Portrait du jour de Sarah Oling
Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir Sarah Oling
Bienvenue Sarah sur le très prisé et discret Culture et justice
Interview de Sarah Oling réalisée par Guylian Dai
pour les lecteurs de la page
Crédit photo Jeanne Orient
"Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots, Sarah Oling, ce que raconte Zoltan ?
Sarah Oling : À la genèse de ce récit, deux enfants, des jumeaux, Mathias et Lèna, arrachés à leur mère dès leur naissance, pour servir le dessein funeste de Zoltan, qui incarne, dans le roman, la figure de celui qui divise. Puis la trame se mue en une quête que nos jeunes héros, âgés d'une vingtaine d'années lorsque commence le récit, ne perçoivent pas. Leurs trajectoires sont disjointes, ils ne se connaissent pas. Mathias, en errance dans les rues de Lyon, d'un côté, Léna en errance intérieure, à Cracovie, de l'autre, sous la coupe de Zoltan, qu'elle considère comme son père. Ils deviennent des marionnettes dans les mains d'adultes prétendument initiés, qui se servent d'eux pour s'affronter dans une lutte sans merci, chacun croyant, ou feignant, de détenir la vérité. Qui l'emportera et y a-t-il quoi que ce soit à y gagner ?
Comment est née l’idée de ce roman à la croisée de quêtes spirituelles, de jeux troubles de pouvoirs sur fond d’itinéraires d’errance ?
S.O. Ce roman, je le porte en moi depuis des années, à défaut de pouvoir établir une temporalité précise. Les lieux, les personnages « habitent » un espace privilégié de ma mémoire. Ils sont en résonance avec des temps anciens, ceux de ma jeunesse, où, comme Mathias ou Lèna, je ne me « savais » pas. Je pourrais même avancer l’idée d’un roman « laboratoire » à la croisée de ma propre existence. Je n’en dirai pas plus.
Yasmina Khadra vous a offert une quatrième de couverture. On peut y lire notamment que vous nous proposez une histoire où l’ange et le démon, qui « officient en nous, se livrent un combat qui remonte à la nuit des temps », l’humanité ne sachant « distinguer la damnation de la Révélation ». C’est une lecture frappante de votre roman, là où tout porte à croire, ouvrant les premières pages de Zoltan, qu’il est bien « un démon » qui, pourtant, officie en dehors de l’humanité, lorsqu’une portion de l’humanité tente de résister. Pouvez-vous nous donner votre éclairage à ce sujet ?
S.O. À la lecture des premières pages, le lecteur peut en effet comprendre qu'il est question d'une figure, sinon démoniaque, qui a à voir avec le Mal. Dans le prologue, celui dont on découvrira plus tard qu'il est Zoltan est revêtu d'un « habit de sombre lumière » et sa présence charismatique, ténébreuse, à partie liée avec des éléments contraires comme le feu et la glace, cristallisés autour de lui. Ces symboles classiquement attachés au Mal — aux Enfers — sont dans ces lignes alliances de contraires. La précision a toute son importance, puisqu'est ainsi battue en brèche, d'emblée, l'idée d'une polarisation univoque du mal. C'est l’une des clefs de lecture, importante, du roman, car si tout porte à croire dans un premier temps qu'un camp du Bien va affronter le camp du Mal, le lecteur va progressivement se rendre compte que cette vision manichéenne sera amenée à se brouiller. Ainsi, certains des personnages se revendiquant comme les garants de la « part de l’Ange » n’hésiteront pas à se déjuger, à trahir pour affronter Zoltan, ou se sauver eux-mêmes. Ce dernier provoque ainsi de surprenants dévoilements. Il confronte cette humanité à ses propres failles. Faut-il se damner pour affronter « le démon » ? L’humanité doit se confronter à ses propres démons ou périr, c’est ce que suggère le roman. »
À la page 164 de votre roman, on peut lire que Zoltan sème le trouble dans l’esprit de Léo Schmidt, l’un des personnages clef de votre récit, du fait du recours à une langue « que l’on pouvait avoir envie d’entendre », soit, en l’occurrence, ce lexique tout particulier de « refondation radicale » à conduire par la destruction « d’acquis surannés », telle destruction étant nécessaire afin « qu’un nouveau surgissement puisse être ». Qui est Zoltan, et que faut-il entendre par là ? Comment tel type de discours agit, enfin, qu’il puisse être celui que l’on peut avoir « envie d’entendre » ?
S.O. Zoltan, en effet, sème le trouble dans l'esprit de Léo Schmidt du fait d'une langue que l'on peut « avoir envie d'entendre », et ce point est fondamental si l'on veut comprendre le dessein de Zoltan d'une part, et d'autre part réfléchir à la parabole.
La « refondation radicale à conduire par la destruction » consiste, dans le projet de Zoltan, à mettre à bas une culture pervertie qui est celle d’une humanité en décomposition. Lorsque Léo Schmidt dit que l’on peut avoir envie d’entendre ce type de discours, il exprime d’une certaine manière cette inclination à adhérer à l’idée d’une chute inéluctable, lorsque celle-ci est répétée à l’envi, qui peut finir par provoquer une éthique du ressentiment, donner naissance à des affects ou passions tristes jusqu’à conduire, à l’extrême, à une idéologie nihiliste. Il me semble que nous vivons une époque où le discours d'un Zoltan peut agir sur des consciences ainsi fragilisées. Zoltan pourrait être vu, par exemple, comme la transposition romanesque de tel autocrate d’un État totalitaire porteur du mythe de la pureté originaire, raciale, etc.
J'aimerais vous interroger sur le processus d'écriture : quel est-il ? Comment procédez-vous, ou comment avez-vous procédé ?
S.O. La littérature fut mon moyen de frapper à la porte du monde, à un temps de mon existence où je pensais ne pas en avoir le droit. D’année en année, mon écriture s’est densifiée, et j’ai pris la pleine mesure, aidée en cela par mon éditeur, de ce que je possédais : un univers, qu’il m’a fallu affiner, débarrasser de certaines scories, celles, entre autres, liées à une certaine conception de l’esthétique d’une écriture, soit chasser le beau pour ne pas hésiter à convoquer un champ lexical et une esthétique au service exclusif de vérités à faire affleurer au sein même de l’acte d’écrire. C’est ainsi que le processus d’écriture, à proprement parler, a consisté, après avoir écrit, d’un premier jet, le cadre et la place que devaient prendre les personnages, puis à faire bouger le texte jusqu’à la dernière ligne, dans la mesure où ils ont revendiqué leur évolution. Je souris, mais c’est bien ainsi que cela advint, au cours de nuits fiévreuses où je les entendais me haranguer pour s’affranchir de la place où je les avais assignés originellement. Vous pouvez imaginer la négociation âpre qui s’engageait. Le matin venu, je rectifiais, je nuançais, la palette des émotions, contradictions, de chacun d’entre eux.
Est-ce que la notion "d'engagement" en littérature est une notion signifiante pour vous ? Et si oui, en quoi ?
S.O. Me placer comme quelqu’un d’engagé en littérature, c’est me relier à cette jeune fille d’alors qui pressentait que l’écriture, l’acte d’écrire, serait pour elle un processus « révolutionnaire ». Je ne maitrisais préalablement aucun des codes, n’étais pas issue d’un milieu intellectuel, je n’étais d’aucune chapelle. Je voulais juste écrire pour réparer en moi ce qui était déchiré. Puis, j’ai publié mes premiers romans, tous porteurs d’ouverture au questionnement, à la rencontre. Les rencontres eurent lieu, avec des enseignants, à l’occasion de projets pédagogiques avec des collégiens, tout cela pendant une trentaine d’années. J’ai achevé ce cycle de transmission pout en ouvrir de nouveaux aujourd’hui. L’engagement en littérature avec Zoltan est à la fois une continuité et un renouveau. C’est un roman de la maturité, d’une vision plus affutée de notre monde et de ses puissants clivages. J’en attends de riches échanges afin de nourrir, toujours, notre réflexion collective et des possibilités d’agir.
Combien de temps faut-il pour se rendre compte que l'on ne possède rien et surtout pas ces quantités de sable que l'on a patiemment amassé, modelé, élaboré ? (...) Que l'on s'est senti libre parce que délié de tout lien qui relie ?" Ma dernière question sera celle-ci : que nous dites-vous, à travers ces lignes de "Zoltan"?
S.O. « Alors qu’on a vingt ans et que l’on s’est cru orphelin de tout ? » À ce temps cathartique du récit qui met en scène Mathias, j’aborde des rives qui me furent violence à l’âge de Mathias. Se savoir relié à une famille, à une histoire, se sentir des racines liées à une histoire commune, avoir un port d’attache, c’est également avoir un ancrage dont on peut se défaire, en conscience. Mais cette liberté illusoire consistant à refuser les liens, considérant qu’ils vous entravent, ne peut qu’être délétère pour un humain. Elle est le pendant d’une profonde solitude. Mathias, dans mon roman, du fait de révélations qui adviendront concernant des liens qu’il ignore encore, et auxquels il pourra se raccrocher, ainsi qu’à une histoire, pourra peut-être enfin faire souche. Par-delà, les terribles conflits que nous connaissons aujourd’hui dans certaines parties du monde ne rendent que plus manifeste cet impératif visant à nous sentir relié au titre d’une communauté humaine qui devrait supplanter tout autre groupement qui la constitue."
Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.
A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."
Relecture et mise en page Ph.
Politique éditoriale sur la page Culture et justice - Le blog de Philippe Poisson
"Le carnet de recherche de Criminocorpus a été créé en 2008 sur la plateforme Hypotheses avec l'objectif de couvrir l'actualité de la recherche en histoire de la justice. Il s'est progressivem...