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Nouveau portrait du jour Pierre-Olivier Babey - auteur

Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir Pierre-Olivier Babey - auteur

Pierre-Olivier Babey partage son temps entre un métier de formateur en entreprise qui le connecte à l'humain et une activité d’arboriculteur qui le rapproche de la nature. Sur les bords de Rance, il écrit dans les rares interstices de temps libre, porté par l’envie de distraire et l’espoir d’émouvoir...

Prix Coup de coeur du Jury Suspense Psychologique 2022
Prix des Arts Littéraires 2019

Bienvenue Pierre-Olivier sur le blog des Aficionados du crime.

 

"Pourquoi j’écris ? me demandez-vous, Philippe.

Pourtant si petite, la question me paraît immense. Je n’avais jamais levé la tête vers son sommet. Mais puisque vous me la posez, je me sens ridicule dans son ombre. Quelque chose me souffle à l’oreille qu’elle appelle plus d’interrogations que de réponses. Puisqu’elle est trop grosse pour entrer d’un seul morceau dans ma gamberge, si vous m’y autorisez, je vais la couper en trois. Pourquoi ai-je commencé à écrire ? Pourquoi ai-je continué à écrire ? Continuerai-je à écrire et si oui, pourquoi ? Là, c’est mieux. À l’instant, je ne sais pas encore vers où m’emmèneront ces trois champs de réflexion, mais j’ai l’intuition qu’ils s’étendent dans différentes directions, qu’ils se recoupent assez peu. Nous verrons bien.

Pourquoi ai-je commencé à écrire ?

Je peux dater précisément le moment où j’ai ressenti l’envie d’écrire. C’était en 2008. À l’époque, j’avais trente-huit ans. J’avais une vie qu’on pourrait qualifier de stable, une famille, de jeunes enfants, un travail intellectuel très prenant dont j’évitais de me demander quel sens il donnait à ma vie. Ma situation paraissait solide, malgré l’apparition de quelques fissures dont j’aurais dû m’alarmer. On pouvait dire de moi que je menais bien ma barque. Mais au fond, je sentais bien que la charpente travaillait. Cette année-là, je perdis un grand-parent dont j’étais très proche, et ce fut ma première véritable rencontre avec le deuil d’un être cher. Cette année-là aussi, mon père luttait contre une grave maladie. Impuissant, je voyais s’affaisser le rempart des générations précédentes qui jusque-là tenait l’idée de la mort à distance. Cette année-là encore, les fissures dans ma vie personnelle atteignirent les fondations. Dans ma tête, la tectonique des pensées noires secouait la question existentielle et je connus les premiers tremblements de terre, sans bien en comprendre la cause. Crise de la quarantaine, banale perturbation de milieu de vie, me direz-vous, et j’en conviens. À l’époque, je n’avais pas le recul suffisant pour l’affirmer, mais aujourd’hui j’en suis sûr : j’ai commencé à écrire pour comprendre ce qui m’arrivait. Je me suis offert un carnet qui n’a plus quitté ma poche. Il recevait mes confidences, mais curieusement, pas sous la forme d’un journal. J’avais décidé d’écrire un roman. Comme ça, piètre lecteur, sans expérience littéraire, sans aucune prédisposition ni même avoir préalablement manifesté une quelconque appétence, je me suis lancé à l’assaut de la page

blanche. Fallait-il que j’aie soif de savoir ! Car le voyage dura quatre années. Le personnage central me ressemblait, forcément. Il partait vivre en éclaireur des expériences pour moi inédites et les poussait à l’extrême. Je décortiquais à froid les émotions qu’il me rapportait. Ainsi, il fut atteint d’un cancer, il quitta sa femme, ses enfants, s’isola pour savoir comment il finirait son histoire. Comme il avait dépassé le point de non-retour, il s’inventa une autre vie, une autre femme, un autre fils et finalement, il mourut. J’ai complété son histoire racontée à la première personne avec une seconde partie à la troisième personne où j’ai tenté de mesurer son empreinte sur ceux qui l’avaient connu. Bref, sous couvert d’écrire une fiction prétendument destinée à d’autres, je suivais une thérapie personnelle. Rassurez-vous, Philippe, le fruit de ce travail est emprisonné à perpétuité dans le fond d’un tiroir. Est-ce que cette cure m’a été utile ? Sans aucun doute. Si depuis lors j’ai complètement changé de vie, l’écriture a joué un rôle indéniable dans le processus. J’ai quitté la grande ville pour vivre là où mon cœur battait, un village en bord de mer. J’ai abandonné mon métier d’origine pour en adopter deux autres qui font davantage ma fierté. Le premier, formateur en entreprise sur les compétences du savoir-être, me connecte à l’humain. Le second, arboriculteur en permaculture, me relie aux éléments. Oserai-je dire qu’être écrivain est mon troisième métier ? Cela m’amène à cette deuxième question.

Pourquoi ai-je continué à écrire ?

La réponse n’a vraiment rien d’évident. En quatre ans, avec ce premier roman initiatique, j’avais pondu une œuvre laborieuse qui concentrait toutes les erreurs du débutant. Un style lourd, un personnage central trop prégnant, des personnages secondaires négligés, un scénario qui serpente et s’égare, et surtout, pas de quoi passionner un lecteur. Tout cela au prix d’innombrables heures à me battre avec les mots sans véritable plaisir, à reconstruire les phrases qui sans cesse s’écroulaient comme un château de cartes sous le souffle du paragraphe suivant, à devoir me contenter du passable quand je rêvais du meilleur, à plus souvent douter que croire. L’expérience aurait pu s’arrêter là. Et pourtant, j’ai persévéré. En huit ans, picorant les miettes de temps libre, celles qui tombent dans l’interstice entre mes activités et la famille, j’ai écrit un autre roman, guère meilleur que le premier, et quelques histoires courtes, dont certaines sont autopubliées sur Kobo comme des bouteilles jetées à la mer dans l’espoir de rencontrer des lecteurs. Un espoir encore déçu à ce jour. Je n’étais pas certain que la qualité de mes œuvres vaille l’effort de m’autopromouvoir sur les réseaux sociaux.

Alors pourquoi ai-je insisté ? Étais-je à ce point malade que je devais poursuivre ma thérapie ? Je ne crois pas. Sauf à considérer que les émotions sont une vilaine maladie dont il faut à tout prix se guérir. En effet, la première raison qui me vient à l’esprit est cette raison personnelle, située autour de l’empathie. Lorsque j’ai écrit ce premier roman, j’avais fait le tour d’un personnage profondément ennuyeux. En revanche, j’avais contracté une dette envers les personnages secondaires que j’avais bâclés. Je devinais sous leurs traits esquissés des personnalités bien plus intéressantes que la mienne. Avide de me rattraper, je me suis glissé dans leurs peaux. Je les ai volontairement construits à l’opposé de moi. À des époques et sous des cieux différents, tour à tour quinquagénaires dépressifs, jeunes trentenaires libérées, enfants ou vieillards, riches ou pauvres, bons ou mauvais, j’ai voulu voir le monde avec leurs yeux, le vivre avec leurs tripes. Je crois bien que je me suis pris au jeu. Cette fois, j’y ai pris du plaisir. J’ai souffert également. Car ceux qui m’habitaient le temps d’un écrit m’emmenaient parfois dans ces contrées ingrates dont je ne revenais jamais indemne. Qu’importe, je n’en mourrais pas. De joies ou de larmes, ces compagnons d’un temps me faisaient vibrer plus fort. La première raison pour laquelle j’ai continué à écrire est donc celle-ci : m’ouvrir à d’autres points de vue que le mien et vivre d’autres émotions que les miennes.

L’envie d’écrire pour les autres a naturellement rattrapé le besoin d’écrire pour moi. Il n’y avait qu’un pas à faire pour partager avec d’autres ces mêmes expériences qui m’enrichissaient moi-même. Alors parfois je me prenais à rêver, caressant l’espoir présomptueux de parvenir un jour moi aussi à surprendre, divertir et émouvoir, tout comme ces écrivains que je lisais et que j’admire. Mais voilà, pour concrétiser ce rêve, encore fallait-il que je progresse dans la maîtrise de l’art littéraire. Dans ce but, je me suis lancé sur des formats plus réduits. Disons, des histoires courtes, à mi-chemin entre la nouvelle et le roman. Des projets didactiques, en quelque sorte. Quand je terminais un écrit, je le laissais de côté pendant quelques semaines, comme une pâte à pain longuement pétrie qu’on laisse reposer. Puis je le relisais d’un œil critique, en essayant d’oublier que j’en étais l’auteur, pour le retravailler ensuite. Entretemps, je lisais. Franck Bouysse, Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt, Pierre Lemaître... pour ne citer qu’eux parmi mes auteurs de référence. Et la comparaison me laissait en bouche l’amertume de l’échec. J’étais – je suis toujours – si loin du compte. Sur le coup, je me décourageais. Mais l’envie de poursuivre revenait quand me parvenait l’arrière-goût. Somme toute, il n’était pas si désagréable, lorsque parfois je tombais sur un extrait de ma prose dont j’étais fier, par l’émotion qu’il générait ou bien sa musicalité. Je repensais alors à cette célèbre citation de Samuel Beckett. L’important, c’est d’échouer mieux que la fois précédente. Lorsque j’étais satisfait de moi, ou plus souvent trop fatigué de remanier mon texte, je soumettais mes écrits aux éditeurs et je collectionnais leurs refus. Mais de la lettre type en retour, je suis passé à la lettre circonstanciée. On avait lu jusqu’au bout, mais il manque quelque chose. Une petite phrase d’encouragement venait parfois s’y glisser. Et puis il y eut ce prix littéraire pour une de mes histoires, le Mur. Bref, j’échouais de mieux et mieux.

Si bien qu’en 2016, je me suis senti prêt à m’engager sur un format plus long. Je me suis même lancé un défi : écrire un polar. Là, comme ça. L’idée était d’autant plus surprenante que j’en lisais très peu. Mais j’avais envie de tester une écriture plus noire, plus spontanée et le genre me paraissait approprié. J’ai donc pleinement adopté les codes du roman policier à l’ancienne, du moins tels que je les imaginais, choisissant pour héros un flic de la PJ de Versailles cabossé par la vie, souvent rustre, un peu rebelle, qui prend parfois des libertés avec les règles. Puis je l’ai lancé sur une enquête compliquée, qui commence par la disparition d’un milliardaire dans le crash de son avion privé et l’agression simultanée de son épouse dans leur propriété de Versailles. L’enquête à froid est vite rattrapée par le vif d’une action à laquelle le héros et son équipe sont mêlés. Comme d’habitude, j’avais rédigé mon scénario à l’avance. Et une nouvelle fois, j’avais commis l’erreur de ne pas suffisamment travailler la psychologie de mes personnages, trop pressé d’entamer la rédaction après un temps très long passé à me documenter sur les techniques policières, le rapport entre les enquêteurs et la justice, le jargon du métier et le domaine de l’aéronautique civile. Cette erreur, je l’ai payée cher. Parvenu au tiers du roman, lorsqu’enfin j’avais pleinement saisi de quel bois mes personnages étaient faits, leur personnalité ne collait plus avec le scénario que j’avais décidé pour eux. Cela s’est traduit par une réaction du héros que je n’avais pas anticipée. Au beau milieu d’une scène, le flic est sorti de ses gonds et il a tout simplement claqué la porte du commissariat. Celle du roman par la même occasion. L’évènement m’a tellement dérouté que j’ai posé les crayons pour ranger mon écrit dans mon tiroir-poubelle où il a rejoint les précédents, convaincu qu’il ne valait rien, pensant ne jamais le ressortir. J’étais bien naïf. Car les personnages que j’avais créés occupaient mon esprit, comme des employés en colère tiennent le piquet de grève dans l’usine. Pendant les deux années qui suivirent, ils ne cessèrent de me réclamer leur histoire. De guerre lasse, je finis par céder à leur revendication, et je repris le scénario. Cette fois, ce furent eux qui me le dictèrent. J’ai mené le récit à son terme, avec une fin où tous les fils se rejoignent, comme j’aime les lire moi-même. En 2020, j’avais fini, pas trop sûr du résultat, et sans moyen pour le jauger, ayant précédemment lassé mes proches avec ma prose maladroite. J’ai attendu un an avant de me décider à soumettre l’écrit aux éditeurs. A ma grande surprise, le polar remporta le Coup de cœur du Jury du prix du suspense psychologique, avec à la clé, une sortie papier et numérique aux éditions Les nouveaux auteurs en juin 2022. Sur le coup, j’étais partagé. Heureux d’un côté, parce qu’une de mes œuvres allait enfin rencontrer son public, terrorisé de l’autre à l’idée que je pourrais le décevoir. La peur du vide, le syndrome de l’usurpateur, j’ai connu tout ça. Les lecteurs me rassurent aujourd’hui. À en croire leurs avis, j’aurais remporté mon pari, en leur offrant du rythme, un style imagé et des personnages auxquels ils s’attachent au point que certains me demandent à quand la suite. Alors, la suite, justement...

Continuerai-je à écrire, et si oui, pourquoi ?

La seule raison qui me pousserait à arrêter d’écrire serait la peur de décevoir l’attente que j’ai créée avec ce polar auprès de certains lecteurs. D’autant plus que je ne suis pas à l’aise avec l’idée de m’enfermer dans une série et dans un genre.

Bien sûr, cette raison ne fait pas le poids face à toutes celles qui me poussent à continuer. Car celles qui m’ont tenu jusqu’à présent demeurent valables. J’écris pour moi, j’écris pour les autres, toujours animé par l’envie de distraire et l’espoir d’émouvoir, mais surtout, je n’ai pas le choix. Si j’arrête, je ressens un manque. Écrire est une forme d’addiction, semble-t-il. J’ai essayé le sevrage, il est inconfortable. Il me baigne dans une insatisfaction permanente avec la misérable sensation de passer à côté de l’essentiel. Écrire accélère mon évolution. Un temps, j’ai même cru que cela pouvait me grandir. En réalité, je m’aperçois que c’est tout l’inverse. Plus j’explore le champ de mon ignorance, puis je révise à la hausse son immensité, si bien que relativement, je rapetisse. Plus j’avance, plus je me concentre en un point. Un point d’équilibre, certainement pas un point final.

Alors oui, je répondrai à l’appel de ceux qui réclament la suite. D’une manière ou d’une autre, ils rencontreront Malone de nouveau, peut-être plus vieux, ou bien plus jeune. Peut-être flic, ou pas encore… J’y travaille.

Oui, mais à quel rythme ?

Si j’avance comme j’ai toujours avancé, il faudra s’armer de patience. Il m’a fallu quatre années pour achever « l’Affaire CX selon Malone », sans compter les deux ans de pause. Alors je cherche aujourd’hui le moyen de donner plus de place à l’écriture, au milieu de deux activités qui dévorent déjà les sept jours de ma semaine. Sur cette dernière question, Philippe, je n’ai pas encore de réponse. Je suis preneur de vos conseils".

 

Relecture et mise en page  Ph.P 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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