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Nouveau portrait du jour Maya R.

Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir Maya.R

Bienvenue Maya sur le très discret et prisé Culture et justice.

Ce livre est autobiographique. Comme le titre l’indique, il parle d’abus sexuels, dont le plus spectaculaire a eu lieu quand j’avais entre quatre et cinq ans. Malgré le sujet, il m’importait de rester pudique. Ce fut un exercice difficile. Le texte est articulé en plusieurs séquences : l’épreuve primitive, la récurrence d’agressions sexuelles vécues à mon adolescence et au long de ma vie de femme par ceux que j’appelle mes fantômes, une incursion dans mon journal intime de préadolescente, un élargissement de ma réflexion à d’autres agressions sexuelles, notamment vis-à-vis des garçons, entre enfants et même entre adultes, et enfin, mon espoir en l’avenir…

Ajouter le terme #MoiAussi au titre de mon livre est une idée d’une des éditrices, Marie-Noël Arras. Pour être honnête, je ne connaissais pas l’existence du mouvement, MeToo, ni même la définition de hashtag, ce signe #. L’expression est simple, efficace. L’initiative m’a intéressée : à plusieurs, on se sent plus légitimes. C’est à mon avis la première étape pour réparer l’estime de soi érodée par la crainte d’être stigmatisé. Parler, c’est bien, parler bien, c’est dur. Je voulais ciseler mes phrases et être considérée comme une vraie auteure, pas seulement comme une victime. Je ne sais pas si j’y suis parvenue. Grâce à la correction bienveillante d’amies et des éditions Chèvre-feuille étoilée, le livre est né le 22 mars 2021. Au jour où j’écris, il fait à peine ses premiers pas.

Après plusieurs tentatives avortées, l’accouchement de ce livre a quasiment été le fruit du hasard. En déménageant, j’ai retrouvé mes dessins d’enfanti, et mon journal intime de petite fille de douze ans. Je remercie mes parents d’avoir conservé ces témoignages, même s’ils n’ont pas su les interpréter. Esthétiques pour les dessins et émouvant pour le journal, ils m’ont permis de remplacer le sentiment de honte par celui de fierté. J’en suis rétrospectivement persuadée, dessiner a probablement sauvé mon enfance. J’aime cette citation de Boris Cyrulnick : « Tous les enfants qui souffrent sont contraints à la créativité, ce qui ne veut pas dire que tous les créateurs sont contraints à la souffrance »ii. La mise en mot, la représentation graphique, la sculpture, la musique… permettent de substituer la beauté à l’horreur. Déjà au siècle dernier, la chanteuse Barbara ou l’artiste Niki de Saint Phalle avaient sublimé leur souffrance d’enfants abusées tout en osant la raconter. Malgré leur courage, sans les facilités de communication actuelles, la parole des autres victimes est restée muselée car la plupart d’entre elles éprouvent silencieusement peur, honte et culpabilité. Je m’en souviens à l’époque, très certainement comme tant d’autres, je nous croyais proies isolées. Mais non, l’enquête VIRAGE 5 de l’INED réalisée en 2015 indique : « Une femme sur sept et un homme sur vingt-cinq déclarent avoir subi au moins une forme d’agression sexuelle au cours de leur vie. » (...) « Parmi celles qui ont subi des viols et tentatives de viol, 40 % les ont vécus dans l’enfance (avant 15 ans), 16 % pendant l’adolescence et 44 % après 18 ans. En revanche, pour les hommes, les trois quarts des viols et tentatives de viols subis l’ont été avant 18 ans ». Je l’ai appris après avoir commencé à écrire…

Écrire m’a poussée à me poser de nombreuses questions.

Par exemple, j’aimerais comprendre pourquoi il est si difficile aux victimes de se faire entendre, y compris par leurs proches, y compris par des professionnels comme des psys. D’innombrables témoignages le racontent. Je conçois l’inquiétude des juges à l’idée de condamner un innocent dans le cas où l’accusation serait mensongère. Mais s’agit-il uniquement de cela ? Notre esprit est-il prêt à absorber la charge émotive liée aux traumatismes des victimes de violences sexuelles, notamment s’il s’agit d’enfants ou d’un inceste ?iii Toujours selon l’enquête VIRAGEiv, la quasi-totalité de ces agressions sont commises par des membres de la famille ou des proches. Depuis cet éclairage statistique, une nouvelle question me taraude : si autrefois, les prédateurs sexuels étaient considérés comme une minorité d’êtres monstrueux et asociaux, aujourd’hui on constate leur grand nombre. Ils sont le plus souvent intégrés dans la société et proches de la famille. Déplaçons notre regard et portons le non plus sur les abusés et abusées, mais du côté des abuseurs, considérons leur nombre. Comment composer avec cette réalité-là ?

D’où la question suivante : comment éviter l’abus ? La répression est-elle efficace ? Sans l’avoir approfondi dans le livre, je me demande aujourd’hui si les prédateurs sexuels imaginent la douleur dont ils sont responsables, et dans la négative, par quel mécanisme elle échappe à leur entendement. Je pense crucial de savoir, dans le cas où ils peuvent concevoir l’affliction de l’autre, pourquoi ils sont capables de passer outre la culpabilité consécutive, voire n’en pas éprouver du tout. J’aimerais les entendre à leur tour raconter leur ressenti comme le permet l’association l’Ange Bleuv. J’aimerais confronter les récits. J’aimerais éventuellement débattre avec eux. Punir me semble être un pis-aller, même si c’est indispensable aux minima pour permettre à la victime de se sentir légitimée par la société, le mal est alors accompli. Il faudrait prévenir. Mais comment ? J’espère en l’action d’associations comme France Préventionvi. J’espère dans le pouvoir de l’information. Parmi les articles trouvés sur internet sur ce thème, j’ai particulièrement apprécié ceux de Stéphane Joulainvii, prêtre et psychanalyste. Il y précise des définitions. Il souligne la faible estime de soi de la plupart des agresseurs et le fait qu’au Canada, une politique adaptée permet un taux très bas de récidive.

Je terminerai dans l’espoir que mon livre sera utile, qu’il servira à des associations, à des psys ou à des juges pour communiquer autour de ces sujets si sensibles. De mon côté, après avoir tenté beaucoup pour aller mieux avec un succès relatif, je pensais pouvoir tourner définitivement la page avec ce livre pour penser à autre chose. Si je suis heureuse de le voir édité, je suis surprise de l’effet paradoxal de sa parution. Pas question de m’échapper comme je l’avais initialement envisagé. Les questions des journalistes, les échanges avec des lectrices et les éditrices me poussent à m’informer encore plus et à imaginer aller encore de l’avant. Par exemple une lectrice de ma génération en recherche d’écoute m’a donné l’idée de participer Moi Aussi à des groupes de parole locaux, d’y aborder la partie la plus intime de mes souffrances, celle que j’ai voulu épargner aux lecteurs, celle que les psys n’ont pas réussi à entendre ou m’aider à dire. Cet espoir d’aller encore et encore mieux est finalement un bénéfice inattendu, lié à une interaction entre victimes, comme l’imaginait le mouvement #MeToo.

Maya R. Le 26 avril 2021

iJe ne saurais trop recommander aux parents de dater autant que possible les dessins de leurs enfants, comme d’ailleurs, les photos et toute production familiale. Ce sont des témoignages dont le sens ou la logique peuvent nécessiter du temps pour être appréhendés. Retrouver et comprendre la mémoire familiale peut favoriser la résilience médiatisée par Boris Cyrulnick à qui j’ai dédié ce livre.

iiCitation du livre Les vilains petits canards. Éditions Odile Jacob, Paris, 2001, page 243 .

iiiLors d’une émission de télévision à laquelle ma fille et moi avons été invitées sur NRJ12 le 21 mars 2021 , la psychologue présente a évoqué la difficulté émotionnelle qu’ont beaucoup de professionnels à gérer les cas de violence sexuelle envers les enfants.

ivVIRAGE est rattaché institutionnellement à l’Unité de recherche « Démographie, Genre et sociétés », de l’Institut national d’études démographiques (Ined). Lien vers le résultat de l’enquête :

https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/29712/plaquette2.result.virage.2020_violences.vie.entiere.fr.pdf

vLien vers l’association l’ange bleu :

http://ange-bleu.com/fr/accueil

viLien vers l’association France Prévention

 https://www.associationfranceprevention.org/

viiStéphane Joulain a écrit Combattre l’abus sexuel des enfants aux éditions Desclée de Brower publié en mars 2018.

 

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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