Document mai 1999 - Le 11
novembre 1918, Georges Clemenceau, le "Père la Victoire", le vainqueur de la Grande Guerre, le libérateur de l'Alsace-Lorraine, follement acclamé dans les rues d'un Paris en
délire, reçoit ce mot de son ami Claude Monet: "Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs (les Nymphéas) que je veux signer le jour de la Victoire et viens vous
demander de les offrir à l’État, par votre intermédiaire ; c'est peu de chose mais c'est la seule manière que j'ai de prendre part à la Victoire.
Je vous admire et vous embrasse de tout mon cœur. Plus tard dans sa retraite, Georges Clemenceau, quatre-vingts ans passés, bourru comme à dessein, mais avec une sensibilité extraordinaire, met
toute son attentive affection à conforter le grand artiste Claude Monet, son ami de toujours. Celui-ci connaît les affres d'une vision qui baisse, rendant nécessaire une double opération de la
cataracte à laquelle il ne se résigne pas.
Son souci de la perfection lui fait compliquer à plaisir la tâche de Clemenceau pour l'installation des Nymphéas. La maladie les use tous deux mais leur amitié, telle qu'elle transparaît dans
leur correspondance, est d'une extraordinaire chaleur et intimité. Clemenceau, dans sa bicoque de Vendée, s'acharne à créer un jardin à l'image de celui de Monet à Giverny et ce sont des échanges
de fleurs, de graines et de boutures.
Ils sont gourmets et ont des plats favoris, ils aiment l'automobile et la vitesse. Ce qu'admirait le plus le "Tigre" en Claude Monet, c'était sa tension tragique vers la perfection et la farouche
énergie avec laquelle il la poursuivait. Le sens que lui-même donnait à sa vie fut aussi cette leçon d'énergie et d'héroïsme qui le faisait passer d'un même pas décidé, avec une éloquence
martelante, de la Tribune de la Chambre aux tranchées en première ligne du Front et dans "l'atelier de gloire" de Monet.