Document 2006 - Au-delà de la peur de manquer, il y a la crainte de manger du corrompu et du malsain.
En même temps qu'il a cherché à réduire la pénurie, l'Occident a ainsi progressivement mis sous surveillance l'ensemble de la chaîne alimentaire. Notre comportement alimentaire a une longue histoire que Madeleine Ferrières s'attache ici à reconstituer. Des règlements médiévaux de boucherie à l'abattage systématique des animaux au temps de Louis XIV, de la peur des poisons à la suspicion à l'endroit des nourritures nouvelles, comme la pomme de terre, l'Occident invente un ordre alimentaire illustré de manière éloquente, au début du XXe siècle, par le Pure Food and Drug Act américain.
Mais cette invention n'est pas allée sans une autre : celle du consommateur. Rassasié, prudent, voire savant ou se croyant tel, il appartient à l'utopie de l'abondance et de la sécurité.
L'histoire des peurs alimentaires n'est ainsi rien d'autre que l'histoire de l'Occidental way of life.
Poche - Broché
Paru le : 13/04/2006
Éditeur : Seuil
Collection : Points Histoire
L'auteur en quelques mots ...
Madeleine Ferrières. Professeur d'histoire moderne, elle est spécialiste de la culture matérielle. Elle a publié Le Bien des pauvres. La consommation populaire en Avignon (1600-1800) (Champ Vallon, 2004), et prépare un ouvrage sur Les Nourritures canailles, à paraître au Seuil en 2006.
Du porc fumé plutôt que du mouton frais, de la vache plutôt que du boeuf... Contrairement à
l'idée reçue, dans l'ancienne France, les pauvres aussi mangeaient de la viande. Mais pas n'importe laquelle : sa consommation restait le reflet des distinctions sociales.
L'histoire de l'alimentation a presque toujours été une histoire des minorités. Et, concernant la viande, si l'on est de mieux en mieux informé sur la production, l'élevage et ses transformations, on l'est peu sur la consommation ordinaire des gens ordinaires. La raison principale de cette lacune : la pénurie de sources. Certes, les médiévistes ont ouvert la voie en exploitant les comptes de boucherie. Mais ces informations sont géographiquement bien circonscrites : il n'y a de boucherie que dans les villes. A la campagne, s'il existe, le boucher n'est qu'un intermittent. D'autre part, écrire sur les pratiques alimentaires populaires est bien le cadet des soucis de tous ceux - des cuisiniers auteurs de manuels aux médecins diététiciens - qui ont traité des normes et des régimes. Rares en effet sont ceux qui ont posé la question de la part de la viande dans l'alimentation des pauvres. Ils apparaissent essentiellement à l'époque des Lumières, quand, sur le mode de la compassion, des philanthropes et des réformateurs culinaires comme Parmentier regrettent de ne pas pouvoir remplacer les remèdes par des fortifiants, tel un bon « beef stew » . « Ce serait plus cher, remarque Parmentier, mais d'une plus grande aide à un certain nombre de pauvres dont les maladies sont privation, et manque de nourriture. » Que dire, d'abord, de l'alimentation des paysans, soit de la majorité de la population jusque vers 1870 ? Journalier agricole, le paysan peut discuter âprement la pitance à laquelle il a droit en période de grands travaux, et...
De la viande pour les pauvres !
Par Madeleine
Ferrières
publié dans L'Histoire n° 293 - 12/2004 Acheter L'Histoire n° 293 +