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http://www.livresdeguerre.net/telechar/sujets/1147gi.jpgAntisémite pathologique jusque dans sa retraite espagnole où un journaliste de L’Express l’alla débusquer à l’automne 1978, Louis Darquier, abusivement de Pellepoix, est resté comme l’homme d’une formule : « A Vichy, on n’a gazé que les poux. » Mais cet homme fut aussi l’incarnation d’une remarquable médiocrité au goût de cendre que le fort volume de Carmen Callil rend bien jusque dans son titre original, Bad Faith .

Il existait déjà une belle étude de Laurent Joly sur Darquier de Pellepoix et l’antisémitisme français (Berg, 2002). Mais ici c’est une grande éditrice anglo-saxonne (fondatrice de Virago, puis directrice de Chatto et Windus) qui vient au cœur obscur des passions françaises. L’exceptionnel, et ce qui donne à ce livre toute l’empathie indispensable à une biographie réussie, est qu’elle y vient par fidélité à la mémoire de sa psychanalyste londonienne, Anne Darquier. Celle-ci se suicida en septembre 1970, deux semaines après avoir vu son père qui l’avait abandonnée à l’âge de 3 mois. De lui, sans le nommer, elle avait dit : « Il y a certaines choses qu’on ne pourra jamais pardonner à certaines personnes. »

Rien de plus juste car le parcours de Darquier, ici reconstitué avec minutie, est de bout en bout celui d’un médiocre doublé d’un escroc dans sa vie familiale comme dans sa vie publique. Est-ce à cette représentativité-là que songeait Aragon lorsqu’il fit de Darquier le type même du collaborateur, dont le nom vient scander chaque fin de strophe de sa ballade Les Neiges de Sigmaringen parue en février 1945 : « Quoi la combine n’est plus bonne/ Paul Chack Platon Chiappe Carbone/ Bony le colonel Labonne/ Philippe Henriot plus personne/ Où est Bonnard ma fleur des pois/ Où sont Taittinger Renaitour/ Ô Lagardelle Ô mes amours/ Quand donc reviendront les beaux jours/ Et de Montoire et d’Oradour/ Où est Darquier de Pellepoix » ?

www.histoire.presse.fr/.../article?id=7381

Darquier de Pellepoix

Buchet-Chastel, 2007, 706 p., 25 euros.

Carmen Calil


Darquier de Pellepoix ou la France trahie

trad. de l'angl. par François Jaouën
Carmen Callil



C'est dans le numéro de L'Express du 28 octobre 1978 que j'ai lu pour la première fois le nom de Louis Darquier dit de Pellepoix (1897-1980) comme ceux de ma génération passionnés d'Histoire contemporaine.* Le reporter un peu chasseur de scoops Philippe Ganier-Raymond avait réussi à retrouver la trace de celui qui succéda à Xavier Vallat à la tête du Commissariat général aux questions juives. Condamné à mort par contumace en 1947, sa peine, comme celle de centaines d'ex-nazis français, fut prescrite en 1968. Comment l'avait-il débusqué ? Il était tout simplement inscrit sous son nom dans l'annuaire espagnol ! Réfugié chez Franco avec l'aide d'un de ses frères et l'appui constant d'un réseaux où figurait en bonne place Anatole de Monzie, Darquier avait réussi à refaire une énième fois sa vie chez le dictateur sans rien renier de son action avant et pendant la Seconde guerre mondiale ni aucune demande de pardon** à ses victimes ou à leurs descendants, une constante chez les ex-nazis, petits ou grands, et les collabos qui les servirent avec zèle jusqu'à la chute du régime.


Il faut rappeler le bruit fait par l'entretien publié dans L'Express qui initia une polémique autour de la question "Fallait ou non publier cet interview ?" En prenant le risque d'être attaquée - ce qui se passa effectivement - à la fois par une partie de l'extrême gauche qui reprochait au magazine de dérouler le tapis aux antisémites et par une droite pétainiste bien recasée qui dans l'industrie qui au service de l'Etat, la rédaction de l'hebdo crevait l'abcès et incitait des chercheurs à étudier l'Etat français de Pétain. Pourtant Louis Darquier n'était pas totalement un oublié de tous avant l'article, mais il aurait fallu être très attentif dans les années qui précédèrent les travaux pionniers de Paxton sur l'antisémitisme d'Etat de Vichy pour le repérer comme dans le film Le chagrin et la pitié d'Ophüls, où on voit très nettement un Darquier empressé et obséquieux aller à la rencontre de Heydrich en inspection à Paris pour lui serrer la main. Sa future biographe Carmen Callil elle-même n'associa pas immédiatement l'ex-chef du CGQJ à celle auprès de qui elle suivait une psychanalyse : Anne Darquier, une des meilleures thérapeutes de Grande-Bretagne dans les années 70 et fille du collabo exilé chez Franco. Au fil des séances et contrairement aux règles édictées par Freud, Anne Darquier se laissa aller à parler de son père, ombre pesante qu'elle dut malgré tout supporter durant sa formation universitaire en Angleterre quand elle apprit qui il fut réellement et ce qu'avait été son rôle dans la mise en route de la solution finale de la question juive dans France de Pétain.


Selon un habitant de Cahors qui fut proche des Darquier originaires de cette ville, Il y a des collaborateurs, même célèbres, à qui on trouve des "excuses", même Laval; tandis qu'avec Darquier, il n'y a pas de rai de lumière. Cette citation résume bien la vie et l'action de Louis Darquier. Le père de la brillante analyste que sera Anne fut durant toute sa navrante existence un escroc, un demi-sel, un mythomane, un frappeur de femmes, un menteur hors catégories et un antisémite professionnel déchaîné qui finit même par lasser les nazis en poste à Paris et à Vichy par son incompétence***. Mais alors pourquoi travailler sur ce triste individu pour éditer un pavé de 700 pages ? Parce que Louis Darquier dit de Pellepoix incarna - et incarne encore - la position antirépublicaine et antisémite d'inspiration maurrassienne de ceux qui espérèrent prendre leur revanche dans le sillage de la Révolution nationale de l'Etat de Pétain en trahissant à partir des années 30 tous les acquis de la révolution française (celle de 1789) et la tradition d'accueil des réfugiés des pays européens dirigés par des dictateurs.


Cette biographie au ton enlevé est le fruit d'une enquête remarquablement fouillée qui, à travers l'approche historique, politique mais aussi psychologique de son sujet, aide le lecteur à mieux comprendre ceux qui imposèrent l'inversion officielle de toutes les valeurs de la France entre 1940 et 1944, une inversion qui ne s'est pas installée comme ça en huit semaines pendant l'été de la terrible défaite mais dont il faut chercher les origines dès la fin du XIX siècle au moment de la résurgence d'un antisémitisme "moderne" qui contamina toutes les couches et tous les secteurs de la société française et dont Darquier fut un chantre répugnant mais emblématique.

A lire en complément aux travaux de Paxton, Joly, etc.


RC

* La lecture de l'interview de L'Express incita Bernie Bonvoisin, devenu scénariste et réalisateur, mais qui était alors frontman du groupe de hard rock français Trust à écrire les paroles d'une chanson qui fit également connaître Darquier à un public rock assez politisé, celui des années 1977-1982.

** Sa fille Anne dit un jour de ce père insupportable : Certaines choses et certains individus ne méritent pas le pardon. Le poids fut-il à un moment si lourd qu'Anne une nuit en vint à absorber trop de médicaments qui causèrent une overdose ? C'est possible, même si Carmen Callil ne parle pas d'un suicide volontaire de sa thérapeute.


***
Eparpillé, incompétent, noceur et buveur, Darquier travaillait peu et très mal. Son attitude au CGQJ évita de plus nombreuses arrestations et déportations, contrairement au professionnalisme et au zèle de Bousquet qui apparaît vraiment comme le principal collaborateur français de la politique nazie en France. Le haut fonctionnaire Bousquet fut soutenu jusqu'au bout par le maréchaliste constant que fut François Mitterrand.


Editeur : Buchet/Chastel
Date édition : 2007
Support : livre
Genre : biographie
Période concernée : de 1870 à 1970
Région concernée : Ouest Europe

Proposé par René CLAUDE le jeudi 21 février 2008 à 12h13

Dernière contribution le vendredi 22 février 2008 à 18h19

www.livresdeguerre.net/forum/sujet.php?sujet=1147

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