Document 29/01/2012 - On
appellera « démophobie » toute méthode de contournement ou de rejet de la « parole » du peuple qui procède de l'allergie, de l'appréhension ou de la défiance que ce même peuple suscite, qu'on
l'estime « ignorant », victime de ses affects - suraffecté ou désaffecté. Elle est le propre des gouvernements, chaque fois que confrontés à une contestation ou des revendications « populaires »
qui les dérangent, ils commencent par minimiser cette parole ou la discréditer. Mais elle constitue aussi le point commun aveugle des théoriciens qui fustigent les « dérives » de la démocratie et
se méfient des élections et de leur résultat, quand ils ne lui refusent pas toute légitimité. En interrogeant les présupposés de ces pratiques et de ces théories « démophobes », le présent essai
entreprend de redonner son sens au suffrage « populaire » et d'en rétablir les enjeux.
Marc Crépon est directeur de recherches au CNRS (Archives Husserl) et l'actuel
directeur du département de philosophie de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm. Il est l'auteur de nombreux livres, dont "Vivre avec" aux Éditions Hermann.
- Les courts extraits de livres : 29/01/2012 - Extrait de l'introduction
La réponse des gouvernements, à tout le moins du gouvernement français, aux mouvements de protestation populaire
(grèves, manifestations, pétitions) est chaque fois du même ordre, immanquablement, comme si elle se pliait à un rituel immuable. Elle consiste d'abord à en minimiser le nombre. Les chiffres
avancés par la préfecture de police sont toujours - et dans des proportions variables, mais chaque fois importantes - très en deçà de ceux qu'annoncent les organisateurs (syndicats,
coordinations ou autres) - comme s'il fallait en déjouer la force en en faussant la publicité, conjurer l'impression négative de « discrédit » ou de « désaveu » et, du même coup, l'effet
d'entraînement qui pourraient en résulter. Le nombre fait la puissance des voix - et c'est cette puissance qu'il lui faut (au prix d'un mensonge répété qui a tout d'une farce) faire passer
pour autre qu'elle n'est. De la part des responsables concernés, cela ressemble aux discours complaisants que jadis les conseillers tenaient au prince pour le conforter dans l'idée qu'il se
faisait de sa propre popularité, sous peine de lui déplaire et de tomber en disgrâce. (...)
Elections : de la démophobie
Auteur : Marc Crépon
Date de saisie : 29/01/2012
Genre : Documents Essais d'actualité
Editeur : Hermann, Paris, France
Collection : Le Bel aujourd'hui