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Aventurier, bretteur réputé, agent secret de Louis XV, d'Eon mourut à l'âge de 83 ans. Jusqu'à son décès, l'on ne cessa de se poser la question : chevalier ou... demoiselle ?


D'EON ­
cela du moins était sûr ­ était né(e) le 7 octobre 1728 à Tonnerre, en Bourgogne, d'un père noble, directeur des domaines du roi, Louis d'Eon Beaumont, et d'une dame, Françoise de Chavanson. Ensuite, tout commençait à se brouiller : en effet, au courant de sa longue existence, on le vit autant sinon plus en robe qu'en uniforme de dragon.

ALORS ?

L'on savait moins qu'il avait fait des études convenables, notamment au collège Mazarin de Paris. A quoi ressemblait-il ? A un jeune homme ou à une jeune fille ? Justement... c'est là que la question commençait à se poser. Il apparaissait comme « un jeune homme blond, de figure agréable, petit de taille, mais vigoureux et plein d'entrain qui, malgré ses allures de demoiselle (sic), était toujours prêt lorsqu'il s'agissait de rire, de boire et de se battre. » Ce sont d'ailleurs ses talents de bretteur qu'une gravure anglaise immortalisera. On le voit, vêtu d'un costume féminin, croiser le fer avec un personnage manifestement plus grand que lui. Autour d'eux, une assistance fournie, choisie et attentive et, au centre, le prince de Galles en personne. L'image mérite que l'on s'y arrête tant elle est représentative de son siècle. Qui est, en effet, l'adversaire de d'Eon en jupons, pour ce que l'on appela le « Fencing match » ? Il s'agit du chevalier de Saint-Georges, le bretteur fameux, lui-aussi, qui a 11 ans de moins que d'Eon et dont la carrière est de même ­ mais à d'autres titres ­ exceptionnelle. Né à la Guadeloupe, Saint-Georges est le fils d'un nobliau français et d'une esclave sénégalaise dont la beauté fait dire d'elle qu'elle était « le plus beau cadeau que l'Afrique ait fait à la France ». A 14 ans, après maintes péripéties, il est à Paris en mesure de croiser le fer avec les meilleurs. Mais l'essentiel de sa célébrité lui vient de ses talents de musicien et de compositeur. Saint-Georges sera ­ en son temps ­ plus célèbre que Mozart à Paris, centre de l'activité artistique européenne. Tous deux se trouvent donc à Londres : Saint-Georges, dans le sillage du duc d'Orléans, le futur Philippe-Egalité ; d'Eon pour des raisons ­ disons ­ liées à ses activités professionnelles. C'est l'époque où d'Eon revêt souvent des atours féminins. Ils sont les deux Français les plus célèbres de Londres et, le 9 avril 1787, le prince de Galles organise donc ce « Fencing match » entre deux des plus fines lames du monde. Naturellement, comme nous sommes en Angleterre où l'on parie sur tout y compris d'ailleurs sur le sexe de d'Eon (!), les paris sont pris. Saint-Georges part-il favori dans les paris ? Ce n'est pas impossible : il mesure 1,80 mètre, ce qui est exceptionnel à l'époque ; d'Eon lui, ne manquera pas d'être embarassé(e) par son costume... Or il n'en est rien : Saint-Georges est touché à sept reprises au cours de l'assaut par son quinquagénaire adversaire... Et c'est bien pour cette raison que l'on grava l'image de cette joute qui avait attiré toute la noblesse anglaise. Revenons à d'Eon. Lorsqu'il sort du collège, d'Eon n'envisage pas un avenir de bretteur professionnel. Celui que l'on appelle « Le petit d'Eon » devient docteur en droit, avocat au Parlement et ­ tout de même ­ grand prévôt de salle d'armes, à Paris. Il faut vivre : d'Eon devient secrétaire d'un ami de la famille de Sauvigny, intendant de la généralité de Paris. Il faut essayer de percer : il publie un « Essai historique des Finances », des « Considérations politiques sur l'administration des peuples anciens et modernes ». Cette belle activité intellectuelle et littéraire lui vaut la protection d'un cardinal de Bernis, ministre des Affaires étrangères et grand ami de Casanova, du conte de Choiseul et de quelques autres. Il ne reste donc plus, dès lors, qu'à attendre l'occasion suprême qui... Elle vient... de Russie. Le pays des tsars est peu accueillant aux diplomates français et encore moins aux agents plus ou moins secrets qui pullulent à travers l'Europe du siècle des Lumières. Haut personnage de la cour royale, le prince de Conti fait, après l'incarcération en Russie du dernier émissaire français en date, une suggestion à Louis XV et à sa favorite, Madame de Pompadour : « Puisque les hommes ne peuvent passer, il faut envoyer à ces Russes une femme aimable et élégante, possédant les qualités d'un homme et l'habileté d'un diplomate ». Louis XV : « Mon Dieu, l'idée est originale et nous avons peut-être tort d'en rire... mais où trouver l'oiseau rare, la femme élégante et diplomate ? » Le prince : « Nous l'avons sous la main, sire, ce n'est pas une femme mais un jeune homme que j'ai rencontré plusieurs fois aux bals de votre noblesse et qui, sous le costume féminin, fait l'admiration de tous et rend jalouses de son élégance les plus jolies et les mieux parées de nos grandes dames ». Et d'ajouter un tantinet rêveur, troublé peut-être : « Ma foi, si je ne l'avais pas connu, je crois que je m'y serais laissé prendre et lui aurais conté fleurette. J'ajoute que cet intéressant jeune homme est plein d'esprit et de savoir et, qu'en outre, il ne fait pas bon se trouver devant son épée ». Ainsi donc le « petit d'Eon » était-il déjà connu et célèbre pour et par ses costumes féminins. On l'envoya donc en Russie, où sa première mission d'agent secret fut couronnée d'un plein succès, la tsarine Elisabeth demandant après ses divers entretiens (secrets) avec d'Eon « qu'on lui envoyât sur-le-champ un chargé d'affaires officiel avec les bases d'un traité d'alliance, qu'elle se déclarait prête à signer ». Louis XV touchait une fois de plus les dividendes de sa diplomatie secrète ; une diplomatie s'appuyant sur un comité connu de lui, fonctionnant à l'insu du ministre des Affaires étrangères et animant un véritable réseau d'agents directement commandités et rémunérés par lui. En tout cas, cette première mission vaut à d'Eon un brevet de lieutenant de dragons et un cadeau royal : une tabatière d'or ornée du portrait du roi. De son côté, la tsarine tenta de s'attacher les services de d'Eon, mais celui-ci déclina l'alléchante proposition : « J'aimerais mieux ne posséder que de quoi vivre en France que d'avoir cent mille livres de rente à manger ici... Je serai bien aise d'aller mourir, comme un chien fidèle, sur mon fumier natal ». Et d'Eon revient à Versailles en 1760 et, après quelque temps ­ consacré à soigner la petite vérole ­ décide de « mériter à la guerre le grade qu'il avait gagné dans la diplomatie ». Il se couvre de gloire, montrant un courage inouï, commandant avec bravoure et emportant bien des décisions avec infiniment de panache. La« demoiselle » des bals costumés a du répondant sur les champs de bataille ! Mais, en 1762, d'Eon est prié par le roi de reprendre son activité diplomatique souterraine. Ce sera, après la Russie, l'Angleterre. D'Eon ne sait évidemment pas qu'il y terminera son existence. Secrétaire du duc de Nivernais, ambassadeur en titre, d'Eon fait efficacement son travail, subtilise les documents secrets qu'il faut au moment où il faut à la personne idoine. Bref, la mission, une fois de plus, est un succès : l'Angleterre et la France, très fâchées, signent le 10 février 1763 le traité qui donne à l'Angleterre le Canada, Saint-Vincent, les Grenades, Tobago, la Dominique et le continent septentrional de l'Amérique jusqu'au Mississippi, cependant que la France obtient le droit de pêche à Terre-Neuve et récupère Belle-Ile, la Martinique, la Guadeloupe et Pondichéry. Louis XV, ravi, considère que d'Eon « lui porte bonheur » et lui décerne la croix de Saint-Louis, décoration suprême. D'Eon sera chargé, par la suite, de faire des reconnaissances sur les côtes anglaises car Louis XV envisage ­ déjà ­ un débarquement en Angleterre, projet abandonné par la suite. Le plus important pour d'Eon est que, dès cette époque, il se voit assigner une double mission : l'une officielle qu'il tient du ministre des Affaires étrangères ; l'autre secrète et bien plus importante qui émane directement du roi. Las, Louis XV avance en âge, laisse de plus en plus Mme de Pompadour diriger les affaires du royaume et ne manifeste plus le même intérêt pour les affaires étrangères et... la diplomatie secrète. De surcroît, d'Eon n'a pas que des amis à la cour. Le nouvel ambassadeur de France veut le briser mais n'y parvient pas. La pension qui lui est due, n'arrive pas ou mal, trop tard, toujours. D'Eon, passée la quarantaine, se met à nouveau à porter des vêtements féminins. Il est vrai que ce nouvel accoutrement suscite à Londres un intérêt renouvelé pour d'Eon et... une multitude de paris : homme ou femme, d'Eon ? Louis XV meurt. Louis XVI, qui lui succède, est convaincu que d'Eon est une femme. D'ailleurs, Beaumarchais ­ autre agent secret de la monarchie ­ le lui a confirmé au terme d'une mission auprès de d'Eon. Les rapports entre l'auteur du « Barbier de Séville » et d'Eon vaudraient à eux seuls de longs développements... Le résultat le plus évident pour d'Eon de la mission Beaumarchais est de se voir intimer l'ordre par Louis XVI de ne plus quitter ses vêtements féminins ! Bref, après un séjour de quelques années en France, séjour que seule Marie-Antoinette contribuera à adoucir, d'Eon retourne à Londres en 1784. C'est de Londres qu'il suivit ­ sans éprouver beaucoup de peine ­ la chute de la monarchie en France. Finalement, c'est la royauté qui l'avait obligé à changer officiellement de sexe et qui l'avait condamné à la misère. En 1792, il écrivit même à la Convention pour lui offrir ses services mais celle-ci ne donna pas suite à cette proposition qui dut lui paraître quelque peu incongrue. Il resta donc à Londres, logeant dans un modeste appartement du 23 New Wilman Street, le plus souvent portant le costume féminin. Penchant pervers ? En réalité, plutôt le souci de continuer à alimenter la curiosité publique. Pendant ce temps, les paris le concernant continuaient... Il meurt le 21 mai 1810 à l'âge de 83 ans. Est-ce la conséquence des paris en cours ? En tout cas, on procède à une autopsie du corps de d'Eon en présence d'une assistance d'une dizaine de chirurgiens et de magistrats. Et le chirurgien Copeland certifie qu'il a trouvé « les organes mâles de la génération parfaitement formés sous tous les rapports ». La « chevalière » était bien un chevalier.


L'indéfinissable d'Eon

Texte : Edouard BOEGLIN Illustration : Christian HEINRICH

Edition du mercredi 6 octobre 1999

http://www.alsapresse.com/jdj/99/10/06/MA/4/article_20.html#

 

 

  

Résumé

 

Est-ce un homme, une femme, un hermaphrodite ? L'énigme de son sexe aura sûrement beaucoup plus fait pour sa réputation que tout ce qu'il entreprit dans sa longue existence.

 

Les aventures du chevalier d'Eon dépassent de loin par l'extravagance tout ce qu'un romancier peut imaginer, mais leur intérêt ne s'épuise pas dans les péripéties d'une vie " sans queue ni tête ", comme il le dit un jour. Tout à la fois agent secret de Louis XV et diplomate officiel, il est mêlé à la grande politique, mais aussi à d'innombrables intrigues : il rencontre des souverains, des ministres, court de Saint-Pétersbourg à Londres, détient des secrets d'Etat jusqu'au jour où un tribunal britannique déclare, sans preuve, qu'il appartient au sexe féminin.

 

Maurice Lever avait évoqué la flamboyante " Amazone de Golden Square " dans sa biographie de Beaumarchais. Il avait alors décidé d'écrire cette histoire où vérités et légendes sont restées intimement liées. La mort l'en a empêché. C'est son épouse Evelyne qui l'a fait à sa place, mettant en lumière des documents inédits en France sur l'un des personnages les plus pittoresques du XVIIIe siècle. Une biographie historique entièrement renouvelée.

 

 

Titre : Le Chevalier d'Eon

Auteur : Evelyne et Maurice LEVER

Mars 2009

Éditeur : FAYARD

 

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