Groupe d'avocates au Palais de Justice de Paris, en 1913 ©Getty - © Ullstein bild Dtl.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les professions judicaires – aussi bien au barreau, dans le notariat, parmi les commissaires de justice (ex-huissiers) et bien sûr dans la magistrature. Antoine Garapon reçoit Gwenola Joly-Coz et Catherine Fillon, spécialistes de la question.
Avec
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Gwenola Joly-Coz - Magistrate, Première présidente de la Cour d’appel de Poitiers
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Catherine Fillon - Professeure d’histoire du droit et des institutions à l’université de Lyon III
S’agissant de ce corps dont il sera principalement question dans cette émission, les chiffres sont là, obstinés : en 2016, une étude demandée par le Conseil supérieur de la magistrature constatait que « les positions de cheffe de juridiction montrent une forte masculinisation tout à fait atypique, eu égard à la féminisation du corps ». Comment expliquer ce paradoxe ?
Gwenola Joly-Coz "Les filles se présentent énormément au concours de l'École nationale de la magistrature, réputé comme extrêmement difficile, et vont donc très bien le réussir au bénéfice du syndrome de la bonne élève. Elles vont très bien préparer ce concours, le sur-préparer, et vont l'obtenir. Mais ce qui est caractéristique, c'est qu'une fois ce concours obtenu et une fois l'entrée dans la magistrature effectué, il va y avoir un phénomène parfaitement inverse. Elles ne vont que très peu investir les postes de responsabilité, très peu comprendre l'organisation de la magistrature et notamment les organigrammes et la façon dont on obtient des responsabilités."
Catherine Fillon « Il faut attendre une loi de 1946 pour que la magistrature s'ouvre aux femmes. Mais c'était effectivement une question déjà débattue par quelques députés dans les années 1930, surtout après la réforme Poincaré qui avait supprimé un certain nombre de juridictions et qui avait du faire marche arrière et les réinstaller. A ce moment là, on manquait donc cruellement de magistrats et on s'est dit : "pourquoi pas les femmes ?"»
Gwenola Joly-Coz "Au 1ᵉʳ janvier 2023, 71 % des juges en France sont des femmes. Donc c'est ce qu'on appelle aujourd'hui une profession non mixte (quand on est à plus de 60 % de l'un ou l'autre sexe). Donc la magistrature est aujourd'hui une profession non mixte, mais pour autant, les postes de responsabilités, eux, sont essentiellement occupés par des hommes.[...] Par exemple, si on se penche sur les douze plus gros tribunaux de France aujourd'hui, seulement un poste de direction est occupé par une femme. [...] Il y a un effet ciseau très très fort entre la mixité et la parité."
Gwenola Joly-Coz "Il faut le remarquer aujourd'hui, il y a une sorte de face à face anthropologique qui se met en place dans les salles d'audience : vous avez trois femmes qui jugent des salles entières d'hommes."
Les facteurs sont nombreux : la discrimination indirecte qu’exercent des règles en apparence neutres (la mobilité à travers le territoire national par exemple), une autocensure aussi de nombre de femmes, les obstacles d’une carrière pensée par des hommes pour des hommes. Les discriminations ne se limitent pas à ce fait objectif mais prennent des formes plus insidieuses : les femmes doivent composer avec une culture masculine, résister à une orientation vers certaines fonctions au détriment d’autres, considérées plus adaptées aux femmes - on songe, bien sûr, aux affaires familiales, lutter contre un sexisme persistant.
Catherine Fillon "Je dis toujours que la profession d'avocat s'est sans doute ouverte aux femmes beaucoup plus tôt, précisément parce que ce n'est pas un métier de la puissance publique."
Catherine Fillon "On a toujours la représentation d'une puissance publique qui ne peut pas être décemment incarnée par les femmes. Il y a toujours ce frein et cette résistance. Après, la féminisation s'est opérée beaucoup plus lentement dans ces deux professions [notaires et huissiers ] parce qu'elle suppose un capital économique considérable."
Gwenola Joly-Coz "On a dit aux filles que finalement, la prise de parole n'était pas leur champ, à l'exception bien sûr du privé, où les conversations familiales sont dédiées aux femmes. Et on sait que l'art oratoire [de la magistrature] s'est développé à l'Assemblée nationale, qui est le lieu de la rhétorique républicaine. Et que ce sont les hommes qui ont imposé leurs codes, leur façon de parler et que dès qu'une femme prend la parole, elle est critiquée, moquée. Elles sont remises en cause pour leur soi-disant moindre qualité dans la prise orale."
Gwenola Joly-Coz "Aujourd'hui, nous perdons des talents féminins à cause de ces règles qui leur sont structurellement défavorables et qui leur font renoncer en fait à des parcours."
En ce jour international des droits des femmes, Esprit de justice va faire un état des lieux de la situation des femmes dans la magistrature en compagnie de Gwendola Joly-Coz, Magistrate, Première présidente de la Cour d’appel de Poitiers qui vient de signer un livre : Femmes de justice. Portraits et réflexions, (EnrickB Éditions, 2023), fondatrice de l’association Femmes de justice, et Catherine Fillon, Professeure d’histoire du droit et des institutions à l’université de Lyon 3, auteure de nombreux ouvrages sur le recrutement des magistrats et sur l’histoire du barreau de Lyon.
Gwenola Joly-Coz "Ce qui m'a marqué chez Charlotte de La Garde, c'est que malgré tous ses mérites, elle n'a pas voulu laisser de traces d'elle. Elle n'a pas écrit sur son parcours, n'a pas raconté son histoire qui est pourtant exceptionnelle à tous égards.[...] C'est presque une sorte de devoir pour l'institution judiciaire que de retrouver la trace de ces femmes. Et puis, un sentiment d'urgence m'a beaucoup poussé aussi parce que je sens que les dernières générations qui peuvent m'en parler vont disparaître. [...] Il est donc important de dresser la liste."
Pour aller plus loin
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>> Pages de Gwenola Joly-Coz : sur le réseau Linkedin, sur twitter, sur le site Babelio.
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Page de présentation de son ouvrage "Femmes de justice", paru aux éditions Enrick B. collection Porte-Voix, en février 2023 (site de l'éditeur).
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A visionner, une vidéo de présentation du parcours de Gwenola Joly-Coz et de son ouvrage sur les femmes de justice (chaîne You tube Lex TV).
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A lire, la page sur la réception, par Gwenola Joly-Coz, de la mention spéciale du grand prix de l'ENM en 2021 (site de l'ENM - École Nationale de la Magistrature).
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>> Pages de Catherine Fillon : sur le réseau Linkedin, sur le portail universitaire du droit,
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Ses publications (site Cairn.info), et sur le site OpenEdition Books.
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Page du CSE Lyon (Collectif de Solidarité Etudiante) dont Catherine Fillon est présidente.
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>> Quelques références citées
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Page de Charlotte Béquignon-Lagarde, première agrégée de droit et première femme à accéder à la magistrature, en 1931.
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Esprit de justice
Femmes dans les professions judiciaires : entre augmentation et discriminations
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