Document 2009 - Les problèmes de la justice ont fait irruption à plusieurs
reprises, ces derniers temps, au premier plan de l'actualité. La plupart d'entre eux, cependant, sont de vieilles connaissances. La refonte de la carte judiciaire, le surpeuplement des prisons,
les taux de récidive alarmants ont figuré bien souvent déjà à l'ordre du jour ; et les revirements de la politique pénale - entre libéralisation, durcissement, innovations - jalonnent les deux
derniers siècles.
C'est cette histoire mouvementée d'une institution réputée conservatrice que l'on a voulu retracer ici, en prenant comme fil conducteur l'histoire du budget de la Justice. De la Révolution de
1848 à la Libération, de la Commune de 1871 à l'instauration de la Y République, les grands événements de notre histoire politique ont presque tous laissé une empreinte visible sur les chiffres
du budget. Mais l'approche budgétaire témoigne aussi et surtout d'une tension permanente entre besoins et ressources financières, qui fait obstacle à toute réforme d'envergure. Alors que l'"
encellulement " des prisonniers était déjà sous la Monarchie de Juillet au coeur des débats sur le régime pénitentiaire, l'objectif minimum d'assurer une cellule individuelle à chaque détenu en
maison d'arrêt paraît toujours aussi difficile à atteindre au seuil du XXIe siècle.
Jean-Charles Asselain, Correspondant de l'Institut (Académie des Sciences morales et
politiques), est ancien élève de l'ENS, agrégé d'histoire, agrégé de sciences économiques, professeur émérite de sciences économiques à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. Il a notamment publié
une Histoire économique de la France (2 vol., le Seuil, 1984) et une Histoire économique du XXe siècle (2 vol., Presses de Sciences Po et Dalloz, 1995). Son premier livre était consacré au Budget
de l'Education nationale (PUF, 1969). L'ouvrage issu de sa thèse de doctorat en sciences économiques, Planning and Profits in Socialist Economies (Routledge), a été réédité en
2003.
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Les courts extraits de livres : 29/09/2009
Extrait de l'introduction - Quelle approche du budget de la justice ?
Motifs et enjeux de la recherche
Argent... Justice... Le rapprochement des deux termes a quelque chose de grinçant. Justice désigne d'abord un idéal. La justice est l'une des vertus cardinales. Mais c'est aussi une institution,
qui ne vit pas de rien. Son existence de chaque jour dépend des choix budgétaires. Pourtant, alors que les «comptes du crime» ont donné lieu à de savantes recherches, le budget du ministère de la
Justice - dont vivent aujourd'hui quelque huit mille magistrats, soixante trois mille détenus et leurs vingt-trois mille surveillants, auxquels s'ajoutent plusieurs dizaines d'autres catégories
d'agents de l'Etat - ne fait l'objet que d'une attention épisodique, au gré de l'actualité.
En principe, la publication de documents budgétaires multiples et détaillés est destinée à garantir la transparence des choix publics et à rendre possible le suivi de leur application effective.
Leur complexité, il est vrai, les rend souvent impropres à cet effet. Mais du moins leur publication régulière depuis deux siècles devrait permettre de dégager une perspective historique, mettant
en relief les jalons les plus décisifs de l'évolution séculaire.
L'importance de certains budgets ministériels s'impose d'emblée aux yeux de tous, de par leur poids relatif dans le total des dépenses publiques : c'est le cas au premier chef pour le budget de
la Défense Nationale, qui représente souvent à lui seul au XXe siècle un quart ou plus des dépenses de l'État. Un argument inverse peut être invoqué pour justifier l'étude du budget de la
Justice: car c'est au contraire le décalage flagrant entre la modestie des crédits attribués au ministre de la Justice et l'importance sociale reconnue aux fonctions de son ministère qui
constitue le coeur du problème. La prééminence honorifique du Garde des sceaux ne s'est jamais traduite en termes d'enveloppe financière.
Auteur : Jean-Charles Asselain
Date de saisie : 29/09/2009
Genre : Politique
Éditeur : Presses universitaires de Bordeaux, Pessac, France
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Le courrier des auteurs : 23/09/2009
1) Qui êtes-vous ?
Je suis historien (ancien normalien rue d'Ulm, agrégé d'histoire) et économiste (professeur émérite de sciences économiques à l'Université Bordeaux 4). Les livres que j'ai publiés avant L'argent
de la justice concernent naturellement l'histoire économique : Histoire économique de la France (Le Seuil, 1984), Histoire économique du XXe siècle (Presses de Sciences Po, 1995), ou encore le
destin du système communiste jusqu'à la chute de l'URSS. Mais je suis aussi le père d'une magistrate, et j'ai eu moi-même une vocation frustrée de juge ; les études juridiques n'appartenaient pas
à l'horizon familial, et la future École Nationale de la Magistrature était encore dans les limbes à l'époque... Quant à l'approche budgétaire des problèmes de la Justice, elle se justifie parce
que le budget de l'État peut constituer un révélateur particulièrement énergique des choix politiques et des choix de société (à condition bien sûr de ne pas se perdre dans le détail des
chiffres). Mon dernier livre est né au croisement de tout cela. Il fait écho à mon premier travail de recherche, qui portait sur Le budget de l'Éducation nationale, 1952-1967 (Presses
Universitaires de France, 1971) à la veille du choc de 1968. Mais cette fois, l'étude porte non plus sur quinze ans, mais sur deux siècles, parce qu'il faut remonter aussi loin pour comprendre
les problèmes actuels de la Justice.
2) Quel est le thème central de votre livre ?
Les problèmes de la justice et des prisons ont souvent fait irruption, ces derniers temps, au premier plan de l'actualité. La plupart d'entre eux, cependant, sont de vieilles connaissances. Non
pas que les réalités soient totalement figées : une approche de long terme permet de mesurer le chemin parcouru en deux siècles, par rapport à l'effroyable surmortalité qui régnait dans les
bagnes et les prisons-usines jusqu'au Second Empire. Mais l'histoire de la justice et du monde carcéral se caractérise par un décalage permanent entre les intentions (les intentions
réformatrices, toujours louables) et les réalités, qui ne suivent pas - une longue histoire de réformes affaiblies, dénaturées et finalement mises en échec par l'insuffisance des moyens accordés.
Alors que l'«encellulement» des prisonniers était déjà sous la Monarchie de Juillet au cœur des débats sur le régime pénitentiaire, l'objectif minimum d'assurer une cellule individuelle décente à
chaque détenu en maison d'arrêt paraît toujours aussi difficile à atteindre au seuil du XXIe siècle. La dimension financière («l'argent de la justice») n'est certes pas seule en cause dans les
problèmes de l'institution judiciaire : elle pèse néanmoins de tout son poids sur les décisions effectives. C'est pourquoi le suivi des évolutions budgétaires constitue une démarche indispensable
pour aller au-delà des a priori et des idées reçues. Le budget de la Justice porte témoignage de tous les événements marquants qui ont jalonné au XIXe et au XXe siècles l'histoire mouvementée de
cette institution réputée conservatrice, depuis par exemple la répression de la Commune après 1871 jusqu'au pic de la population carcérale au lendemain de la Libération. Mais on relève aussi une
constante très frappante : la pression des besoins immédiats, au détriment des objectifs déclarés de long terme (en particulier la pression exercée par les impératifs d'économie à court terme,
responsables de bien des «occasions perdues», selon les termes de Robert Badinter). Nous avons donc voulu présenter l'esquisse d'une histoire de la Justice, racontée par son budget ; le
personnage principal de notre histoire, c'est la Justice, plutôt que les modalités de l'évolution budgétaire au sens technique du terme. La présentation des chiffres du budget est allégée autant
que possible par une présentation graphique, qui fait directement ressortir les lignes de force de l'évolution séculaire. Et l'interrogation centrale qui se dégage de ce survol historique porte
sur l'existence même d'une politique de la Justice : pourquoi a-t-on si rarement vu s'affirmer, depuis deux siècles, une volonté politique assez forte pour l'emporter sur les contraintes de court
terme ?
3) Si vous deviez mettre en avant une phrase de votre livre, laquelle choisiriez-vous ?
«Je vois le bien, j'y adhère, et puis je fais tout le contraire».
4) Si votre livre était une musique, quelle serait-elle ?
Jean-Sébastien Bach, sixième concerto brandebourgeois.
(Pardon pour l'immodestie d'un tel rapprochement, mais je voulais dire que le livre n'a rien d'un lamento).
5) Qu'aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ?
Dénoncer l'état des prisons ? Il existe déjà à cet égard bien des témoignages plus forts et plus directs. Dénoncer la «pauvreté de la justice» (thème récurrent depuis deux siècles) ? Mais
d'autres services publics ont eux aussi de bonnes raisons de se plaindre de l'insuffisance des crédits... En revanche, je voudrais faire comprendre que l'opacité des procédures budgétaires nuit
gravement aujourd'hui à la Justice. Le budget de la Justice ne doit pas être considéré comme un «tonneau des Danaïdes» ; un effort budgétaire adéquat ne constitue certes jamais une condition
suffisante pour régler les problèmes de la Justice, mais demeure en tout état de cause une condition nécessaire. Et pour cela, il faut d'abord parvenir à une plus grande transparence des choix
budgétaires. Telle était bien l'ambition centrale de la métamorphose budgétaire intervenue en 2006, avec l'entrée en vigueur du nouveau régime budgétaire voté cinq ans plus tôt : mettre
clairement en relation les moyens accordés et les résultats obtenus. Mais cette révolution budgétaire (d'ailleurs passée largement inaperçue du public, et ce n'est pas un hasard) s'annonce
aujourd'hui comme une révolution manquée. Le simple décompte des effectifs du ministère de la Justice demeure approximatif et aléatoire. L'intention déclarée de ne plus attribuer désormais les
crédits budgétaires sur la base des crédits de l'année précédente (autrement dit, des positions acquises) s'est trouvée largement mise en échec. Et les documents budgétaires n'éclairent en rien
le choix crucial, par exemple, entre gestion publique et gestion privée des prisons, qui avait fait l'objet pourtant à l'origine de débats enflammés, il y a vingt ans. Plus que jamais, les choix
décisifs pour l'avenir de la justice et des prisons risquent aujourd'hui de s'effectuer sous la pression des circonstances immédiates. Ce qui n'a rien pourtant d'une fatalité...
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