chercheurs en Histoire ont été boudés par l’édition. Les « grosses » maisons d’édition cherchaient des auteurs connus, cependant que la « petite » édition régionale privilégiait le régionalisme. Et je ne parle pas des pièges de l’édition à compte d’auteur, pour ceux qui voulaient malgré tout être publiés. Or, parmi ces chercheurs, certains ont réalisé des recherches de grande qualité. Des travaux originaux, sérieux, référencés, qui permettaient vraiment à la connaissance historique de progresser. Il nous a donc semblé regrettable de ne pas leur assurer une diffusion. C’est ce constat qui nous a amenés à créer une première maison d’édition, Ysec éditions, en 2000. Puis au fil des années, des opportunités et des rencontres, j’ai fondé une autre entreprise, puis les éditions Lamarque, que je dirige actuellement, depuis 2017.

  • JMS : Comment vit un éditeur régional, plus spécialement tourné vers le livre historique ?

EL : Il vit à la fois très bien, car les projets enthousiasmants sont nombreux et parce que le retour des lecteurs semble attester que la démarche est la bonne, et difficilement, car vivre en province implique d’être éloigné de Paris et donc des grands médias ou des grands relais d’information. Et dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, loin des yeux, loin du cœur… Mais le fait de rester en Touraine est un choix que j’assume et que je ne regrette pas. Par expérience, je peux attester que l’éditeur a un rôle à jouer en région. Et sans modestie, je pense l’assumer et participer à ma façon à la vie culturelle, autant qu’à l’animation des territoires.

  • JMS : Après de longues années d’interruption vous êtes retourné récemment dans l’enseignement. Une nostalgie ?

EL : Non. Une nécessité. La crise que nous traversons depuis le printemps 2020 a porté un rude coup à l’économie du livre, dont les petites structures telles que les éditions Lamarque sont les premières victimes. Il m’a fallu trouver des solutions pour alléger les charges de mon entreprise et j’ai donc renoué avec l’enseignement. Sans déplaisir toutefois, car le contact avec les élèves est agréable. Et puis l’enseignement reste le plus beau métier du monde… après l’édition !

  • JMS : Je crois savoir que vous êtes en train d’être reconnu au niveau national en tant que spécialiste de l’histoire militaire. Qu’en est-il exactement ?

EL : Effectivement. J’ai eu le plaisir et l’honneur d’être sélectionné pour faire partie des « historiens de l’armée de terre », un groupe restreint d’historiens et d’écrivains militaires qui, à l’instar des peintres aux armées, sont validés pour la qualité de leurs travaux et pour l’intérêt qu’ils présentent pour l’institution. Pour quelqu’un comme moi, qui ai toujours agi en « franc-tireur », c’est une belle reconnaissance et je ne vous cacherai pas ma fierté.

  • JMS : En plus de votre activité d’éditeur vous trouvez, parait-il, le temps d’écrire vous-même. De quoi s’agit-il ?

EL : Je suis en effet l’auteur d’un certain nombre de livres, que je pourrais diviser en plusieurs catégories. Il y a tout d’abord les témoignages, dont j’établis l’édition et dont je rédige le commentaire historique. J’ai eu la chance de publier des documents de grande qualité, dont certains ont fait date, comme les carnets de guerre d’Alexis Callies (1914-1918), édités en 1999 et réédités en 2017. Il y a ensuite les études historiques, consacrées à l’histoire militaire française ou canadienne et aux conflits entre 1850 et 1950 (par exemple mon étude sur la cavalerie en 1914, publiée par Ysec éditions). Il y a enfin les livres pratiques, des guides à destination du grand public ou des chercheurs (par exemple, les trois tomes de la série « Reconnaître les uniformes », parus aux éditions Archives et Culture). A cela j’ajouterai diverses autres publications sur des sujets variés (livres de voyage notamment) et de nombreux articles parus dans la presse spécialisée en histoire. Oui, j’ai une production abondante.

  • JMS : Je me suis laissé dire aussi que vous étiez un excellent conférencier et que vous aviez l’habitude d’organiser des conférences, à Chinon par exemple, ou des salons du livre. Racontez-nous cela.

EL : J’ai créé à Chinon un cycle de cafés-Histoire, dans un établissement très sympathique et bien connu : le Café Français. Depuis mars 2016, nous nous retrouvons chaque dernier mercredi du mois, autour d’un intervenant différent, qui vient partager sa passion ou le fruit de ses recherches sur un sujet historique. C’est une belle réussite car chaque mois l’assistance est aussi nombreuse. C’est surtout une belle aventure humaine, avec de superbes rencontres et des débats passionnés.

Comme vous l’évoquez, je suis moi-même conférencier. Je m’efforce d’aborder des sujets peu connus (le Portugal dans la Grande Guerre par exemple), ou de présenter des thèmes classiques sous des angles originaux (la défaite de 1940 par exemple), afin d’apporter des angles de vue différents au public et susciter la réflexion. En fait, comme l’édition de livres, les conférences sont surtout une question de passion. Une passion pour l’histoire (et bien entendu, plus précisément pour l’histoire militaire) que je m’efforce de transmettre et que je cherche à partager avec l’assistance.

Ceci dit, en tant qu’éditeur, j’ai la chance de travailler avec des auteurs qui sont eux aussi de remarquables conférenciers, qui me fournissent l’occasion d’organiser de nombreux événements (conférences, colloques, cafés-Histoire, projections commentées, etc.), partout en France… Enfin, lorsque la politique sanitaire nous en laisse la possibilité.

  • JMS : Pour terminer quel est à votre avis l’avenir du livre ?

EL : Ma vision est plutôt noire, mais que l’on ne s’y trompe pas : je ne suis pas pessimiste. Je suis réaliste, même si les réalités que je constate ne sont pas forcément réjouissantes.

Je pense que le livre est entré dans une crise structurelle. Les gens lisent de moins en moins et, par conséquent, le marché se réduit. Comment lutter contre la télévision, Netflix, les réseaux sociaux ou les jeux vidéo, toutes choses qui meublent les temps libres de nos concitoyens et captent la « part de cerveau disponible » ? Pour lire, il faut du temps, de la passion, de l’envie, toutes choses que le monde de l’image et les plaisirs virtuels nous retirent. Lorsque j’ai commencé dans l’édition, le tirage normal d’un titre était compris entre 1500 et 3000 exemplaires. Aujourd’hui, nous sommes heureux si nous pouvons dépasser les 500 exemplaires… Facteur aggravant, l’âge moyen de nos lecteurs ne cesse d’augmenter et j’ai déjà vu disparaître toute une génération de gros lecteurs, sans constater de renouvellement chez les plus jeunes. C’est préoccupant.

Mais malgré tout, il est hors de question de baisser les bras. Éditer est un moyen de transmettre ses coups de cœur et ses valeurs. Il est donc impensable d’abandonner et de céder au découragement. L’édition est une lutte exaltante et je sais que mes confrères éditeurs indépendants partagent ce point de vue. Tant qu’ils seront là, tant qu’ils permettront à des textes rares et qualitatifs de rencontrer un public, il restera une culture alternative. Et c’est ce qui importe.

 

 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... 

Relecture et mise en page Ph.P et S.P.

 

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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