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http://multimedia.fnac.com/multimedia/images_produits/ZoomPE/3/8/3/9782847342383.jpgCes lettres, écrites en captivité par l'homme politique italien exécuté par les Brigades rouges, mettent en lumière toute la complexité de ce drame

Rome, 16 mars 1978. Deux voitures sont prises sous le feu d'un commando. Trois carabiniers et deux policiers perdent la vie, un homme est enlevé. Aldo Moro, l'une des plus grandes figures de la vie publique italienne, président de la Démocratie chrétienne (DC) au pouvoir, vient de tomber entre les mains des Brigades rouges (BR) alors qu'il s'apprêtait à sceller l'alliance proposée par le puissant Parti communiste italien (PCI). Bien que la péninsule vive depuis le début de la décennie à l'heure du plomb des groupes terroristes d'extrême gauche et des attentats de l'extrême droite, la nouvelle fait sensation.

L'enlèvement de Moro provoque la jubilation de nombre de gauchistes. Il jette dans la stupeur les responsables des principaux partis. Moro, quant à lui, commence son calvaire, qui durera cinquante-cinq jours et que l'opinion transalpine vivra avec intensité, au rythme des communiqués de ses geôliers, qui annoncent un procès, proclament la sentence de mort avant d'exiger des échanges de prisonniers. Le 9 mai, son cadavre est retrouvé au centre de la capitale, dans une voiture garée entre le siège de la DC et celui du PCI.

L'affaire Moro continue de nourrir de vives polémiques sur les calculs des brigadistes, les arrière-pensées politiciennes, l'inefficacité des forces de l'ordre ou même d'éventuelles manipulations de différents services secrets. Les Français la connaissent mal, même si le récent film de Marco Bellochio, Buon giorno notte, s'en inspire. Mon sang retombera sur vous, recueil d'une grande partie des très nombreuses lettres écrites par Aldo Moro durant sa captivité, permet de combler cette lacune. Excellemment présentés et annotés, ces textes cinglants, ironiques, dramatiques, qui soulèvent quantité d'interrogations, permettent de reconstituer le cheminement du futur supplicié et dévoilent différents aspects de sa personnalité.

L'homme comprend très vite le sort qui l'attend et il l'affronte avec courage. Le père de famille exprime son amour à sa femme, ses enfants et surtout son petit-fils, Luca, à qui il envoie des lettres bouleversantes. Le catholique explicite son éthique. Le démocrate-chrétien, adepte de la médiation et du compromis, s'obstine à convaincre ses amis de parti, les dirigeants socialistes et communistes, ou encore le pape, que la raison d'État ne saurait bafouer les droits de l'homme et le respect de la vie, à commencer par la sienne. Ses propositions de l'échanger contre des brigadistes enfermés qui seraient envoyés à l'étranger, bien que reprises par sa famille, ses proches, puis les socialistes, sont ignorées par les décideurs.

Emporté par la puissance dramatique qui émane de ces lettres, le lecteur pourrait en conclure que la responsabilité de l'assassinat de Moro incombe aux démocrates-chrétiens et aux communistes, adeptes d'une intransigeance absolue. La réalité se révèle plus complexe. Un Benigno Zaccagnini, secrétaire général de la Démocratie chrétienne et destinataire de nombreuses missives, était partisan de la ligne de la «fermeté flexible», un oxymore typique de la culture politique démocrate-chrétienne. Les ravisseurs n'ont pas donné suite aux gestes d'ouverture ni aux tentatives de prise de contact. En tuant leur otage, les BR, seules responsables de la tragédie, ruinent définitivement le crédit dont elles pouvaient encore jouir dans certains secteurs de l'extrême gauche.

Le sacrifice de Moro représente un tournant pour la démocratie italienne confrontée au terrorisme. Victime de sa logique à la fois folle et froide, Aldo Moro donne une leçon d'humanisme que chacun pourra méditer. A commencer par ceux qui, en France, ont livré des jugements péremptoires sur l'Italie des années 1970 au prétexte de défendre bec et ongles les anciens protagonistes de la lutte armée.

Aldo Moro: la démocratie en otage

Par Marc Lazar (L'Express), publié le 09/05/2005

  • Livre: affaire moro dans l'express, mars-mai 1978

  • Auteur: Aldo Moro

  • Editeur: Tallandier


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