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Nouveau portrait du jour Isabelle Chaumard
Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir Isabelle Chaumard
Bienvenue Isabelle sur le très discret et prisé Culture et justice.
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C'est notre amie la romancière Anne Combe, qui réalise l'interwiew d'Isabelle.
Crédit photo pour Dany Martinez
Sur les hauteurs d’Ajaccio, l’hôpital psychiatrique du Castelluccio renferme de lourds secrets. Le jeune Abram y est accueilli. Souffrant du syndrome de Cotard, il est convaincu de sa propre mort et ne cesse de se le rappeler par ses mutilations. Il est confié à Marie, assistante sociale. Suite à sa disparition et à l’assassinat de trois adolescents dont elle a la charge, elle est soupçonnée de meurtre et va dès lors tout mettre en œuvre pour faire éclater la vérité.
Dès les premières pages, Le sacrifié de Castelluccio nous plonge dans le monde de la Protection de l’enfance avec pour toile de fond, un ancien bagne pour enfants. La mémoire et le lien à l’autre sont au cœur de ce très beau roman d’Isabelle Chaumard sur lequel plane « la sueur et le sang des petits forçats des années 1800 ».
Quelques mois après le 31ème anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, nous sommes allés à la rencontre de l’auteure de ce texte fort et sensible sur ces petites âmes abîmées par la vie.
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Bonjour Isabelle, est-ce que tu peux te présenter rapidement ?
Après vingt ans dans la Protection de l'enfance, je me suis reconvertie dans le journalisme et l'écriture. Le Sacrifié de Castelluccio est mon second roman, le troisième sortira le 17 juin. Je vis dans le sud de la France, où j'ai grandi. J'ai souvent changé de région et j'aime découvrir les terroirs, l'histoire des lieux et les cultures. J'ai autant besoin de silence et de solitude que de rencontres humaines véritables.
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Tu as choisi de te consacrer à l’écriture. Qu’est-ce que cela t’apporte au quotidien ? En quoi ton expérience professionnelle nourrit-elle tes écrits ?
C'est une question vaste, celle du sens. Mon quotidien commence toujours par l'écriture. Il s'agit d'une recherche intérieure qui oblige son auteur à ne pas oublier le monde. On explore la source, sans perdre de vue qu'on destine notre trouvaille à un lecteur. Cet aller-retour entre soi et les autres constitue probablement une barrière de sécurité pour ne pas se perdre en chemin. C'est un moment précieux. Comme une séance de méditation qui durerait plusieurs heures, et que l'on destinerait aux autres. C'est donc un acte égoïste, car on déambule en dehors du monde, inatteignable. Puis cela devient un acte de générosité, lorsqu'on cherche à rendre cette trouvaille intelligible pour un autre que soi.
Au cours de mon expérience professionnelle dans la Protection de l'enfance, j'ai multiplié les rencontres avec des histoires de vies si difficiles, qu'elles obligeaient les personnes à puiser en elles des ressorts surhumains, pour survivre. Cela nourrit bien-sûr les personnages auxquels je donne vie dans un roman.
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Tu es auteure de polars. Pourquoi ce choix ?
Le polar peut transmettre des messages et bouleverser une façon de penser sans en avoir l'air. Il s'adresse à monsieur Tout-le-monde. Il entre dans votre vie sans annoncer la couleur, et il peut la changer. Ce n'est pas un sous-genre, comme on l'a longtemps laissé croire. Ou alors, Simenon est un sous-auteur. Mais je ne me cantonnerai pas au thriller. Pourquoi se limiter ?
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Que rêverais-tu d’écrire un jour ?
Je n'ai pas de roman idéal en tête. Le prochain roman rêvé est toujours le meilleur. L'idée s'impose par surprise, sous la forme d'une émotion qui ne me laisse pas le choix. Je cherche à me rapprocher le plus possible de ce qui nous fait homme, ou femme. L'intrigue, la thématique, les personnages, doivent permettre cela. Ils sont des prétextes pour rendre distrayante la grave question de notre condition. Parler de l'essentiel avec simplicité, et sans l'annoncer avec un étendard. Alors, le roman que je rêve d'écrire, c'est celui qui raconterait si bien notre condition, que chacun aurait l'impression de lire sa propre histoire. Mais il s'agit d'une recherche sans fin. L'écriture est une quête, je crois.
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On dit que l’écrivain est un être multiple qui contient en lui seul plusieurs autres auteurs, plusieurs époques. Qu’en est-il pour toi ? Quelles sont tes influences littéraires ?
Un auteur me vient immédiatement à l'esprit : Albert Camus. Je l'ai découvert très jeune et cela a été un coup de foudre littéraire. À 18 ans, j'avais lu toute son œuvre, même si évidemment je ne pouvais pas en appréhender la pleine portée. C'est le premier auteur à avoir suscité en moi des émotions aussi intenses. Sa vision de la condition humaine m'a immédiatement convaincue. À l'adolescence, ce que j'ai compris de ses textes, c'est cet espoir fou, malgré l'horrible vérité. J'ai alors détesté Sartre et adoré Camus, comme on aime et on déteste à 15 ans. Parler d'influence littéraire serait bien disproportionné et prétentieux. Il a révolutionné ma vision de l'existence, c'est autre chose. Lire Noces à 13 ans, c'est faire entrer LA beauté dans sa vie. Découvrir ensuite ses essais engagés, c'est comprendre que l'on peut se révolter sans tout détruire de cette beauté. Comme une quête du divin dans les décombres. Quoi que prétende Camus, voilà à mon avis sa contradiction. Bien sûr, d'autres auteurs m'ont beaucoup touchée à ces âges malléables : Vian, Zola, Pagnol, Giono, King, Auster, etc. Mais Camus est pour moi un auteur complet. Dans un même texte, il est capable de parler d'amour universel, de colère et d'humanité avec la même sincérité, qu'il s'agisse d'un article de journal, d'un roman de 600 pages ou d'une pièce de théâtre.
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Que penses-tu de cette phrase de Virginia Woolf sur la recherche permanente d’authenticité qui anime l’écrivain : « Si vous ne dites pas la vérité sur vous-même, vous ne pourrez pas la dire sur les autres » ?
On extirpe chaque mot de nos vérités intérieures, sans ça il n'y a pas d'écriture. Lorsque l'auteur fait vivre ses personnages, il exprime une part valeureuse ou au contraire très sombre de son intimité. Nous ne sommes pas le personnage, nous n'avons pas vécu les mêmes événements, mais nous avons déjà ressenti cette émotion. Alors nous cherchons le mot juste, le silence ou l'image, qui permettra à un autre de l'éprouver à son tour. En fait, dans un texte, l'intimité de l'auteur est partout. Et comme nous sommes tous en quête, le lecteur se reconnaît. Il part à l'aventure à nos côtés, avec l'espoir de trouver ses propres réponses. Mais l'écriture propose seulement une recherche. Le lecteur ne trouvera qu'un chemin parmi les multiples. Voilà pourquoi il faut lire beaucoup, pour accroître les possibles.
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Qu’est-ce qui t’a poussée à écrire ce récit très fort dans lequel résonnent les cris des enfants maltraités d’aujourd’hui et du Second Empire ?
En ce qui me concerne, l'écriture d'un roman commence toujours par une émotion puissante : une rencontre, un événement, une lecture, une question lancinante. Concernant Le Sacrifié de Castelluccio, tout a commencé par une pièce de théâtre, que la metteure en scène Dany Martinez s’apprêtait à écrire. Dans ce cadre, l'historien René Santoni nous a fait visiter l'ancien bagne pour enfants de Castelluccio, ainsi que son cimetière. Ils se trouvent en plein maquis, sur les hauteurs d'Ajaccio. Il faut imaginer ces lieux loin de tout, dans la broussaille et les ronces.
Lorsque je me suis trouvée là, dans ce silence assourdissant, avec sous mes pieds les corps de 160 enfants, pour la plupart enterrés sans cercueils ni tombes, j'ai ressenti une émotion immense. Nous n'étions pas seuls. L'endroit était « habité ». À cet instant, j'ai su que j'écrirais sur ces enfants.
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Le sacrifié de Castelluccio met en scène trois personnages principaux aux destins entremêlés. Peux-tu nous les présenter ?
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Ce thriller se déroule à Ajaccio. L'intrigue contemporaine met en scène la disparition d'adolescents. On suit alors le destin de trois personnages :
Marie, une assistante sociale suspectée d'avoir perpétré ces meurtres.
Abram, un jeune garçon de 16 ans, hospitalisé à l'hôpital psychiatrique de Castelluccio. Il est porteur du syndrome de Cotard, une forme rare de dépression qui amène les malades à être convaincus de leur propre mort.
Jean-Baptiste, un enfant bagnard du XIXe siècle. Il a réellement existé, ce n'est pas un personnage de fiction.
Leur trois destins s’entremêlent pour guider le lecteur vers un secret de famille.
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Quel est ton passage préféré ?
Il est impossible pour moi de choisir un passage que je considérerais comme le meilleur. Je dirais plutôt que le personnage d'Abram me touche particulièrement. Il est bâti à la mémoire de tous les enfants auprès desquels et pour lesquels j'ai travaillé, dans le cadre de mes missions professionnelles passées. Sa souffrance n'est pas imaginée, inspirée par le biais de je ne sais quelle magie. Abram est un personnage de fiction, mais il existe bel et bien. Il m'a guidée tout au long de ce roman. Je pourrais presque dire qu'il en est l'auteur.
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Ton histoire se passe dans un ancien bagne pour enfants. Ce lieu existe vraiment. Peux-tu nous en parler ?
Au XIXe siècle, les enfants pouvaient être condamnés à partir de 8 ans. Pour de menus larcins, on les enfermait dans des institutions sensées les éduquer, mais qui dans la réalité constituaient de véritables bagnes. Ils vivaient alors dans des conditions terribles, comme c'est le cas à l'ancien centre pénitentiaire pour enfants de Castelluccio. Plus de 1200 enfants en provenance de toute la France ont grandi dans ce bagne à la fin des années 1800, et 160 d'entre eux ont péri suite aux violences, à la malnutrition et aux conditions sanitaires déplorables. En plein maquis, sur les hauteurs d'Ajaccio, on trouve le premier bâtiment, construit par les enfants eux-mêmes, aujourd'hui en ruine, ainsi que son cimetière. Après l'hécatombe de malaria qui les a décimés, une seconde bâtisse a été construite afin de les éloigner des marais et des moustiques transmetteurs de maladies. L'actuel hôpital psychiatrique d'Ajaccio est installé ici.
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Qu’aimerais-tu partager avec tes lecteurs ?
Au cours du processus d'écriture, le lecteur est toujours présent. Un peu comme un Jiminy Cricket posé sur notre épaule. Parfois on l'oublie, pour se sentir libre, sans influence ni retenue, mais il se rappelle régulièrement à notre bon souvenir. Car on écrit pour lui, sans qui un livre n'existe pas.
Il me semble qu'on devrait toujours se soucier d'apporter quelque chose au monde, que l'on soit auteur ou non. Mais l'auteur a une responsabilité particulière. Il adresse un message, sans pouvoir en mesurer l'impact. Lorsqu'on écrit pour un autre, on doit faire en sorte que cet autre soit différent après sa lecture. On a à cœur de contribuer à sa quête. Dans Le Sacrifié de Castelluccio, j'ai voulu parler des conditions terribles dans lesquelles sont pris en charge les enfants en souffrance, aujourd'hui comme hier.
J'ai choisi de situer le narrateur « dans la tête » de chaque personnage, pour rendre l'effet plus impactant. Mais il était aussi important pour moi que cette réalité sombre apparaisse en pleine lumière, dans un univers inspirant et beau. Pour le contraste, mais surtout parce que je ne peux me cantonner au noir. Dans tout ce malheur, je voulais offrir au lecteur des espaces de respiration, ne pas lui faire perdre de vue cet espoir. Il existe toujours un espoir. À tout moment, on peut s'en saisir.
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Pour finir, un mot sur tes projets d’écriture et ton actualité littéraire ?
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Le 17 juin sortira mon prochain thriller, aux Editions Le Mot et le reste : « Cargèse n'oublie jamais ». Le récit se déroule de nos jours, mais il est bâti sur l'histoire grecque et corse. C'est un secret de famille qui remonte le fil des siècles. En ce moment, je travaille sur un roman contemporain pour une publication en 2022. J'espère que les lecteurs coutumiers de mes thrillers me suivront dans ce nouveau genre. Enfin, je propose une formation destinée aux auteurs débutants, pour les accompagner dans leur projet d'écriture.* Ces stages de cinq jours se dérouleront dans plusieurs villes de France, en présentiel, à compter de septembre prochain.
*ichaumard.journalisme@gmail.com
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Isabelle Chaumard se consacre à l’écriture de textes inspirés par l’histoire. Aux éditions Le mot et le reste, elle a publié trois romans : Belles sanguinaires, Le Sacrifié de Castelluccio et Cargèse n'oublie jamais.
Pour contacter Isabelle Chaumard :
ichaumard.journalisme@gmail.com
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Sur les hauteurs d’Ajaccio, au cœur du maquis, le jeune Abram est interné dans l’hôpital psychiatrique de Castelluccio. Souffrant du syndrome de Cotard, il est convaincu de sa propre mort et n’a de cesse de le rappeler par ses mutilations. Il est confié à Marie, assistante sociale dans un service à bout de souffle, jusqu’à ce que trois adolescents soient assassinés. À la disparition d’Abram, soupçonnée et suspendue de ses fonctions, elle s’engage dans un combat sans merci pour la vérité. Mais l’ancien bagne pour enfants qui abrite aujourd’hui l’hôpital révèle bientôt de lourds secrets. L’enquête se teinte alors de la sueur et du sang des petits forçats des années mille huit cent.
Retrouvez aussi Isabelle Chaumard dans ma chronique Des Écrivains sur le divan, sur Radio Système (www.radiosysteme.fr)
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A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.
Nos autres sites : REVUE
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anne combe auteur - Le blog de Philippe Poisson
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