Rappelons que les colonies pénitentiaires, qui pouvaient être publiques ou privées, recevaient les jeunes détenus acquittés en vertu de l’article 66 du Code Pénal, comme ayant agi sans discernement (mais non remis à leurs parents) et les condamnés à des peines de plus de six mois mais inférieures à deux ans. Quant aux colonies correctionnelles, elles accueillent les condamnés à des peines de plus de deux ans, ainsi que les jeunes détenus des colonies pénitentiaires déclarés insubordonnés.
Pendant longtemps, l’Administration Pénitentiaire avait laissé une entière latitude aux établissements privés en ce qui concerne l’organisation de la discipline et de l’alimentation des jeunes détenus.
Seules certaines directives leur étaient données. C’est ainsi que les établissements devaient tous fournir aux détenus une nourriture saine et suffisante. Aucun mode uniforme de discipline ne leur était imposé. Selon l’Administration Pénitentiaire, « un système d’éducation, si bien conçu qu’il paraisse, n’a de valeur qu’autant qu’il s’adapte parfaitement aux idées de celui qui est chargé de le mettre en pratique. A un directeur, qui sait prendre de l’emprise sur les enfants qu’il a mission d’élever, des moyens très simples, une admonestation, une réprimande, etc…suffisent pour rappeler les délinquants au sentiment de leur devoir. Il obtient ce résultat, là où d’autres échoueraient par l’emploi des punitions les plus sévères. L’éducation est une affaire de tact et de discernement, il ne faut donc pas obliger un chef d’établissement à punir une infraction par tel ou tel châtiment qui semble proportionné à la gravité de la faute, lorsqu’une répression plus efficace, peut-être, sera obtenue par un pardon accordé à propos ou par toute autre influence morale ».[1]
C’est donc fort logiquement que les châtiments corporels se sont vus condamnés à cette époque.
Pourtant, la découverte d’abus, essentiellement l’usage de punitions d’une rigueur excessive, amena l’administration à prévoir un règlement d’ensemble des colonies pénitentiaires[2].
Le régime disciplinaire des jeunes détenus – plus encore que le régime des adultes – allait combiner les punitions dont on voulait qu’elles soient justes et appropriées, et les récompenses. Le but de l’action étant de ramener les enfants au bien et de leur permettre quand ils seront parvenus à l’âge d’homme de pourvoir honorablement à leurs besoins.
Pour les jeunes acquittés ayant agi sans discernement et n’ayant pas été remis à leur famille, l’Administration Pénitentiaire est chargée de les détenir mais (et ceci est clairement exprimé dans une circulaire du 5 juillet 1853) cette détention n’a d’autre but que d’assurer leur éducation.
Aussi l’Administration décide-t-elle seule, si l’enfant est ou non suffisamment réformé pour être remis à sa famille.
Une fois libéré, il peut réintégrer l’établissement pénitentiaire s’il ne justifie pas la bonne opinion qu’on avait conçue de son amélioration morale.
Les enfants condamnés ont une situation différente puisqu’ils sont détenus au titre d’une peine résultant de la condamnation. Leur détention peut-être abrégée par l’effet d’une commutation, ou cesser par l’effet d’une grâce. Cependant, ces enfants peuvent également faire l’objet d’un placement à l’extérieur de l’établissement ou être remis à leur famille à condition qu’ils aient exécutés les 2/3 de leur peine.
Malgré la rédaction du règlement de 1869, les principes généraux qui y sont contenus, resteront longtemps d’application difficile dans certains établissements. C’est pourquoi de nombreuses circulaires rappelleront à l’ensemble des directeurs de colonie la nécessité de respecter les prescriptions réglementaires.
Si l’on examine les infractions commises par les jeunes détenus au cours de leur détention, on constate que beaucoup d’entre elles sont à relier à l’éducation morale, religieuse et scolaire qu’on leur dispense. Ainsi la paresse, la négligence, les actes d’insubordination sont-ils réprimés en tant que tels. Bien plus, une mauvaise conduite et le relâchement dans le travail peuvent entraîner après la libération, un placement dans un orphelinat, asile ou refuge pendant un temps déterminé (placement qui doit cesser dès qu’est atteint l’âge de la majorité).
On retrouve dans les établissements pour jeunes les infractions traditionnelles. A titre d’exemples, citons les vols, voies de fait et actes d’immoralité. Disons aussi, que comme pour les prisons départementales, beaucoup d’infractions disciplinaires nous sont inconnues (elles figurent dans une imposante rubrique « divers ».)
Concernant les punitions pouvant être prononcées à l’encontre de jeunes détenus, il convient de se reporter aux articles 96 et suivants du texte de 1869 qui en donnent pour la première fois une liste complète.
Les punitions autorisées sont les suivantes : la privation de récréation, de correspondance et de visites ; le piquet, la mise à genoux, les travaux de propreté générale, le port d’un vêtement disciplinaire, la perte des grades, des galons, des emplois de confiance ; les mauvais points, la réprimande en particulier ou en public, l’isolement pendant les repas, la radiation du tableau d’honneur, la cellule de punition.
Le règlement du 15 juillet 1899 qui remplacera pour partie celui de 1869 (et seulement pour les garçons) atténuera, certaines de ces punitions en prévoyant notamment que la privation de visite ne serait prononcée que dans des cas très exceptionnels, en précisant par ailleurs que le piquet ne serait imposé que pendant la récréation. En revanche, ce même règlement supprime quelques punitions telles que la privation de correspondance ou la privation de la pitance et en ajoutera d’autres comme la marche en rang pendant la récréation, les corvées, le lit de camp, le pain sec[3], le pain sec de rigueur[4] et le peloton de discipline.
Les textes de 1869 et 1899 prévoient encore qu’aucune retenue pécuniaire ne pourra être faite sur le salaire du jeune (sauf pour la réparation du dommage matériel qu’il aurait causé).
Quant à la mise en cellule de punition, elle ne devra être prononcée que pour les fautes les plus graves, lorsque sa durée devra dépasser 15 jours (avec une limitation à 3 mois jusqu’en 1869), les motifs de la punition seront communiqués au préfet et, à partir de 1899, s’agissant des jeunes garçons, l’approbation du Ministre sera nécessaire. Le prononcé de cette punition sera toujours lié à la constatation par l’Administration Centrale de la salubrité des lieux affectés à son exclusion.
Au titre des autres sanctions, il faut mentionner l’envoi des détenus jugés incorrigibles dans une colonie correctionnelle pour y être soumis à un régime répressif ( avec l’accord cependant du Ministre sur l’avis du Conseil de Surveillance et du Préfet), le placement des jeunes se conduisant ou travaillant mal à l’approche de leur libération – lorsqu’ils seront libérés effectivement – « dans un orphelinat, asile, refuge ou tout autre établissement qu’une maison de correction, pendant un temps dont le Ministre déterminera la durée, sans excéder toutefois leur majorité[5] ».
Dans les établissements pour jeunes détenus le peloton de discipline équivaut à la salle de discipline des prisons pour adultes.
Les enfants mis au peloton de discipline sont placés, le soir, en dortoir spécial, le jour ils sont occupés aux corvées de l’établissement et ne sont pas mêlés aux autres pupilles. Ils prennent leur repas dans une salle spéciale.
Suivant la gravité des fautes, le peloton de discipline peut être prononcé avec vivres complets, pain sec ou pain sec de
rigueur, ave couchage ordinaire ou lit de camp[6].
D’une manière générale, la mise à l’isolement d’un jeune détenu est entourée des plus grandes précautions. Le texte de 1899 renforce encore celui de 1869 à cet égard[7].
Les textes de 1869 et 1899 prévoient également pour les jeunes détenus, la tenue d’un registre des punitions et l’inscription des sanctions sur un bulletin spécial de statistique morale classé au dossier de chaque enfant.
[1] Circulaire du 31 mars 1864, Code des Prisons, tome IV, p. 159.
[2] Règlement du 10 avril 1869.
[3] Pain sec : les enfants reçoivent la soupe le matin, le pain sec à midi, la pitance le soir.
[4] Pain sec de rigueur : les enfants reçoivent la soupe le matin, le pain sec à midi et la soupe le soir ; ou la soupe le matin, le pain sec à midi et le soir.
[5] Circulaire du 10 avril 1869, Code des Prisons, tome V, p. 487 et suivantes, et circulaire du 15 juillet 1899, Code des prisons, tome XV, p. 391.
[6] Arrêté du 15 juillet 1899 sur le régime disciplinaire des établissements d’éducation correctionnelle pour jeunes garçons.
[7] Le règlement de 1869 disposait que les jeunes détenus mis à l’isolement seront l’objet d’une surveillance
continuelle, qu’ils seront fréquemment visités par le chef d’établissement et l’aumônier, et examinés par le médecin lors de ses visites, et qu’un surveillant devra, en outre, coucher dans le
quartier des cellules.
Extraits du document Discipline et prétoire dans les prisons françaises et les établissements
pour mineurs du 22 octobre 2006 - Philippe POISSON