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http://www.decitre.fr/gi/85/9782070764785FS.gifDocument Historia du 01/10/2001 - Henri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec-Monfa couronne, autant qu'il finit, le nom des comtes de Toulouse, vicomtes de Lautrec et seigneurs de Monfa. Grands feudataires du royaume, ses ancêtres ont croisé le fer en Terre sainte. Henri, lui, enchevêtre les traits pour imposer au monde sa détonante modernité.

C'est en terre cathare, dans l'hôtel familial du Bosc adossé aux remparts d'Albi, que la comtesse Adèle-Zoé Tapié de Céleyran (1841-1930) offre un héritier à  son cousin d'époux, le comte Alphonse-Charles de Toulouse-Lautrec-Monfa (1838-1913). Pour son premier enfant, le couple choisit, tout naturellement, un prénom qui publie l'hostilité d'une caste à  la République : celui du comte de Chambord (1820-1883), dernier prétendant légitimiste au trône de France que, d'aucuns, déjà , appellent Henri V. Mais l'endogamie doctrinaire épuise les lignages les plus hauts. Très tôt, le " Petit Bijou " de la comtesse Adèle accuse une débilité osseuse qui contrarie dangereusement sa croissance. Autour de lui, on s'inquiète, on consulte, on veut croire. " Je suis plus libre ces jours-ci parce que Maman m'a retiré de chez mon professeur pour me faire suivre le traitement de la brosse électrique qui a, jadis, guéri mon oncle Charles. Je suis bien ennuyé d'être boiteux du pied gauche maintenant que le droit est guéri. Il faut espérer que ce n'est qu'une réaction après mon traitement... ", griffonne Henri à  sa grand-mère paternelle, née Gabrielle d'Imbert du Bosc en mars 1877.

http://www.decitre.fr/gi/95/9783833113895FS.gifPlus souffreteux encore, son frère Richard-Constantin, de trois ans son cadet, n'est pas enfant viable. Il décède le 27 août 1868, à  l'âge d'un an. La comtesse Adèle se mure dans un hiératisme blessé. D'autant que sa piété austère s'accommode de plus en plus difficilement de l'excentricité tapageuse de son conjoint. Entre eux, fatalement, les liens se distendent ; peu après la disparition de Richard, les époux conviennent de se séparer. Confiante en la devise résignée des comtes (" Dieu le veut "), madame de Toulouse-Lautrec reporte tous ses espoirs sur Henri. Avec lui et pour lui, elle décide de s'installer à  Paris, dans un appartement de l'hôtel Pérey, au 35 de la rue Boissy-d'Anglas. A l'instar de son cousin Louis Pascal et de Maurice Joyant auquel le liera un indéfectible attachement, le gamin fréquente le prestigieux lycée Fontanes (futur lycée Condorcet) où il décroche un premier prix de latin et de grec et quelques accessits. Mais, déjà , irrépressible, la fièvre du dessin. En marge de ses devoirs d'écolier, inévitablement, frises et croquis. Et les carnets d'esquisses que sa mère se plaît à  archiver abondent, dès 1873, de pastels, de sanguines et d'aquarelles. Mais, de santé toujours aussi précaire, le collégien doit interrompre ses études. La famille se replie à  Albi où, assistée de précepteurs, la comtesse Adèle dirige maintenant les études de son fils. Nimbée de soins prévenants, l'enfance s'écoule ainsi, entre l'hôtel du Bosc et le château de Céleyran en Languedoc.

Le 30 mai 1878, pourtant, sera date funeste. " Je suis tombé de sur une chaise basse par terre, et je me suis cassé la cuisse gauche ", résume-t-il. Ses lettres, désormais, se perdent sur un amusement balafré : " Votre filleul béquillard ", " Henry-patte-cassée " ou " Ton cousin gracieux ". L'autodérision ressemble à  la montée des larmes. La comtesse Adèle, dès lors, chaperonne son " rejeton chéri des Grâces " de station balnéaire en ville d'eaux : Amélie-les-Bains, Lamalou, Barèges où, durant l'été 1879, derechef, " il roul[e] dans le lit d'une ravine sèche " et se casse le fémur droit. Aucune thérapie ne triomphera des sarcasmes d'un sang que, de l'aveu même du comte Alphonse, l'" on n'aurait jamais dû» autoriser à  s'unir ". Et si les accidents successifs d'Henri offrent à  sa famille l'argument socialement recevable de sa difformité, le père contient mal son dépit. Jamais, c'est clair, l'adolescent ne pourra imiter ses ancêtres qui, dans l'oisiveté dorée d'un lignage, galopaient à  francs étriers derrière une meute de chiens au cours de chasses mémorables. Ce qui, non sans esprit, conduisait l'aïeule Gabrielle à  dire : " Quand mes fils tirent une bécasse, elle leur donne trois plaisirs : le coup de fusil, le coup de crayon et le coup de fourchette ! " Tout n'est donc pas perdu pour Henri. Sa tournure est dépourvue d'élégance ? La belle affaire : faute de mieux, l'infirme entre en peinture. La palette, rageuse compensation. " Je peins et je dessine aussi longtemps que je peux, jusqu'à  ce que la main me tombe de fatigue ", confesse-t-il. En 1881, il consigne les instantanés d'un voyage à  Nice dans des Cahiers de zigzags qu'il dédie à  sa cousine, Madeleine Tapié de Céleyran (1865-1882). Dans la foulée, il illustre Cocotte , le conte manuscrit d'un ami qu'il a rencontré à  Barèges, Etienne Devismes, et formule des principes que, toujours, il s'efforcera d'honorer : " Il m'est impossible de ne pas voir les verrues ; je veux bien leur rajouter des poils, les dessiner plus grandes que nature et leur appliquer une pointe luisante. Je ne sais pas si vous pouvez maîtriser votre plume mais, quand mon crayon se met en branle, je dois le laisser courir ou patatras... tout s'arrête. "

http://a33.idata.over-blog.com/500x681/0/02/85/09/les-peintres-2009/toulouse-lautrec-dessin-1.jpgPuis il remonte à  Paris où il renoue avec un ami de son père, le sourd-muet René Princeteau (1843-1914), peintre animalier bordelais qui le prend sous son aile, le présente à  John-Lewis Brown (1829-1890) et Jean-Louis Forain (1852-1931), et parfait son éducation artistique. Recalé au baccalauréat, aussi sec, il repense sa carte de visite : en l'attente glorieuse de la session d'automne, celle-ci imprime, désormais, " Henri de Toulouse-Lautrec, retoqué-ès-lettres " ! René Princeteau l'introduit auprès du peintre académique Léon Bonnat (1833-1922) qui, tout en lui ouvrant les portes de son atelier, ne ménage pas sa sensibilité : " Votre peinture n'est pas mal, c'est du chic, enfin ce n'est pas mal, mais votre dessin est tout bonnement atroce ! " (1882). Les relations entres les deux hommes ne sont pas des plus chaleureuses. Au point que, bien plus tard, promu président de la Commission des musées, Bonnat oppose un veto catégorique à  l'acquisition du Portrait de M. Delaporte par le musée du Luxembourg (1904). " Aucun argument n'aurait pu le faire changer d'avis. En fait, il suffisait de mentionner l'affaire pour le plonger dans une frénésie religieuse ", commente Maurice Joyant. Pour l'heure, nommé professeur à  l'école des Beaux-Arts, le maître ferme son atelier et, après une valse-hésitation, Toulouse-Lautrec " accepte un chevalet " chez Fernand Cormon (1845-1924), " un talent puissant, austère et original ". " J'aurais bien aimé Carolus [-Duran], mais ce prince de la couleur ne fait que de médiocres dessinateurs, ce qui serait la mort pour moi ", précise-t-il dans une lettre au comte Alphonse (1882). Bien que son passage dans l'atelier de Cormon (1883-1885) l'ouvre aux techniques de l'art officiel, il court expositions et salons pour admirer le travail des impressionnistes et les œuvres d'Edgar Degas (1834-1917) qui influence fortement sa peinture. Ce dernier, d'ailleurs, ironise volontiers : " Il porte mes habits, mais retaillés à  sa mesure ! " Et, si Lautrec ne se recommande d'aucune chapelle (" Je ne suis d'aucune école, je travaille dans mon coin ! "), résolument, il opte pour la modernité. L'art en mouvement, son credo . L'ironie, sa force. Au Salon de 1884, il pastiche, en effet, le Bois sacré de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) dont il se démarque par un jeu de substitutions parodique. " Peinturlure ! ", s'insurge Edmond de Goncourt. Imperturbablement, " l'homoncule " insiste et réitère. Au salon des Arts Incohérents de 1886, sous le pseudonyme de Tolau-Segroeg, " élève de Pubis de Cheval, spécialité de portraits de famille à  fond jaune pastel ", il expose les Portraits d'une malheureuse famille atteinte de la petite grelure . Lautrec, implacables facéties.

http://www.cityvibrations.com/paris/upload/107_Toulouse-Lautrec,%20Moulin%20Rouge%20vert323.jpgEn 1884, happé par " le rire saignant de Montmartre ", " l'avorton " déserte la cité du Retiro pour emménager au 19 bis de la rue Fontaine, chez René Grenier (1861-1917) qu'il a connu chez Cormon. Retranchée derrière les grands boulevards, une butte peuplée d'ouvriers, de petits commerçants, de rapins, de filles et de voyous. Une société laborieuse, libre ou interlope que rejoignent, dans ses hardiesses, les noceurs parisiens et les mondains licencieux. Au hasard des bals spontanés, des bars et des cabarets dont le quartier regorge, le " petit bas-du-cul " entrevoit la fascination. Et, bien qu'il s'en défende dans son courrier à  la famille (" Les réjouissances des pauvres sont pires que leur misère ! "), il pressent le changement qu'au mépris des valeurs établies, ce brassage favorise (" J'ai repris le train-train qui durera jusqu'au printemps et, alors, je ferai, peut-être, des choses bizarres. "). En vérité, il peint les visages (Carmen Gaudin, Suzanne Valadon, Hélène Vary), immortalise les vedettes du temps (La Goulue, Valentin le Désossé, Aristide Bruant, Jane Avril, Yvette Guilbert...) et promène son cynisme triste dans les lieux de plaisir de Montmartre (le café des Colonnes, Le Mirliton, le Moulin de la Galette...). Cafés-concerts, cabarets, brasseries et maisons closes nourrissent son imagination jusqu'au génie du détail. Partout, Lautrec décroche l'instant vrai, croque l'abandon, fixe les misères. " Il lui [faut] de l'animal en mouvement " et la puissance expressive du trait encourage inéluctablement l'interprétation psychologique des modèles qu'il surprend, assiège, dévoile. " Un qui a un nom de Dieu de culot, mille polochons, c'est Lautrec, ni son dessin ni sa couleur ne font de simagrées. [...] Y'en a pas deux comme lui pour piger la trombine des capitalos gogos attablés avec des fillasses à  la coule qui leur lèchent le museau... C'est épatant de toupet, de volonté, de rosserie et ça bouche un coin aux gourdiflots qui voudraient becqueter que de la pâte de guimauve ", applaudit le Père peinard . La critique n'est pas toujours aussi bienveillante. Loin s'en faut. D'aucuns reprochent à  cet " être bizarre et contrefait " de " se vautrer dans les abjections " des bouis-bouis où, trop souvent, " le vice déforme les visages, abrutit les physionomies et fait monter à  la face les laideurs de l'âme ". Lautrec, de leur point de vue, déshonore ainsi l'une des plus grandes familles de France qui, elle aussi, bien sûr, réprouve. Pourtant féru de peinture, l'oncle Odon (1842-1937) écrit à  sa mère : " Henri fait de la peinture impressionniste... Il fera peut-être son chemin dans ce genre, mais c'est un vilain genre. J'appelle cela, le Zola de la peinture ! "

En 1891, Charles Zidler lui commande sa première affiche pour le Moulin-Rouge. Influencé par l'estampe japonaise, entre un public tout en ombre et une silhouette fantomatique tout en saillies osseuses, Lautrec représente La Goulue qui exécute " la guitare ", figure caractéristique du quadrille naturaliste. La hardiesse de la composition et la pleine maîtrise du procédé lithographique suscitent l'enthousiasme général et la convoitise des collectionneurs. D'autant que, " pour se procurer de la peinture plus harf que les croûtes au jus de réglisse qui font la jubilation des trous-du-cul de la honte ", le Père peinard , décidément louangeur, va jusqu'à  prôner l'arrachage. Et Lautrec, sans tarder, d'exprimer sa satisfaction à  la comtesse Adèle : " Les journaux ont été fort aimables avec votre rejeton. Je vous envoie un extrait qui est écrit avec du miel broyé dans de l'encens " (26 décembre 1891). La technique a trouvé maître. Lautrec radicalisera, par la suite, les principes du cloisonnisme, mouvement qu'il a initié avec Vincent Van Gogh (1853-1890) et Félix Vallotton (1865-1925) : stylisation des types, fantaisie du cadrage, contraste des aplats de couleurs, fermeté des contours, déploiement de l'arabesque. " Génial infirme ", Henri de Toulouse-Lautrec s'impose comme le père de l'affiche moderne et, développant une activité colossale, il continue de travailler " comme un cheval ". Il peint, expose, illustre programmes de théâtre (Théâtre libre et théâtre de l'œuvre) et chansons (Maurice Donnay), collabore à  diverses revues ( Le Figaro illustré, la Revue Blanche ), réalise des recueils de lithographies, l'un consacré à  Yvette Guilbert (1894), l'autre, intitulé Elles (1896), à  la vie des prostituées. Et, lorsqu'il reçoit ses amis à  dîner rue Frochot, pour être sûr que l'eau ne leur " gâche le palais ", farceur, il commence par remplir les carafes de poissons rouges !

Mais, affaibli par son infirmité, miné par absinthe et la syphilis, il s'enlise dans la décrépitude physique et mentale. Invité des Natanson à  Villeneuve-sur-Yonne avec Bonnard et Vuillard, il se réveille en pleine nuit pour révolvériser des araignées chimériques. On le voit également déambuler sous un parapluie bleu, un chien de faïence sous le bras. Et, tandis que le prince de Galles, futur Edouard VII, honore de sa présence le vernissage de la rétrospective que Maurice Joyant a organisée à  la Goupil Gallery de Londres, Lautrec dort à  poings fermés dans un fauteuil (1898). Les troubles se multiplient et les crises d'éthylisme deviennent de plus en plus violentes. " Monsieur [...] est entré comme un furieux [...]. Il voulait battre le petit concierge, il le tenait par le bras et le secouait tant qu'il pouvait en l'appelant toutes sortes de noms ", s'inquiète Berthe Sarrazin, employée chargée de rendre compte à  la comtesse Adèle de l'état de santé de son fils. Finalement, le 17 mars 1899, Henri de Toulouse-Lautrec est interné à  Neuilly, dans une clinique de l'avenue de Madrid dirigée par le docteur Sémélaigne. Là , de mémoire, il réalise une quarantaine de dessins sur le thème du cirque, sauf-conduit pour une liberté conditionnelle. " Toulouse-Lautrec avait la vocation de la maison de santé. On l'a enfermé hier, et c'est maintenant la folie qui, à  masque découvert, signera officiellement ces tableaux, ces affiches, ces dessins où elle était anonyme si longtemps ", s'acharne Alexandre Hepp dans les colonnes du Journal . Pendant ce temps, dans son isolement, le malade adresse un message déchirant au comte Alphonse : " Papa, vous avez l'occasion de faire acte d'honnête homme. Je suis enfermé, or tout ce qui l'est meurt ! " La liberté recouvrée, Lautrec retourne à  son chevalet et " turbine " tant qu'il peut. Il trie ses esquisses, achève certaines toiles et estampille quelques autres d'un " HTL " de sang. Puis, il rejoint la comtesse Adèle à  Malromé où, " aigri par tant d'épreuves naturelles et accidentelles ", il s'éteint le 9 septembre 1901. Quelques heures auparavant, tandis que le comte Alphonse tente d'écarter les mouches du visage de son fils au moyen d'un tire-botte élastique, dépité, Henri le considère et susurre : " Vous serez donc toujours aussi con ! " Et, dans un souffle : " Maman... vous ! Rien que vous ! "

Par Pascal Marchetti-Leca*

http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=8347



http://www.michalon.fr/IMG/arton94.jpgToulouse-Lautrec - L’homme qui aimait les femmes

Grâce à un millier de lettres totalement inédites, cette biographie nous entraîne pour la première fois dans l’intimité de Toulouse-Lautrec et nous éclaire sur les multiples facettes de cet artiste aristocrate et excentrique, désespéré de ne pouvoir être aimé.

Traduit de l’américain par Régina Langer.

Broché: 334 pages

  • Editeur : Michalon (15 octobre 1996)

  • Collection : Biographie

Julia Frey

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