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Document archives du 01/07/2006 - A partir des années 1680, Louis XIV met un terme à une longue vie de libertinage afin de s'acheter une conduite. Et ce sont les filles publiques qui font les frais du revirement d'un monarque vieillissant sous l'influence du parti dévot.

La politique royale de répression commence en 1560 avec l'ordonnance d'Henri II décrétant la fermeture des bordels, ou bordeaux, dans toutes les villes de France. La prostitution n'est plus, dès lors, considérée comme un service public empêchant le viol, l'homosexualité et l'adultère. Le laxisme et la tolérance des siècles précédents disparaissent à cause du « mal de Naples », la syphilis, qui progresse, notamment après le retour des soldats des guerres d'Italie, et en raison du moralisme des protestants puis des catholiques, qui prônent un redressement des moeurs. La fermeture des bordels et des étuves, la surveillance des cabarets et des auberges par la police conduit les prostituées à se cacher et à tomber dans la clandestinité et l'illégalité.

Certains établissements existent toujours malgré les interdictions sans cesse renouvelées - en 1619, 1635, 1644, 1667. Pour autant, la plupart des filles sont à la merci des maquereaux et autres ruffians qui pratiquent « l'abattement de nez »« pierreuses » ou « coureuses », sont de pauvres filles venues des campagnes environnantes ou vendues par leur famille, comme en témoigne le cardinal de Retz dans ses Mémoires : « Un peu après que je fus sorti du collège, ce valet de chambre de mon gouverneur trouva chez une misérable épinglière une nièce de 14 ans qui était d'une beauté surprenante. Il l'acheta pour moi 150 pistoles après me l'avoir fait voir. » La misère et les multiples crises du XVIIe siècle sont toujours les grandes pourvoyeuses de la prostitution ; même les femmes mariées se prostituent occasionnellement pour survivre. au rasoir pour mater les rebelles ou les indépendantes. A Paris, pour tromper la police, elles s'habillent comme les autres femmes, opèrent de jour et non de nuit, se mêlant à la foule aux Tuileries, sous les arcades de la place Royale, dans le Marais, près des églises et même des palais royaux. La grande majorité de ces fausses promeneuses, surnommées les

Quelques bordeaux ou « maisons d'honneur » se sont reconstitués clandestinement, maquillant leur commerce sous des activités respectables comme aubergiste, tailleur ou artisan, à l'image du célèbre Champagne, « artiste capillaire »années 1650 qui passait pour un excellent marchand de « pucelles » dans le milieu interlope de la capitale. Les étuves ou les bains mixtes sont toujours, malgré le contrôle policier, des lieux de rendez-vous, la plupart sordides et peu sûrs ; certains, une minorité, sont assez élégants, comme chez Prudhomme, où le prince de Condé a ses habitudes. Pour éviter les rafles policières, dans la rue ou dans ces établissements clandestins, les proxénètes imaginent, bien avant l'invention du téléphone, le système des call girls ; ils ne gardent pas de filles à demeure mais les font venir pour des rendez-vous, en « assignation ». parisien des

A la fin du XVIIe siècle, la police est totalement débordée par toutes ces formes de prostitution, notamment à Paris où La Reynie, lieutenant de police depuis 1667, demande à Louis XIV la réouverture des bordeaux, plus faciles à contrôler. Le roi refuse préférant rester dans une logique d'enfermement, d'abord appliquée aux pauvres et mendiants à partir de 1656, avec la création des hôpitaux généraux, puis étendue aux prostituées en 1684 grâce à trois ordonnances.

La première, datée du 20 avril, crée le délit de prostitution, qui n'existait pas auparavant, et la peine de prison, qui devient avec l'enfermement dans les hôpitaux généraux une peine dégradante, souvent associée à d'autres humiliations comme la flagellation publique à Amiens ou l'immersion dans une cage de fer à Bayonne. Filles publiques et maquerelles sont enfermées dans la maison de force de l'hôpital général de la Salpêtrière, à Paris, « lorsqu'elles y seront conduites par l'ordre de Sa Majesté », c'est-à-dire par lettre de cachet, « ou en vertu des jugements qui seront rendus pour cet effet au Châtelet, par le lieutenant de police ». Ce dernier a désormais un pouvoir discrétionnaire puisqu'il est déclaré « juge en dernier ressort ».

L'enfermement sanctionne les « femmes d'une débauche et prostitution publique et scandaleuse », qui refusent de se plier aux canons de la société par le non-respect de la morale religieuse et de la morale sexuelle. Elles font les frais du revirement d'un Louis XIV vieillissant sous l'influence de l'austère Mme de Maintenon, et qui, à partir de 1682-1683, met un terme à une longue vie d'aventures et de liberté sexuelle pour se rapprocher d'un modèle éthique plus rigoureux. Les prostituées emprisonnées à la Salpêtrière ou dans des maisons de force provinciales subissent une peine de pénitence et de correction par le travail, la discipline et la religion. Elles doivent expier leur crime envers le mariage, la famille et l'ordre public car elles attaquent les bonnes moeurs et la tranquillité publique, en risquant de contaminer la société par l'exemple de leur débauche, et plus prosaïquement par leurs maladies sexuellement transmissibles.

Cette expiation passe par un traitement humiliant qui stigmatise les prostituées dès leur arrestation par les archers de la police. A Paris par exemple, une fois raflées dans la rue ou dans des lieux de débauche, elles sont d'abord enfermées dans la prison Saint-Martin, puis amenées en convoi au tribunal de police où elles sont jugées en grande audience, à plus de cent dans la salle, sous les huées du public. Condamnées à la Force, le plus souvent pour quelques mois, elles doivent écouter la sentence à genoux pendant qu'on leur rase les cheveux avant de les envoyer à la Salpêtrière en charrette découverte sous les insultes et les crachats de la population. Aucune ne fait appel de la décision du Châtelet devant le Parlement de Paris, même si elles en ont théoriquement la possibilité. En réalité, ces procès ne sont qu'un simulacre de jugement car leur sort est décidé avant l'audience par le lieutenant de police.

Une fois arrivées à la maison de force de la Salpêtrière, vaste et lugubre bâtiment carré, elles sont réparties en fonction de la gravité de leur délit : les « filles et femmes publiques » sont au Commun, les « filles débauchées », moins coupables que les premières et pouvant revenir à la vertu, sont à la Correction. La Grande Force est réservée aux prisonnières de marque payant une pension, et la Prison aux détenues par ordre du roi : voleuses marquées par un V ou une fleur de lys et criminelles condamnées à vie.

Les « filles débauchées » prisonnières à la Correction, le sont à la demande de leur famille, grâce à la seconde ordonnance royale de 1684, permettant aux parents pauvres de faire enfermer dans les hôpitaux généraux leurs enfants « libertins, débauchés ou paresseux » pour y être corrigés par le travail.

Au Commun, le règlement est très dur : les filles sont condamnées au pain sec et à l'eau, habillées de tiretaine (étoffe de laine grossière), chaussées de sabots, couchées sur des paillasses avec une seule couverture dans des cellules encombrées, et soumises aux travaux les plus pénibles et les plus longs (cardage et filage de la laine). Si elles résistent ou se rebellent, elles sont fouettées, mises au carcan (attachées à un poteau par un collier de fer) et même parfois enfermées dans la salle des « malaises », sorte de cachot sordide servant aussi de salle de torture. Leur « correction » passe aussi par une rééducation religieuse : elles doivent prier matin et soir pendant un quart d'heure, écouter le catéchisme pendant le travail et les repas, et entendre la messe tous les dimanches et jours de fêtes. Elles restent enfermées le temps voulu par les administrateurs de l'hôpital - de trois mois à un an en moyenne - qui décident ou non de leur libération en fonction de leurs marques de repentir et d'amendement.

Cette logique répressive s'accompagne d'autres ordonnances plus dures encore (mars 1685), interdisant aux prostituées d'approcher les soldats du roi campés près de Versailles ou d'autres casernes provinciales, sous peine de nez et d'oreilles coupés. Elles sont accusées de débaucher les soldats et surtout de leur transmettre la syphilis, donc de les affaiblir. Pour se débarrasser de ces marginales, une autre solution, plus radicale mais plus rare, est la déportation dans les colonies des Antilles ou du Mississippi. Les filles enchaînées, chargées comme de la marchandise sur des galiotes descendant la Seine jusqu'au Havre, avant d'être embarquées de force sur des navires marchands, donnent une assez mauvaise image de la monarchie et de la piètre considération qu'elle porte à ses colonies.

Parallèlement à la répression, le roi soutient des initiatives privées de refuges créés par des prostituées repenties sous l'égide de communautés religieuses, pour aider les filles à changer de vie à travers l'expiation. Le Bon Pasteur est considéré comme un établissement modèle ; fondé en 1686 par une veuve protestante et des courtisanes repenties, il obtient la protection royale en 1688 tout en devenant la Communauté des filles du Bon Pasteur, dirigée par des religieuses. Têtes rasées, sandales de bois aux pieds, vêtues d'une robe de bure grossière et de bas de laine, les 120 filles se lèvent à 5 heures du matin, prient jusqu'à 7 h 30, puis travaillent en silence toute la journée jusqu'à 22 heures. Les seules interruptions sont réservées aux messes, aux lectures pieuses et aux trois examens de conscience quotidiens où elles doivent s'accuser de leurs péchés devant toute la communauté et se repentir. Les dîners sont austères : potage, pain, eau et un peu de viande parfois.

D'autres maisons se créent à Paris à la fin du siècle sur le même modèle, telle la communauté de Saint-Théodore, en 1687, ou le Sauveur, en 1699. Même si ce n'est pas une maison de force, cela y ressemble fortement, comme on le voit avec l'exemple de Sainte-Pélagie, fondée par la troisième ordonnance royale de 1684 au sein de l'hôpital général à la Salpêtrière. A l'origine, cette maison séculière, dirigée par des religieuses, est réservée aux filles de « familles honnêtes » enfermées par lettres de cachet et marquant une volonté de repentance, qu'il ne faut donc pas mélanger aux prostituées. Mais, à partir de 1703, si le nouveau règlement réaffirme que c'est une maison de force de l'hôpital, il introduit aussi de nouvelles pensionnaires, des volontaires « voulant se retirer du désordre » et admises sur preuve sincère de leur conversion.

Les pensionnaires de la Force restent pendant trois mois au contact des volontaires pour profiter de leur bon exemple ; au bout de cette période d'essai, elles retournent en cachot si elles ne sont pas assez repentantes. L'expiation passe à nouveau par un travail en commun dans le même ouvroir, en silence, entrecoupé de prières et d'exercices de piété. En cas de rébellion, elles retournent en cellule.

L'exemple de Sainte-Pélagie montre qu'à la fin du règne du Louis XIV, la politique répressive est moins aveugle ; elle tend à distinguer différents degrés de prostitution (publique ou secrète) et à s'adapter au type de prostituée (professionnelle ou occasionnelle). Cette évolution aboutit à la déclaration royale du 27 juillet 1713, qui tente de mettre un terme aux abus des rafles policières en distinguant deux types de délits et donc deux traitements différents : le premier, celui de « débauche publique et vie scandaleuse » qui n'entraîne que des amendes ou des bannissements avec confiscation de biens au profit des hôpitaux généraux, le second, de « maquerellage, prostitution publique » qui entraîne une peine afflictive avec un procès au Châtelet, soit une procédure régulière. La prostitution publique organisée doit donc être davantage sanctionnée car, dans l'esprit des juristes, elle est plus scandaleuse que la prostitution occasionnelle. Ce texte, d'abord rédigé pour Paris, est ensuite étendu à l'ensemble du royaume et dénote un souci de nuance dans la répression. Il donne aux accusées un minimum de garanties juridiques nouvelles par rapport aux ordonnances de 1684 : les dénonciateurs doivent prêter serment devant la justice ; les poursuites policières doivent s'appuyer sur des preuves ; les prostituées peuvent faire appel des sentences du Châtelet devant le Parlement de Paris.

Malgré une législation répressive, une police aux pouvoirs discrétionnaires, la prostitution ne recule pas après la mort de Louis XIV ; au contraire, elle explose au XVIIIe siècle, notamment à Paris où l'on aurait atteint le chiffre de 25 000 prostituées selon certains observateurs contemporains. Après la période plus libérale de la Régence où, comme le souligne Voltaire, « c'est le joli temps de la Régence, où l'on fit tout sauf pénitence », la logique d'enfermement du Roi-Soleil est reprise par ses successeurs, en dépit de son échec patent. L

Une profession réglementée

Le nouvel ordre moral du Roi-Soleil

01/07/2006Historia


Crédit photographique – La désolation des filles de joie

www.afmeg.info/spip.php?article32


Pour en savoir plus


Répression et prostitution


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