On la surnomme La Cristaine. « À 43 ans, écrit-elle, lorsque l'indicible passé a refait surface, j'ai ressenti l'envie de défroisser ce que mon métier de flic a laissé en friche, comme on met une terre en jachère. » La Cristaine est officier de police. Capitaine. Elle raconte son métier de flic - «Vingt ans à voir les commissariats, ces dégueuloirs de la misère humaine, vingt ans dans la police, vingt ans sur la voie publique et dans les commissariats, vingt ans d'un quotidien trop souvent difficile à gérer, à digérer.» Sa vie de flic mais aussi sa vie de femme, celle d'une mère célibataire avec tout ce que cela suppose de solitude et de combats dont on ne connaît jamais l'issue.
Voici un texte empreint d'une grande sincérité grâce à un style intimiste et vif, associé à un souci permanent de
remonter à l'origine de soi-même. «J'ai été dix ans gardien de la paix, à Paris, la trépidante, cette tarentule aux sauts incessants et carnassiers. Dix années à conjuguer vie de famille
monoparentale et boulot d'horaires et d'horreurs décalés.»
La Cristaine nous invite à la suivre et à fermer avec elle la parenthèse. Mais la referme-t-on jamais ?
- Les courts extraits de livres : 06/10/2012
CONVOCATION À COMPARAÎTRE
Les enfants de Bertillon sont sans parole, verrouillés de l'intérieur. Ils n'ont rien à dire, ils sont interdits... muselés
par le devoir de réserve et la cruauté du quotidien. C'est peut-être pour ça qu'ils écrivent.
Un jour, j'ai chopé le virus de G. C'était en 2005, octobre 2005 ; envie de tout abandonner, arracher le grappin qui me
retient à ma terre porteuse. Ça s'appelle «lever l'ancre». Moi, au lieu de lever cette ancre-là, j'ai décidé de coucher l'autre - l'encre - sur le papier. Une vie en bleu, fluide. C'était comme
quitter le trou de mes vingt ans de carrière, une longue apnée pour découvrir une inconnue. Coucher les mots de ses maux sur une surface plane, jusqu'à l'abandon, c'était concrétiser ce qui m'a
tenue toute mon existence ; sans que je sache réellement ce dont j'avais besoin ou envie. Un mouvement de pendule, comme sur les balançoires de mon enfance, jusqu'à la reprise normale du cours
des choses. Timidement, je me suis mise à écrire et me suis aperçue que je m'y étais toujours refusée. Pourtant, cela semble une fonction naturelle. À 43 ans, lorsque l'indicible passé a refait
surface, j'ai ressenti l'envie de défroisser ce que mon métier de flic a laissé en friche, comme on met une terre en jachère.
J'ai remonté mon temps, celui de mes débuts, de l'enfance au métier, pour mieux rebondir comme une balle, étoffer ma pensée
et envisager l'avenir. Il m'a fallu écrire pour décortiquer mon existence, séparer l'être de la fonction, éviter la confusion. On croit écrire facilement des choses vécues comme exceptionnelles.
On imagine sa vie extraordinaire. Et elle l'est, en vérité, parce que c'est la sienne, et que personne d'autre ne la vivra à votre place. Exceptionnelle et irremplaçable comme celle de chacun. On
croit, comme à 20 ans, que le monde vous attend et qu'on va vivre un truc épatant.
Quelle erreur ! D'abord parce que l'écriture vous dépouille et qu'on n'écrit pas seulement pour soi. Enfin, je crois. Au
début, le glissement de la plume sur le papier produit comme le frôlement d'une bretelle de soie glissant sur une épaule. Et puis, ça donne vite l'impression d'un velcro sur de la fibre. Ânerie
funèbre, ensuite, parce que personne ne vous attend ; le monde n'attend personne. Des parents peut-être, comme un cadeau de la vie à l'amour. Se raconter, tenter de comprendre qui on est, d'où
l'on vient, c'est un peu comme éplucher un oignon : ça finit toujours par faire chialer. Mais pour moi, ce besoin est devenu impérieux, parce que mon taf n'est plus assez créatif. Pourtant, c'est
un boulot épatant. Et puis, avec le métier de flic, on a tout intérêt à faire le point régulièrement, savoir où on se situe : ni trop à l'est, ni trop à l'ouest ; sur le droit fil.
(...)
La Cristaine : Journal d'une fliquette
Auteur : Christine Rogier
Date de saisie : 06/10/2012
Genre : Biographies, mémoires, correspondances...
Editeur : Jacob-Duvernet, Paris, France
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La Cristaine, de Christine Rogier
Christine Rogier a publié son tout premier roman, Mercredeuils, trois flics face au destin, aux éditions AO à la mi-2011. En cette rentrée littéraire, voici que sort dans quelques jours
La Cristaine, aux éditions Jacob-Duvernet. Les éditions AO sont heureuses de vous annoncer qu'une auteure qu'ils ont contribué à faire découvrir poursuive ainsi sa “route” d'écrivain
(tout comme Jean-Henri Maisonneuve, dont nous avons chroniqué Vie Oxymore récemment).
La Cristaine est un témoignage. Nous ne sommes plus dans la fiction, mais dans la réalité la plus intime. Comment devient-on gardien de la paix, de surcroît quand on est une femme et que les affiches de recrutement proclament “un métier d'homme” ? Le livre tente de nous apporter des éléments de réponses, et c'est passionnant.
Le sous-titre, de ce point de vue, est réducteur. Plus que du “journal d'une fliquette”, il s'agit bien de la “genèse”
d'une femme-flic. Le récit remonte en effet aux sources de l'enfance, et même plus loin dans le temps, dans la généalogie et ses influences décisives.
Christine Rogier a forgé son style d'écriture au fur et à mesure des années. Avec
La Cristaine, nous sommes aux antipodes du récit factuel, et encore plus du style plat à l'anglo-saxonne ! C'est au contraire une avalanche d'images, de
métaphores, de formules percutantes, un texte extrêmement dense en émotions, au vocabulaire riche, aux mots choisis avec délectation et rigueur en même temps. Des anecdotes ? Oui, on en trouve,
mais magnifiées par leur description, sélectionnées avec parcimonie, principalement pour leur force symbolique. Comme le premier décès d'une femme-flic, annoncé pendant que Christine Rogier
suivait son stage de formation initiale…
L'auteure clôt le livre sur un “fermez la parenthèse” ressemblant à une exhortation, presque un ordre ! Probablement parce
que, comme elle le disait au tout début, “Se raconter, tenter de comprendre qui l'on est, d'où l'on vient, c'est un peu comme éplucher un oignon : ça finit toujours par faire chialer.” Juste
après, non sans humour, la “Cristaine” n'hésite pas à reprendre une question tirée de l'Évangile : “Et vous, qui dites-vous que je suis ?” Il n'est pas certain que nous disposions de la réponse
exacte – et c'est tout l'intérêt de ce texte de conserver sa part de mystère…
À la lecture de ce témoignage, on saisit encore mieux les raisons qui ont poussé l'auteure à écrire l'histoire de
Mercredeuils, et surtout à lui donner cette tonalité à la fois sombre et lumineuse, renforcée par cette façon d'écrire bien à elle, qui nous avait tant plu à
la lecture du manuscrit. La biographie et la fiction sont comme un miroir que l'on pourrait retourner pour découvrir de nouveaux reflets…
Mais, à propos, que signifie “La Cristaine” ? C'est le concentré de Christine
(sans H, vous saurez pourquoi en le lisant) et de… capitaine (de gardiens de la paix). Voici comment cette auteure a choisi son surnom.
La Cristaine, journal d'une fliquette, éditions Jacob-Duvernet,
sortie le 27 septembre 2012, 248 pages, 19,90 € - ISBN 978-2-847244-10-6. Pour consulter la fiche sur le site de l'éditeur, saisir le titre
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