Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

Sous la férule de Fouché, les différents services de la police se modernisent et se professionnalisent. Ainsi apparaît un pouvoir ignoré de l'Ancien Régime, d'autant plus redouté qu'il est efficace. C'en est fini des libertés publiques.

 

C'est sous Napoléon que serait née la police moderne, celle des régimes totalitaires du XXe siècle. N'exagérons pas. Fouché n'est ni Himmler ni Beria. Il n'eut jamais à sa disposition une force comparable aux SS d'Himmler ou au NKVD de Beria, véritables pouvoirs dans l'Etat. Il ne commanda qu'à une gendarmerie plutôt débonnaire dont les effectifs furent constamment amoindris par les prélèvements opérés pour renforcer les armées. Et encore Fouché dut-il partager son autorité avec le ministre de la Guerre et celui de la Justice. Pas de camps de concentration relevant de Fouché : ni l'Auschwitz d'Himmler ni le goulag de Beria, seulement quelques rafles de vagabonds qui seront envoyés travailler sur les routes du Grand Empire.

 

Pourtant, avec Fouché, ministre de la Police générale de Napoléon, naît un pouvoir redouté, ignoré de l'Ancien Régime. Le chevalier du guet avait été vite moqué et les lieutenants généraux ont rarement fait peur. Tout change sous Fouché : on parle désormais de la police en baissant la voix. L'Empire tombé, la fascination reste. Balzac qui a fait de Fouché le deus ex machina d’Une ténébreuse affaire, écrit du tout-puissant ministre : « Il se ménageait sur les personnes un pouvoir supérieur à celui de Bonaparte. »

 

Au-delà de Fouché, c'est la police que l'on découvre. Vrais ou faux, les Mémoires de policiers pullulent : Fouché, Desmarest, Réal, Vidocq... La police inspire les polygraphes : le Dictionnaire de police de Léopold (1814), la Biographie des lieutenants généraux, ministres, préfets de la police en France... par Saint-Edme (1829), De la police de Paris signé Claveau (1831) et surtout l' Histoire de la police d'Horace Raisson. Au Contenson de Balzac, le policier de Splendeurs et Misères des courtisanes, répond Jackal, le limier inventé par Dumas dans Les Mohicans de Paris qui sera suivi du Javert des Misérables. Dans Les Comédiens sans le savoir de Balzac, un personnage évoque les séides de Fouché : « On a beau vanter la pêche et la chasse, traquer l'homme dans Paris est une partie bien plus intéressante. » Mais derrière le mythe, que représente en réalité la police de Napoléon ?

 

A la tête de la police : Fouché, un ancien oratorien, élu par Nantes à la Convention où il prend rang très vite parmi les extrémistes, devenant régicide, déchristianisateur dans la Nièvre, mitrailleur à Lyon. Il finit même par exaspérer Robespierre qui veut sa tête. La réputation de Fouché date de là : il aurait été l'artisan le plus efficace du 9 Thermidor. Fouché échappe pourtant difficilement à la réaction qui emporte les terroristes (Carrier, Fouquier-Tinville) après la chute de Robespierre. Il est remis en selle par Barras qui lui fait obtenir, en juillet 1799, le portefeuille de ministre de la Police générale, poste créé le 2 janvier 1796 et qui a déjà eu neuf titulaires. Sa création vise à soulager le ministre de l'Intérieur.

 

Toute sa vie Fouché rêvera de diplomatie, mais se résignera à n'être que policier. C'est après le coup d'Etat de Brumaire, au cours duquel il trahit Barras, qu'il va donner sa pleine mesure.

 

Le ministère de la Police générale, établi quai Voltaire, comprend à l'origine une division dite de la police de sûreté et de surveillance, c'est-à-dire la police secrète, et une autre consacrée à la police administrative et aux émigrés. L'Almanach national, qui est l'équivalent de notre Bottin administratif, reste très succinct sur le ministère.

 

Le ministre peut compter à Paris sur la préfecture de police créée par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800). A sa tête un préfet, Louis Nicolas Dubois. On compte huit divisions pour les bureaux. La première division a en charge la haute police confiée à Bertrand, un ancien imprimeur de Compiègne. L'homme est terrifiant car énorme, borgne et boiteux. Charles Nodier, interrogé par lui pour avoir écrit une satire contre Napoléon, dit que sa seule présence suffit à faire parler les prévenus les plus endurcis. A défaut, Bertrand emploie la torture, écrasant les doigts des suspects avec un chien de fusil ou entre deux planches. Rappelons que la torture a été abolie par Louis XVI et qu'elle ne fut jamais utilisée officiellement par le tribunal révolutionnaire. Mais Bertrand n'en a cure. Il peut au demeurant se retrancher derrière Napoléon qui écrit à Soult le 13 février 1804 : « Faites parler le pêcheur qui a communiqué avec les Anglais, si vous voyez de l'hésitation, vous pouvez lui faire serrer les pouces dans un chien de fusil. » On prête à Bertrand ce mot : « On ne se trompe ici que lorsqu'on remet en liberté. »

 

De la deuxième division relèvent les crimes et délits. Son chef Henry est surnommé par les malfaiteurs « l'ange malin ». Agé et impotent, il procède par déduction. Son expérience et ses fichiers lui permettent, sans se déplacer, sur un simple rapport, de deviner, à partir des indices, la méthode utilisée et d'identifier le malfaiteur. La police politique fait aussi appel à sa prodigieuse mémoire.

 

Quatre commissaires interrogateurs forment la troisième division. Bertrand vient souvent leur prêter main-forte. A la quatrième division, sont attribués les passeports, et à la cinquième, confiée à Boucheseiche, la censure. Ancien géographe, auteur d'une Description abrégée de la France en 1790, Boucheseiche est à l'origine de l'enfermement de Sade à Charenton.

 

La sixième division s'occupe de la voirie et la septième de l'approvisionnement de Paris, condition essentielle du maintien de l'ordre dans la capitale, comme l'ont montré les événements révolutionnaires. Enfin, Parisot, chef de la huitième division, a mission de veiller sur les prisons. Les affaires sont réparties entre les services par un secrétaire général, le versificateur Piis. Installés rue de Jérusalem, à l'ombre du palais de Justice, les bureaux sont plusieurs fois réorganisés, mais les hommes ne changent pas.

 

Sur le terrain, le rôle essentiel est dévolu aux commissaires de police. Il y en a un par quartier, soit quarante-huit. Leur recrutement est remarquable. Alletz, par exemple, est l'auteur d'un précieux Itinéraire parisien, et Beffara, policier, écrivain et musicologue, réussit à donner la date exacte de la naissance de Molière. Leur champ d'action est considérable, du maintien de l'ordre sur la voie publique à la surveillance du commerce, de l'enregistrement des plaintes à la remise des passeports.

 

Les arrestations sont effectuées par les officiers de paix. Ils sont vingt-quatre à Paris, placés sous les ordres d'un inspecteur général. Les assistants des inspecteurs sont en nombre variable. Une garde municipale formée de plus de 2 000 fantassins et de 180 cavaliers prête main-forte au préfet pour dissiper les éventuels rassemblements, des ouvriers le plus souvent.

 

En province, la gendarmerie est réformée le 29 mars 1800. Elle compte alors 15 869 hommes dont 11 000 à cheval. Elle est commandée par un inspecteur général de la gendarmerie qui relève du ministre de la Police générale pour opérer les arrestations, escorter les voitures officielles et réprimer le vagabondage.

 

Au total, des effectifs réduits. Mais la peur qu'inspire la police tient à d'autres causes. Le ministre comme le préfet font appel à un nombre indéterminé d'auxiliaires d'un genre spécial, appelés pudiquement « personnes interposées » et que le public désigne plus crûment sous le nom de « mouchards ». Combien sont-ils ? La police ne le dit pas, laissant volontairement place à l'exagération qui sert ses desseins. Qui sont-ils ? Des colporteurs, des banquiers de maison de jeu, des filles publiques, des domestiques qui écoutent aux portes, mais aussi des déclassés, des oisifs, des promeneurs. Joséphine elle-même, murmure-t-on, rapporte à Fouché les propos que lui tient Bonaparte sur l'oreiller... La France a l'impression d'être enfermée dans un réseau d'espions qui relatent propos imprudents et actes délictueux. Les fonds secrets sont alimentés par les sommes saisies sur les personnes arrêtées, les redevances versées par les maisons de jeu et la taxe sur le port d'arme. C'est avec ces fonds secrets que l'on paie les mouchards dont l'anonymat est préservé.

 

Dès le Consulat, cette police montre son efficacité en déjouant les complots contre la vie du Premier consul, complots fomentés aussi bien par les jacobins que par les royalistes. Au besoin, elle en invente pour compromettre les conspirateurs imprudents. Ainsi, certains exaltés comme le sculpteur Ceracchi, Arena, frère du député qui s'était opposé à Bonaparte en brumaire, et le peintre Topino-Lebrun, ayant parlé d'abattre Bonaparte pour restaurer la liberté, un agent provocateur les prend-il au mot, et propose de leur distribuer des poignards pour assassiner, à l'Opéra, le Premier consul dans sa loge. Quand les conjurés se présentent, le 10 octobre 1800, ils sont appréhendés en flagrant délit par les policiers. Ils sont jugés et guillotinés. La conspiration dite des poignards n'est en réalité qu'une provocation policière qui permet d'éliminer des opposants.

 

En revanche, la police parisienne est prise de court par l'explosion de la machine infernale de la rue Saint-Nicaise, le 24 décembre 1800. Alors que Bonaparte se rend à l'Opéra, un baril de poudre posé sur une charrette explose au moment de son passage sans atteindre sa voiture.

 

Le complot est attribué par le Premier consul aux jacobins. Mais Fouché, qui a des indicateurs dans leurs rangs, ne peut y croire. L'enquête menée par la préfecture de police est un modèle du genre. On ramasse les restes du cheval attelé à la charrette ainsi que les débris de celle-ci, conformément aux recommandations d'Henry. Une visite chez les marchands de chevaux permet de retrouver les acquéreurs de l'animal et d'en obtenir le signalement. La « topographie chouanne » de Bertrand, son fichier des agents royalistes, permet d'identifier les auteurs de l'attentat : des royalistes. Pendant que l'on ferme les barrières de Paris, commissaires et inspecteurs opèrent une fouille des garnis de la capitale. Saint-Régeant et Carbon sont ainsi arrêtés et guillotinés.

 

Etude des indices, utilisation de fichiers, surveillance des logeurs : la police moderne est née.

 

Pour avoir eu raison contre Bonaparte, Fouché est écarté le 15 septembre 1802 et envoyé dans une retraite dorée au Sénat. Le ministère est supprimé et la police rattachée à la Justice. Lourde erreur. Juges et policiers ont toujours fait mauvais ménage. La police perd toute efficacité sans gagner en considération. On s'en aperçoit lors de la grande conspiration de 1804Cadoudal tente d'assassiner le Premier consul. Elle n'est découverte que par hasard à la faveur d'un banal contrôle de police. Le 10 juillet 1804, le ministère de la Police générale est rétabli au profit de... Fouché.

 

La réorganisation qui suit divise la France en trois arrondissements confiés à des conseillers d'Etat. Réal, qui a dirigé l'enquête de 1804 aboutissant à l'arrestation de Pichegru et de Cadoudal, reçoit le premier arrondissement qui englobe l'Ouest très surveillé à cause des débarquements d'agents royalistes, le Nord et l'Est où sévit une contrebande active. Pelet de la Lozère s'occupe du deuxième arrondissement qui comprend le Midi qu'il connaît bien et où les intrigues royalistes sont également à redouter. Paris forme le troisième arrondissement confié au préfet de police Dubois. Un quatrième arrondissement, qui connaît quelques vicissitudes, est constitué par les départements étrangers, principalement italiens.

 

Une réunion de travail rassemble le mercredi les responsables d'arrondissement. Directeurs généraux et commissaires généraux, préfets et gendarmes doivent leur rendre compte. Tous les jours, le ministre de la Police établit un rapport précis sur la situation de l'Empire que Napoléon lit le matin à son lever. Evénements politiques, état de l'opinion, crimes et délits y sont passés en revue.

 

Cette police pénètre partout. Rien ne lui échappe, ou du moins le fait-elle croire. Certes le « cabinet noir », c'est-à-dire le viol des correspondances, est réservé au directeur général des Postes, Lavalette, mais certains employés renseignent Fouché. Restif de la Bretonne, le fameux auteur des Nuits de Paris, travaille pour lui au service des « lettres interceptées ».

 

Incontestablement le régime napoléonien est un régime policier, si policier qu'il entraîne une guerre des polices. Fouché doit vite compter en effet avec son subordonné, le préfet de police Dubois, qui envisage de le supplanter et essaie de le prendre en défaut dans diverses conspirations, dont la première affaire Malet en 1808. A la préfecture de police, Dubois est lui-même aux prises avec l'inspecteur général Veyrat qui dirige une police parallèle pour le compte de Napoléon. Interviennent aussi Duroc qui assure la sécurité des Tuileries, Savary qui, avant de remplacer Fouché à la tête du ministère, a commandé la gendarmerie d'élite chargée de la protection de Napoléon, et le commandant de la place de Paris qui a sa propre police. L'Empereur est également renseigné par des informateurs comme Mme de Genlis ou Fiévée. C'est sur ces rivalités qu'il compte pour limiter le pouvoir de son trop puissant ministre de la Police générale, qu'il finit par disgracier en juin 1810.

 

L'omnipotence de cette police est en théorie limitée par deux commissions sénatoriales. La première, dite de la liberté individuelle, a pour mission d'empêcher les internements arbitraires et sans jugement ; la seconde doit veiller sur la liberté de la presse. Chaque commission est formée de sept sénateurs.

 

Ce n'est qu'en 1814 que ces commissions découvrent que le régime impérial a bafoué trop souvent le principe de la liberté.

 

Napoléon est sans illusion sur les vertus de sa police et dit que le choix se limite entre la suprématie du pouvoir policier et celle du pouvoir judiciaire. Après la disgrâce de Fouché et celle du préfet Dubois, l'Empereur doit admettre que sa police a perdu une grande partie de son efficacité (elle est surprise en 1812 par le second complot de Malet). Il reconnaît alors qu'une bonne police est avant tout une affaire d'homme. Fouché est irremplaçable.

 

Les Français sous haute surveillance

01/11/2004 - Historia

http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=15676

 

Fusion police-gendarmerie : la revanche de Fouché ?

http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-34245347.html

 

La face cachée de Joseph Fouché

http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-28241438.html

 

Joseph Fouché : une girouette ?

http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-25764330.html

 

Joseph Fouché

http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-26112376.html

 

10 juillet 1804 : Fouché est de retour !

http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-26408583.html

 

Basse politique, haute police : Une approche philosophique et historique

http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-26970293.html

 

 



Joseph Fouché (1759-1820) est l'une des figures les plus énigmatiques de son temps. Elevé chez les Oratoriens, il fut un pilleur d'églises. Conventionnel modéré, il massacra les royalistes de Lyon. Ayant voté la mort de Louis XVI, il fut ministre de Louis XVIII. Napoléon, qui en fit son ministre de la Police, le chassa et le rappela : il le craignait et avait besoin de lui. La postérité n'a longtemps vu en Fouché que l'opportuniste cynique, capable de toutes les infamies et de toutes les trahisons pour assouvir son goût du pouvoir. Il le fut, mais il sut aussi s'opposer habilement à Robespierre comme à Napoléon, et, en quelques occasions décisives, agir en fonction du bon sens et de l'intérêt de son pays. Biographe de Marie-Antoinette et de Balzac, le romancier d'Amok et de La Confusion des sentiments nous donne ici un saisissant portrait de ce personnage, en qui il voit la première incarnation d'un type politique moderne : l'homme de l'ombre, dissimulé, manipulateur, actionnant en coulisses les mécanismes du pouvoir réel.

 

Détails sur le produit

 

Fouché (Poche)

de Stéfan Zweig (Auteur)

Poche: 284 pages

Editeur : LGF - Livre de Poche (16 février 2000)

Collection : Livre de poche

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :