Un jour, Joseph Barre, le grand-père de Raymond Barre, alors en poste en tant qu’administrateur pénitentiaire au bagne de Cayenne, vit entrer dans son bureau un personnage grand, mince et presque ascétique. C’était Jean Galmot, journaliste, poète mais aussi orpailleur, planteur, armateur et distillateur qui venait lui demander des libérés du bagne pour ses mines d’or de Guyane. Galmot, un personnage hors du commun qui, après avoir fait fortune de manière fulgurante en Guyane et en être devenu le député, a connu la prison et la ruine avant d’être assassiné.
En vérité, c’est à force de travail acharné que s’est tissée la glorieuse aventure de Jean Galmot. Il monte sa propre affaire en Guyane, au cœur de la forêt tropicale, dont il tombe passionnément amoureux : l’or, le rhum, le bois de rose, les essences... Il écrivait lui-même, “je n’ai jamais été aussi heureux que dans le bois. Le bois, c’est la jungle de là-bas. J’y ai vécu des heures de fièvre qui valent les plus belles aventures d’amour, celles que je n’ai pas connues”. Originaire du Périgord, Jean Galmot est né le 1er juin 1879 à Monpazier, en Dordogne. Il appartient à une famille de six enfants. Sa sœur aînée, une religieuse aveugle, deviendra sa confidente. Aucun professeur ne s’est plaint de lui. C’est un élève discipliné, sérieux. Pour preuve, cet éloge du professeur du lycée Malherbe :“L’élève Galmot a des habitudes de travail et de discipline qui constituent de sérieuses garanties pour l’avenir”. Il est vrai qu’il présente des aptitudes pour les lettres et très tôt il parle très bien l’italien, l’anglais et l’allemand. À dix-neuf ans, il est précepteur à Saint-Dié, dans les Vosges, puis à San-Remo en Italie. Il fait ses premiers pas de journaliste en tant que rédacteur au Petit Niçois. Et sa collaboration augmente considérablement le tirage grâce à ses écrits, fruits de son imagination fertile : “L’histoire du Calabrais, le satyre de l’Esterel”, “Les bandits de Pegomas” ou encore “La Redoute rouge”. Ses activités journalistiques lui donnent accès à la vie mondaine et à la sphère politique. C’est à cette période qu’il rencontre puis épouse Marianne Hyedecker, une riche Américaine née à Paris dont le père est consul des États-Unis en Russie. Galmot devient alors le fondé de pouvoirs de la Maison Chiris & Cie. Les Chiris sont financièrement puissants. Ils font confiance au dynamisme de Jean et mettent à sa disposition des capitaux qui lui permettent d’ouvrir un comptoir en Guyane où il se lance dans l’exploitation du bois de rose. Tous veulent travailler avec Galmot, parce qu’il est généreux, parce qu’il connaît le prix de l’effort et qu’il le récompense à sa juste valeur. Cette sollicitude à l’égard de son prochain fait écho. Sa réputation gagne la Guyane toute entière, de sorte que déjà, on commence à l’appeler « Papa Galmot ». Il ne tarde pas à ressentir l’ambition de créer sa propre affaire, d’en finir avec sa condition de “brillant second”. Il fait une première tentative qui échoue, car très vite il se rend compte que le domaine colonial de la France appartient à une poignée de grandes firmes qui contrôlent la vie économique de l’empire d’outre-mer.
150 millions de francs en faveur des vieilles colonies En 1915, aidé d’une banque commanditaire, il fonde à Paris les Établissements Jean Galmot qui ouvriront des succursales en Guyane. Nous sommes en temps de guerre et la vente de certains produits est particulièrement bénéfique. C’est le cas notamment du rhum. Or, Jean Galmot est devenu le principal fournisseur de l’armée pour ce breuvage destiné aux soldats du front. L’ascension de son entreprise - dont la structure et la gestion ne manquent pas d’originalité -, est fulgurante. Son affaire atteint bientôt une dimension mondiale. Certes, ainsi que le dira Gaston Monnerville (ancien président du Conseil) : “Galmot avait fait saigner à blanc les arbres les plus accessibles. Cependant, il n’en demeure pas moins que les Guyanais conservent une large part des profits réalisés par Jean Galmot. Ils ne sont pas les seuls d’ailleurs, puisque l’un des plus importants négociants de la Guadeloupe pourra écrire à cette époque : ”La prospérité sans précédent dans l’histoire coloniale de la Guadeloupe et de la Martinique est due à l’activité que M. Galmot a dépensée pour le développement de l’industrie et du commerce rhumiers. Les capitaux importés dans nos vieilles colonies, grâce au concours de M. Galmot, et distribués en salaires dans le pays se sont élevés à la Guadeloupe, à la Martinique et à la Réunion à plus de 150 millions.” Dans l’élan de son succès, Jean Galmot multiplie ses succursales. Il dispose d’entrepôts à Paris, au Havre, à Bordeaux, à Nantes, à Marseille. Il diversifie ses activités. Ainsi, outre la vente du cacao, du caoutchouc, du rhum, du blé provenant d’Argentine et qu’il introduit en France, il s’active dans la presse, l’édition, la production cinématographique. Une telle puissance a bien sûr d’importantes répercussions en Guyane, à tel point que la vie économique est dominée par Jean Galmot, et, selon une loi bien connue, l’économique va agir sur la politique... Quand, après la guerre, se profilent à l’horizon les élections législatives, on pense tout naturellement à Jean Galmot. Le candidat sortant est l’ancien gouverneur de la Guyane, Albert Grodet, qui a été élu en 1910 et maintenu en fonction depuis, en raison de la guerre. De fait, Jean Galmot se présente aux élections de 1919, sans étiquette politique, mais avec un programme qu’il expose sur place durant la campagne électorale, avec un talent oratoire qu’on ne lui soupçonnait pas. Jean Galmot remporte largement la victoire dès le premier tour. Député, il fait partie des non-inscrits au Parlement, où son activité est intense. Il devient vice-président de la Commission de la Marine marchande, secrétaire de la Commission des colonies et protectorats, membre de la Commission des transports aériens, du Comité d’action républicaine aux Colonies françaises, du Conseil supérieur des colonies du groupe des députés coloniaux, secrétaire du groupe de l’Aviation... C’est encore lui qui est l’auteur d’une proposition de loi portant sur la création d’une loterie nationale destinée à améliorer la situation des finances de l’État détériorée par la guerre.
Lors de l’autopsie, son cœur a disparu Cependant, à partir de 1922, il va affronter des difficultés qui auront des répercussions en Guyane. Ainsi, il est éclaboussé par “l’Affaire des rhums”. Jean Galmot avait en effet beaucoup spéculé sur le rhum, l’écoulement ayant été facilité durant la guerre, grâce aux commandes de l’armée, augmentées lors de la grippe espagnole. Cependant, une fois la guerre terminée, et plus précisément en 1920, les besoins ayant brusquement diminué et la production ayant augmenté, les cours du rhum s’effondrent. Or, Jean Galmot s’est endetté. Pour pallier ces embarras financiers, il a recours au warrantage. Il s’agit d’une opération illicite qui consistait à présenter comme garantie de paiement des titres constatant le dépôt de marchandises dans des magasins généraux, en l’occurrence des quantités énormes de rhum. Ces warrants perdent de la valeur chaque jour du fait de la chute du prix du rhum et Jean Galmot se trouve dans l’impossibilité de faire face à ses obligations. Suite à une plainte émanant de la Société des Banques de provinces, on procède à son arrestation dans des conditions d’une légalité douteuse. Son procès a lieu le 17 décembre 1923. Il est condamné à un an de prison avec sursis, 10 000 francs d’amende et cinq ans de privation d’exercice de ses droits civils. Le gouvernement de l’époque décide de mettre un terme à la carrière politique de l’entreprenant Galmot en soutenant un certain Eugène Lautier pour les législatives de 1924. Le jour du scrutin, tout est mis en branle, y compris la fraude pour permettre l’élection de Lautier, laquelle doit avoir lieu le 11 Mai 1924. L’objectif étant d’éliminer toute influence de Jean Galmot dans le pays. Cependant, les partisans de Jean Galmot n’abandonnent pas le combat et se préparent pour le renouvellement de 1928. Mais une fois de plus, la fraude aidant, Lautier est de nouveau réélu. Ces résultats inadmissibles provoquent des troubles à la suite desquels Eugène Gober sera contraint de démissionner de ses fonctions de maire de la ville de Cayenne et de président du conseil général. Il prendra la fuite à destination de l’Afrique et l’on ne le verra plus jamais en Guyane. Quant à Jean Galmot, il meurt empoisonné. Au moment de l’autopsie, on constate que son cœur a disparu, sans doute pour faire croire aux sortilèges guyanais...
L’histoire de Jean Galmot aux quatre coins du monde
CLICANOO.COM | Publié le 1er janvier 2005
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Blaise Cendrars, Œuvres complètes, T. I : Poésies complètes. T. II : L’Or, suivi de Rhum et de L’Argent. T. III : Hollywood, la Mecque du cinéma, suivi de L’ABC du cinéma et de Une nuit dans la forêt. Textes présentés et annotés par Claude Leroy. Denoël, 2001, 432 pages, 25 € ; 358 pages, 22 € ; 234 pages, 20 €
Il faut au moins signaler cette réédition, car les notes sont d’une grande richesse. Blaise Cendrars (dont le pseudonyme évoque l’art de transformer les cendres en braise), baroudeur des lointains horizons dès sa précoce adolescence, apprit plus tard à écrire de la main gauche, ayant perdu son bras droit durant la Grande Guerre, où il s’engagea comme volontaire dans la Légion étrangère. On nous offre ici, bien sûr, ses deux splendides poèmes de jeunesse : Les Pâques à New York, que suivit La Prose du Transsibérien et La Petite Jeanne de France ; ensuite L’Or, qui retrace l’épopée de Johan A. Suter à la poursuite du précieux métal jaune, en 1834 ; et Rhum, où il nous conte la vie d’un autre aventurier, Jean Galmot, député de la Guyane, chercheur d’or, trappeur, marchand de rhum et de bois rose, avant d’être peut-être empoisonné. Cendrars, fasciné aussi par le cinéma (il joua dans la scène du réveil des morts du J’accuse d’Abel Gance), fut envoyé par Pierre Lazareff à Hollywood, dont il montra l’envers du décor, « un lieu placé sous les auspices du Dante de L’Enfer, gardé par un portier qui aboie tel un chien à trois têtes ». On attend avec impatience les chefs-d’œuvre inclassables de ce vivant magnifique : Confessions de Dan Yack, Moravagine, Bourlinguer, tout en relisant le poème du New York de sa jeunesse avant 1914, où il marche par les rues noires en évoquant les foules misérables des émigrants, les baraques où s’entassent les Juifs, les humbles femmes du Golgotha qui se cachent dans les bouges parmi les prostituées. Il prie, il voit dans son cœur la beauté de cette Face dans la torture : « Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire/Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs. » C’était avant le 11 septembre 2001.
http://www.cairn.info/revue-etudes-2002-4-page-563.htm
Jean Mambrino
Jean Galmot, aventurier
DVD ~ Christophe Malavoy
Acteurs : Christophe Malavoy, Roger Hanin, Desiree Nosbusch
Réalisateurs : Alain Maline
Format : PAL
Date de sortie du DVD : 1er octobre 2007