Si le XXe siècle
reconnaît à la jeunesse un statut social et culturel spécifique, il est aussi celui de la stigmatisation de la jeunesse irrégulière.
Désormais, les institutions de contrôle social ne cherchent pas seulement, comme au XIXe siècle, à évincer l'écume ardente des classes dangereuses. Il s'agit, avec la mise en
place d'une justice des mineurs spécialisée dans la plupart des pays occidentaux, d'élargir le filet de prise en charge à l'ensemble de la jeunesse populaire tumultueuse ou même " en
danger "; tout en adossant au système judiciaire pénal une assistance éducative.
Après s'être appuyée sur l'initiative privée, la justice se tourne, dans l'entre-deux-guerres, vers les premiers professionnels de la protection de l'enfance. En amont et en aval de l'acte
judiciaire, la nouvelle filière s'organise, du dépistage des asociaux et anormaux, au tutorat familial qu'incarne la liberté surveillée. Loin d'être mises hors-jeu, les institutions
d'enfermement tentent de se réformer et s'insèrent dans ce nouveau système, avec l'invention de nouvelles catégories juridiques para ou pré-délinquantes, nouvelles figures de la dangerosité
sociale qui appellent la réclusion tout en lui conférant une nouvelle légitimité.
Il s'agit d'un moment clé de l'histoire de la protection de l'enfance, qui préfigure l'ère du " tout éducatif " des années 1950-1960, sans pour autant se
déparer de la raison pénale qui le fonde. Si l'aspect social adoucit l'aspect pénal et le rend socialement productif, il en est aussi une légitimation lui permettant de passer outre certains
principes du droit libéral. Dès lors, la socialisation du droit des mineurs, au moment même où elle acquiert le statut de doxa, entre en contradiction avec le principe de citoyenneté étendu à
l'enfance, en genèse tout au long du XXe siècle.
Craints et dénoncés comme en voie de dangereuse émancipation, les jeunes restent en réalité largement dépendants du pouvoir familial, scolaire, industriel et légal, mais se justifient de cette
domination pour réclamer des droits et expérimenter une autonomie nouvelle. Dès lors, l'enfance et la jeunesse déviantes incarnent certaines formes de changement social et culturel. Leur poids
dans les représentations collectives s'accroît, tantôt pour dénoncer une inquiétante dérive, tantôt pour pointer la voie de la modernité.
Ainsi, l'autonomie économique, le consumérisme, le développement des loisirs non encadrés, ou encore la libération des moeurs et des rôles sexuels sont dénoncés, éventuellement réprimés, mais
aussi valorisés par une culture en mouvement, en voie de juvénilisation au XXe siècle.
La naissance du tribunal pour enfants
Une comparaison France-Québec (1912-1945)
2009
Format : 15,5 x 24 cm
Nombre de pages : 418 p.
ISBN : 978-2-7535-0852-1
Disponibilité : en librairie
Prix : 20,00 €
Préface de Jacques-Guy Petit
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Naissance de la justice des mineurs : réforme ou reproduction ?
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Du pénal au social : évolution de l'activité judiciaire de 1912 à 1945
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Vols, trafics et fraudes : stratégies de survie et sociabilité prédatrice
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Les violences : pacification de l'espace public et prophylaxie sociale
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Le prix de la vertu : la régulation socio-judiciaire de la sexualité juvénile
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Les mesures judiciaires : de la répression à la réhabilitation
Postface de Jean-Marie Fecteau
L'auteur en quelques mots ...
David Niget, docteur et PhD en histoire, est chercheur post-doctoral au Centre d'histoire du droit et de la justice, à l'université catholique de Louvain (Belgique).
Ses travaux portent sur l'histoire des conditions de vie et de la culture de la jeunesse populaire, ainsi qu'aux processus sociaux qui président à sa stigmatisation.