Des maquis de la Résistance au camp de concentration de Ravensbrück, la nièce du Général s'illustre par son courage et sa volonté - acharnée - à rester debout. Tout au
long de sa vie, elle déploie une immense énergie pour faire valoir le droit des plus démunis à la dignité humaine.
Elle a le militantisme discret. Sa notoriété, elle la place au service des causes qu'elle défend. Sans plus. Elle n'a rien à prouver. Ni à elle-même ni aux autres. Aucune raison de se mettre en vedette. Le tapage médiatique autour de sa personne, très peu pour elle : " Seule l'action importe, pas la personne ", martèle-t-elle inlassablement.
Rien ne semble prédestiner la fillette aux soubresauts de l'Histoire. Les fées se sont penchées sur le berceau de celle qui, le 25 octobre 1920, choisit un village cévenole, Saint-Jean-de-Valériscle, pour poser son premier regard sur le monde. Son père, Xavier de Gaulle, inspecte les houilles de la Grande-Combe et coule auprès de Germaine Gourdon, une châtelaine qu'il a épousée le 29 septembre 1919 à Chemillé (Maine-et-Loire), l'existence ouatée de ceux qui, revenus de la guerre, réapprennent à aimer la vie. De l'aveu méme de Geneviève : " Il y avait entre eux un rayonnement, une visible entente charnelle. [...] Ils se sont beaucoup aimés. "
Au terme de deux années dans le Gard, les de Gaulle partent pour la Sarre, où Xavier est appelé à diriger les mines concédées à la France par la Société des Nations. On est loin de la vallée paisible et laborieuse des Cévennes : la population allemande admet difficilement la présence française qui rend sa défaite plus humiliante encore. Geneviève n'est pas en âge de percevoir cette hostilité larvée. Outre les escapades dominicales dans une Ford cabriolet qui fait sensation dans la grise cité de Landsweiler, tout ce qu'elle se rappelle, c'est le bonheur d'une maisonnée qui s'enrichit de deux innocences : celle de Jacqueline (1921) et celle de Roger (1923). Xavier ne sort plus qu'armé ? Aucun souvenir. Les tensions politiques, elle a toute la vie pour s'en inquiéter. Par fortune, elle n'en retient rien. Et cela tombe d'autant mieux que le péril ne survient jamais là où on le redoute. En 1925, tout chavire. Germaine est en passe de donner la vie. Mais l'enfant qu'elle porte décède in utero et, atteinte d'une septicémie, elle le rejoint dans la mort. Cataclysme. Xavier est désorienté : " Fou de douleur, [il] entre dans la salle d'opération. Germaine gît là, toute blanche, encore enveloppée dans les champs opératoires. Il la prend dans ses bras, la ramène à la maison. " Geneviève n'en est pas moins déboussolée : " [Ma mère] était dans sa chambre, dans son lit, comme je l'avais vue, parce qu'elle était malade souvent à la fin de sa vie. Et, malheureusement, on a eu la mauvaise idée de me la faire embrasser. On m'a dit : "Embrasse ta petite maman pour la dernière fois." Et tout à coup, ce n'était plus maman. C'était quelque chose de froid qui n'avait plus de tendresse, avec lequel je ne pouvais plus communiquer. " Juchée sur ses quatre ans et demi, elle étouffe (déjà !) son désarroi pour mieux panser celui de son " pauvre papa " : " Il m'emmenait [...] dans la forêt. Et je marchais derrière lui, il marchait sans s'occuper de moi. J'étais derrière comme un petit chien. Mais je ne voulais pas le quitter. Je me disais que, toute petite que j'étais, j'étais quand même nécessaire ", précise-t-elle. Claquemuré dans son chagrin, Xavier de Gaulle ne parvient pas à surmonter ce coup du sort. A table, il continue de disposer une chaise à la place de son épouse et y installe une photographie de la défunte. Dans ce huis clos morbide, la gamine endosse le double rôle de consolatrice pour son père et de " petite maman " pour ses cadets. Attitude qui porte la biographe Frédérique Neau-Dufour à commenter : " Avant même l'expérience des camps, [elle] connaît la douleur qui accompagne la perte d'un être cher, puisqu'elle mesure cette douleur à l'aune de l'expérience vécue. " Xavier finit néanmoins par refaire surface et, " poussé par les siens ", il convole le 22 décembre 1930 avec... une cousine de Germaine, Armelle Chevalier-Chantepie. " Tout à coup, cela a été très dur, parce que la petite fille qui pensait être indispensable à son papa était remplacée. Pas de la même manière mais... Naturellement, je me suis dit qu'il ne fallait pas qu'on sache que cela me faisait de la peine, parce que je sentais que mon papa avait besoin de vivre un petit peu heureux, quand même. Donc personne n'a jamais su. Les enfants portent ces choses-là en eux... ", confiera Geneviève, bien plus tard. Il n'empêche. Roger n'en est point dupe. Et c'est bien de ce remariage qu'il date l'entrée de son aînée en résistance. Leurs études primaires terminées, diverses institutions lorraines et alsaciennes éloignent les orphelines du foyer paternel. Ce qui, dans un accès d'amertume contenue, conduit Geneviève à écourter : " J'ai compris auprès [d'Armelle] à quel point c'était important, une maman ! " En pension, les deux soeurs se serrent les coudes. " Jumelles de coeur ", elles n'en sont pas moins différentes. Jacqueline se révèle aussi insouciante et coquette que Geneviève se montre studieuse et volontaire. La force du lien qui les unit les préserve cependant de toute incompréhension. Soeurs, elles le sont, solidaires, elles se sont jurées de le rester. A la vie, à la mort. En l'occurrence, ce sera le cas...
Le 11 octobre 1938, Jacqueline succombe à une typhoïde mal diagnostiquée. Geneviève est anéantie : " Je m'étais toujours demandé pourquoi Jacqueline était morte et pas moi. " Longtemps, en effet, elle traînera la culpabilité d'avoir survécu à sa cadette. Elle n'est pas au bout de ses peines. Elle se construira dans une perpétuelle résistance et l'Histoire lui en fournira les funestes arguments. Car, enfin, chez les de Gaulle, on ne se réveille pas résistant un matin de 1940. Xavier, qui n'a eu de cesse d'inculquer à ses enfants " le respect de l'autre et l'amour de son pays ", ne la prie-t-il pas, dès 1934, de se pencher sur ce Mein Kampf qu'Hitler a publié outre-Rhin ? Tout y est : l'angoisse du présent et le sombre augure de l'avenir. Comment les puissances occidentales peuvent-elles continuer à se voiler la face ? Chavirée par cette lecture (" On m'avait appris que chaque être humain avait une valeur, quelles que soient son appartenance, sa situation et, dans ce livre, j'apprenais que si on n'appartenait pas au peuple germanique, à la race aryenne, on n'était rien... "), Elle comprendra d'autant mieux l'indignation des siens devant la signature des accords de Munich et la montée croissante du péril nazi. " A ce moment-là, nous étions peu nombreux à partager ce point de vue... ", insistera-t-elle. Inévitablement, la guerre éclate. Officier de réserve, Xavier est mobilisé. Tandis qu'il rejoint le camp militaire de Coëtquidan, à son initiative, les siens se replient en Bretagne. Geneviève, qui caresse l'ambition d'intégrer l'Ecole des chartes, choisit ainsi de poursuivre des études d'histoire à la faculté de Rennes.
De semaine en semaine, les troupes du Reich gagnent du terrain. Le 17 juin 1940, le maréchal Pétain ordonne aux troupes françaises de " cesser le combat ". Les de Gaulle assimilent cette reddition à une forfaiture. Comme son oncle Charles, Geneviève n'admet pas la défaite : " Accepter cela était insupportable pour moi. Je me sentais ébranlée comme par un fer rouge. Ma décision de "résister" quoi qu'il arrive, je l'ai prise, je crois, en entendant Pétain parler à la radio ! " Son engagement pour la libération du pays intervient donc " avant même de savoir que de Gaulle [est] à Londres ".
La part que Geneviève prend dans l'action clandestine est " de plus en plus marquée " : des petits gestes " symboliques " de 1940 (" Je me souviens de la première chose que j'ai faite, c'est d'arracher un petit drapeau qui était sur un pont à Rennes. [...] Cela m'énervait de voir cette croix gammée, là , chaque fois que j'empruntais ce pont. Eh bien, un jour j'ai décidé de l'arracher ! "), à une entrée dans le réseau Musée de l'homme (" une institution que l'on aurait dit inventée pour nier ou combattre le nazisme ") où elle s'investit dans des missions éminemment périlleuses : fabrication de faux papiers, filière de passage vers l'Espagne, collecte de renseignements et acheminement de documents secrets, expérience du maquis. Jamais elle ne doutera de la légitimité de son combat et la somme des lâchetés individuelles ne peut que la conforter dans son engagement. Le 16 juillet 1942, elle assiste à un dîner chez sa tante Madeleine qui réunit des " gens comme il faut ". Invitée elle aussi, une infirmière de la Croix-Rouge se fait attendre... Elle finit par arriver et, meurtrie, elle raconte la rafle du Vel' d'Hiv' à laquelle elle vient d'assister. Un couple de cathos bon teint l'interrompt : " Oui, c'est triste mais ce sont des juifs... " Geneviève ne peut oublier l'horreur de ce consentement propret. Et, quarante ans après, de condamner sans relâche : " Entre le SS qui pousse l'enfant vers la chambre à gaz et la femme qui tient de tels propos, il y a une question de degrés mais c'est le même chemin ! "
En 1943, au terme d'une mission sur les hauteurs d'Annecy, l'Indomptable saute dans un train en partance pour Paris. Elle se sait repérée. Dans un éclair de génie, elle tend à un contrôleur sa véritable carte d'identité et laisse ses faux papiers sur son siège. Tandis qu'une voisine s'apprête à lui signaler cet oubli, son époux lui assène un coup de pied en plein tibia ! C'est à cette scène de violence conjugale que Geneviève doit peut-être la survie. Après un interrogatoire surréaliste au poste de police, les Allemands la laissent filer. Sans se démonter, elle rétorque : " J'avais une place assise. [...] Donnez-moi un soldat pour m'accompagner afin que je puisse la retrouver ! " Et, devant des passagers médusés, un nazi d'ouvrir de son pas botté les couloirs du train à Melle de Gaulle : " Platz ! " Elle en est quitte pour, sotto voce, expliquer aux plus sceptiques : " C'est parce que je suis la nièce du général de Gaulle ! "
Le 20 juillet 1943, à Paris, dans la " librairie-boîte aux lettres " du 68 rue Bonaparte, elle jette de la même façon sa véritable identité au visage de l'infâme Bonny - " premier policier de France " dans l'affaire Stavisky - qui dégote derrière un rayonnage une serviette compromettante que Geneviève a dissimulée. Une traction avant noire la conduit vers un hôtel particulier de la rue Lauriston pour un passage à tabac en règle. La captive est ensuite transférée à la prison de Fresnes et, le 19 février 1944, après six mois d'incarcération, elle est acheminée vers le camp de Royallieu, dans la forêt de Compiègne, antichambre de la déportation.
Le 31 janvier 1944, gare de l'Est, s'ébranle le terrifiant cortège des femmes françaises que l'on a poussées dans des wagons à bestiaux bondés : le fameux " convoi des 27 000 ". Sitôt arrivée à Ravensbrück, chacune d'elles endosse un matricule commençant par ce nombre : Geneviève n'est plus que le numéro 27372. Dans cette " petite Sibérie mecklembourgeoise ", elle assiste, impuissante, à " la destruction progressive de ce qui constitue un être humain : sa dignité ". Il ne lui faudra pas moins de cinquante-quatre ans pour livrer un témoignage vibrant de cette descente aux enfers dans La Traversée de la nuit : " Nous sommes des Stàcke, c'est- à -dire des morceaux. N'importe quelle surveillante et même les policières du camp [...] peuvent impunément nous injurier, nous frapper, nous piétiner à terre, nous tuer, ça ne sera jamais qu'une vermine de moins ! J'ai vu, j'ai subi cet écrasement... " Au fin fond de l'horreur, Geneviève conserve pourtant sa " capacité à [s'] émerveiller pour rester [elle-même] ". Les merveilles de Ravensbrück? Le beau ciel de la Baltique qu'on " ne [peut] pas [lui] enlever ", les trésors d'humanité d'une déportée affamée qui trouve moyen d'offrir sa ration à une autre ou cette érudite qui déclame du Valéry pour signifier à ses camarades de Block que la beauté n'est pas encore tout à fait morte. Libérée le 20 avril 1945, elle se réfugie en Suisse auprès de son père qui a été nommé consul général de France. Elle reprend des forces, mais c'est l'oncle Charles qui, à Paris, recueillera chaque soir les confidences que l'amour et la pudeur filiale ont refusées à Xavier. Le président du Conseil est bouleversé : " Ton récit m'a laminé l'âme ! "
Au lendemain de la Libération, le " petit de Gaulle " entend savourer avec Bernard Anthonioz, un résistant savoyard qu'elle épousera en 1946, " le plein de bonheur " d'une vie de famille. Loin de se détourner de ses engagements, elle participe à la création (15 août 1945) et au fonctionnement de l'Association des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR). En 1958, lorsque le général de Gaulle revient aux commandes de l'Etat, André Malraux propose au couple Anthonioz de le rejoindre au ministère de la Culture... aux dorures duquel Geneviève renonce pour suivre le père Joseph Wresinski sur les sentiers fangeux de Noisy-le-Grand. Là, parquées dans un bidonville, deux cent soixante familles attendent un logement. Geneviève de Gaulle Anthonioz reprend son bâton de pèlerin pour lancer une croisade contre l'inacceptable. Le point d'orgue de son action est, en 1998, l'adoption de la loi de lutte contre les exclusions, qui ne la satisfait qu'à demi. " Son combat contre la pauvreté et la misère est un combat d'ordre éthique inspiré de son expérience des camps. Elle refuse que des êtres humains soient privés de leurs droits et bafoués dans leur dignité du fait de la misère, comme les déportés l'avaient été par le système concentrationnaire ", commente Simone Veil. Le 14 février 2002, s'éteint celle qui, en chaque déshérité, s'est efforcée de reconnaître Dieu. Servir les derniers pour mériter de vivre. La devise que ses ancêtres vendéens ont apposée à leur blason ne dit rien d'autre.
Par Pascal Marchetti-Leca
1920
Naît le 25 octobre à Saint-Jean-de-Valériscle.
1940
S'engage dans la Résistance.
1944
Déportée à Ravensbrück en janvier.
1964
Accède à la présidence d'ATD (Aide à toute détresse).
1998
Adoption de sa loi contre l'exclusion.
2002
Décède le 14 février.
Fils de Henri de Gaulle et de Jeanne Maillot, Xavier voit le jour le 9 novembre 1887 à Lille. S'il acquiert les manières propres aux enfants de son milieu, ses parents, sourcilleux en matière d'éducation, radicalisent encore leurs exigences vis - à -vis de lui : avec Marie-Agnès, sa soeur aînée, il doit servir d'exemple aux cadets, Charles, Jacques et Pierre. Âme sensible, Xavier ne s'en sort pas trop mal. Au terme d'une brillante scolarité, il est reçu à l'Ecole supérieure des mines et commence, en 1909, une carrière prometteuse que la conscription et la guerre interrompent pendant six ans. L'ingénieur civil verse alors capitaine d'artillerie. Jusqu'au jour ou, déstabilisé par un obus, son cheval lui écrase une jambe. Cet accident lui vaudra une claudication définitive. De ce père - que le remariage de 1930 lui a quelque peu confisqué - Geneviève conserve un souvenir ébloui. Ami des arts et des lettres, il a accompagné ses pas autant qu'elle s'est efforcée d'alléger ses peines. Xavier s'éteint le 9 février 1955. Le Général sera là pour soutenir sa nièce.
Yvonne de Gaulle tente, à deux reprises, de caser sa nièce Geneviève. Mal lui en prend. Au Salon d'automne de 1945, elle lui présente en Alain Savary - compagnon de la Libération et futur ministre socialiste - un mari idéal. Aucun écho. Elle revient donc à la charge pour, cette fois, plaider la cause de l'historien Jean-Baptiste Duroselle. La réponse ne se fait pas attendre : " On n'épouse pas un homme qui a les mains moites ! " Le message est clair : la jeune femme n'est pas de celles à qui on dicte un choix qui engage... Geneviève jette alors son dévolu sur Bernard Anthonioz, un éditeur d'art proche d'Aragon, Braque et Malraux qu'elle a rencontré à Genève. Faisant fi des conventions sociales, elle le demande en mariage sur le pont du Mont-Blanc, pendant l'hiver 1945-1946. L'union civile est célébrée le 28 mai 1946 à Bossey, berceau savoyard des Anthonioz. La bénédiction nuptiale leur est donnée le lendemain en l'église Notre-Dame à Genève par le futur cardinal Journet, ami de Paul VI. De cette union naissent Michel (1947), François-Marie (1949), Isabelle (1950)et Philippe (1953). Toute à son bonheur d'épouse et de mère, Geneviève de souligner : " La maternité, pour nous, c'était l'antidote de ce que nous avions vécu en déportation, l'espoir de pouvoir vivre quelque chose de nouveau, une espérance ! "
La clarté de la conscience politique et le devoir de résistance constituent une tradition dans la famille de Gaulle. Tradition que " la dame chevalier " résume ainsi : " Dans un milieu en majorité antidreyfusard, mon grand-père a été dreyfusard. Dans un milieu en majorité munichois, mes oncles et mon père ont été antimunichois. " Et comme, chez elle, on ne badine pas avec le patriotisme, aux heures sombres, " tous ceux qui avaient l'âge de se battre ou de porter des armes se sont engagés dans les Forces françaises libres ou ont été des résistants ". En avril 1943, Marie-Agnès, la soeur du Général, et son époux Alfred Cailliau sont ainsi arrêtés par la Gestapo. Elle est emprisonnée à Godesberg, en Allemagne, et son conjoint déporté à Buchenwald. Et, bien que leur fils Charles soit tombé devant l'ennemi le 19 mai 1940, les trois autres - Michel, Henri et Pierre - continuent d'oeuvrer pour la libération du pays. Les quatre fils de Jacques entrent également dans la clandestinité. Xavier, pour sa part, est interné à Nuremberg. Et Pierre, le benjamin du clan de Gaulle, ne manque pas d'être arrêté lui aussi... ce qui n'empêche pas son épouse Madeleine de poursuivre ses activités de résistante tout au long de l'Occupation. Philippe, le propre fils de l'Insoumis, intègre incontinent les Forces navales françaises libres. Roger, fils de Xavier, rejoint Londres ou son oncle l'accueille par l'évidence d'un " Ah, te voilà ! " Quant à sa soeur Geneviève...
C'est chez son amie Marthe de Brancion que Geneviève de Gaulle Anthonioz rencontre, en 1958, le père Joseph Wresinski que ses détracteurs ont tôt fait de baptiser " curé de la racaille ". Ancien militant de la Jeunesse ouvrière chrétienne, ce dernier vit, à cette date, dans le bidonville de Noisy-le-Grand construit (pour ne pas durer) à l'initiative de l'abbé Pierre, à la suite du terrible hiver 1954. Le père Wresinski l'invite à constater par elle-même les conditions dans lesquelles vivent des dizaines de déshérités, qui s'entassent dans des baraquements de fortune. Geneviève de Gaulle Anthonioz s'exécute. Seule, elle y tient. Choc : " Les visages de ces hommes et de ces femmes de Noisy me rappelaient ceux que j'avais vus autour de moi en déportation. Il n'y avait pas de barbelés, pas de femmes obligées de laper par terre, comme des chiennes, la soupe qui s'était renversée... Mais, face à une telle détresse, un tel désespoir, je retrouvais ce qui m'avait bouleversé là -bas, ce que je ne pouvais pas supporter par-dessus tout, cette chose bien pire que la mort, la destruction de ce qu'il y a de plus grand en nous : l'âme humaine... " Plus aucun doute : elle soutiendra cet homme de foi dévoué à " Notre-Dame de ceux qui n'ont rien ". " Ce siècle a connu deux totalitarismes : le nazisme et le communisme.Un troisième est en train de s'installer, celui de l'argent ", claironne-t-elle. Le 10 juin 1964, elle accepte la présidence d'ATD (Aide à toute détresse), une association fondée par le père Wresinsky - devenue ATD-Quart-Monde - et ne cesse d'interpeller les pouvoirs publics, de hanter les ministères pour, loin de toute démarche caritative, impulser un véritable " projet de civilisation ". Elle vit la mort du père Joseph (14 février 1988) comme le renouvellement d'une promesse : " Maintenant, je sais que je dois aller beaucoup plus loin dans mon engagement contre l'injustice et la misère. C'est aussi évident que le 18 juin 1940. Quand la porte s'ouvre, je me relève comme un nouveau chevalier qu'on vient d'armer ! " Elle lui succède donc au Conseil économique et social ou elle va déployer une immense énergie pour rendre les plus démunis à leur dignité et les armer de parole. Le 9 juillet 1998, la loi contre les exclusions, si chère au père Wresinski, est adoptée. " Une autre aube apparaît, elle est encore bien grise ", soupire la nièce préférée du Général.
Le 11 mai 1987, pour la première fois en France, un criminel nazi comparaît devant une juridiction civile. Extradé de Bolivie ou il a vécu de 1951 à 1983, l'ancien officier de la Gestapo, Klaus Barbie, doit répondre des crimes imprescriptibles qu'il a perpétrés à Lyon, de 1942 à 1944 : la rafle du 9 février 1943, la déportation des quarante-quatre enfants juifs du foyer d'Izieu et de leurs accompagnateurs (6 avril 1944), l'organisation de l'un des derniers convois pour Auschwitz (11 août 1944). Au mépris de tout scrupule, le Hauptsturmfûrher (capitaine) du Reich se dérobe en arguant... sa citoyenneté bolivienne ! Mais il est contraint d'assister à l'audition des victimes et, un mois plus tard, d'entendre des témoins " d'intérêt général " : Marie-Claude Vaillant-Couturier, vice-présidente communiste de l'Assemblée nationale, et l'écrivain Pierre Durand, tous deux anciens déportés, Jacques Chaban-Delmas, résistant de la première heure, le sociologue Léon Poliakov et, bien sur, Geneviève de Gaulle Anthonioz sont de ceux-là. Tous sont convaincus du danger de l'oubli. " On a besoin [...] de connaître ses racines pour éviter les mêmes erreurs et mieux comprendre ce qui nous entraîne en avant [...]. On a le devoir de témoigner ", écourte Geneviève. Même si cela lui en coûte, le 9 juin 1987, " petit soldat parmi les petits soldats ", elle pénètre dans la salle des assises de Lyon. Son passé de déportée la rattrape et les souvenirs du camp qu'elle égrène avec une dignité sans défaut refont surface. Trop sans doute. Puisqu'à l'issue de sa déposition, elle faiblit et, si elle donne le change aux journalistes, meurtrie dans sa chair, elle ne tarde pas à s'écrouler, foudroyée par un infarctus. " L'angoisse de ma mission a dépassé mes forces ", concédera-t-elle. Une angoisse que, le 4 juillet 1987, l'annonce du verdict achève de dissiper. Aucune circonstance atténuante pour l'ancien SS qui est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Des croix, Geneviève de Gaulle Anthonioz en a porté quelques-unes. Sans faiblesse ni apitoiement. Loin de l'accabler, le cordon de celle que, le 13 juillet 1997, le président Jacques Chirac lui passe autour du cou rend un hommage exceptionnel à la " grande d'âme " qui a toujours su dire non. Jamais, depuis la création de l'ordre de la Légion d'honneur, en 1802, la Grand-Croix n'a été décernée à une femme. Elle consacre, en l'occurrence, le parcours d'un " être d'exception " qui a mené une lutte infatigable " contre l'humiliation et la misère ". La récipiendaire signifie toutefois à la présidence de la République qu'elle sacrifiera à la tradition d'une réception officielle (16 février 1998) à la condition expresse de pouvoir inviter ses " trois familles " sous les lambris élyséens : celle que la naissance lui a donnée, celle que Ravensbrück a soudée, celle que Noisy-le-Grand lui a révélée.
- Geneviève de Gaulle Anthonioz, par F. Neau-Dufour (Cerf histoire, 2005).
- Le Secret de l'espérance, par Geneviève de Gaulle Anthonioz (Fayard-Quart Monde, 2001).
- La Traversée de la nuit, par Geneviève de Gaulle Anthonioz (Seuil, 1998).
Geneviève de Gaulle : Grande d'âme
01/03/2008 - Historia
http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=20898
Itinéraire : Geneviève de Gaulle-Anthonioz
http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-32803479.html
Madeleine Riffaud, lieutenant F.T.P.
http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-35111995.html
Germaine Tillion par elle-même
http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-31828879.html
Marie-Madeleine Fourcade, héroïne de la Résistance
http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-27768436.html
Cécile Rol-Tanguy, une combattante de la liberté
http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-32525140.html
Berty Albrecht, Compagnon de la Libération ...
http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-32284019.html
Survivre à Ravensbrück : Témoignage de Jacqueline Péry d'Alincourt
http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-32346129.html