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"Une famille anglaise aura-t-elle la gentillesse de prendre au pair mon fils, âgé de 14 ans ?"." Je recherche une personne aimable qui éduquera mon garçon intelligent, âgé de 11 ans, viennois de bonne famille». Telles sont les annonces déchirantes qu'on peut lire dans le Guardian en 1938.

 

Alors que l’on commémore le 76e anniversaire de la fin de la Deuxième guerre mondiale, Julian Borger qui dirige les pages internationales du quotidien britannique The Guardian rend hommage à son journal qui a, par ses petites annonces, sauvé des vies juives menacées par le nazisme. « Je cherche une personne gentille qui éduquera mon intelligent garçon, âgé de 11 ans, Viennois de bonne famille », le 3 août 1938 les grands -parents de Julian Borger publient cette supplique dans l’espoir de sauver leur fils Robert, le père de Borger, des mesures antisémites instaurées en Autriche depuis son annexion par l’Allemagne quelques mois plus tôt. Ces quelques mots publiés dans un journal étranger ne disent pas les humiliations subies chaque jour par les Juifs autrichiens, le harcèlement dont ils font l’objet et la terreur qui s’est installée au point de les amener à rédiger ce message qui va bientôt les séparer de leur enfant.  Un couple d’enseignants du Pays de Galles, Nancy et Reg Bingley, proposent d’accueillir le garçon qui passe son adolescence à Caernarfon, alors que ses parents eux aussi ont réussi à passer la Manche grâce à la pénurie de main d’œuvre domestique qui ouvre le marché du travail aux étrangers. Sa grand-mère Erna est femme de ménage à Paddington tandis que son grand-père Léo obtient un visa pour travailler dans une usine de sous-vêtements d'abord à Londres, puis à Shrewsbury. Les Borger passent tous les trois la guerre sur le sol britannique, séparés, mais en sécurité, ils se retrouvent ensuite et choisissent de s’y installer définitivement. 

L’histoire de la famille Borger se termine mieux que celle de bien d’autres enfants « annoncés » dans les pages du Manchester Guardian. Julian Borger a enquêté sur ces enfants sauvés grâce à ces petites annonces : Liese, dont les parents ont trop attendu pour la rejoindre et qui tentent de fuir par Shangaï et sont internés dans un camp japonais aux Philippines, George, envoyé dans un pensionnat à Bournemouth avant de rejoindre le reste de sa famille aux États-Unis en 1940, ou encore Gertrude accueillie par une famille du Somerset qui ne reverra jamais ses parents morts en déportation. Si ces filles et ces garçons échappent au nazisme, leur trajectoire leur réserve encore de mauvaises surprises comme Ernst Schanzer décrit par ses parents dans une petite annonce en 1938 comme « bien élevé », « excellent sténotypiste » et « bon sportif ». Placé dans une école de commerce à Newcastle, il est interné sur l'île de Man en tant qu'"étranger ennemi" en 1940, lorsque l'opinion publique se retourne contre les immigrés une fois la guerre déclarée. Ernst est ensuite parti pour le Canada.  

Pour la plupart des réfugiés du IIIe Reich, la Grande Bretagne n’était qu’une étape vers les États-Unis, le Canada ou encore l’Australie, au gré de l’ouverture et de la fermeture des quotas d’immigration. A travers ces petites annonces, un objet minuscule qui ne figure souvent qu’en note de bas de page des mémoires familiales, c’est l’histoire de la détresse de ces parents terrorisés d’abord par le sort de leurs enfants alors que le nazisme s’étend sur le continent européen, une terreur qui les poussent à abandonner leurs enfants au bon vouloir de l’étranger. C’est aussi l’histoire d’une jeunesse des années 1930 qui a tapé à toute les portes de la solidarité pour trouver un endroit où survivre avec ou sans les siens.  

Lien :

Julian Borger, ‘I seek a kind person’: the Guardian ad that saved my Jewish father from the Nazis, The Guardian, 06/05/2021. 

 

Lundi 10 mai 2021

Tag(s) : #Enfance - Enfants - Mineurs, #Guerre 1939 -1945 - Vichy
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