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On peut lire cette parole du Christ, achevant l’évangile de Matthieu, dans la chapelle baroque de la forteresse que Vauban a modernisée en son temps, au lieu appelé Barraux, sur les collines dominant l’Isère. La vue sur la vallée est superbe. Elle donne sur le massif de Belledonne et la Savoie, qui jusqu’en 1860 était une partie du Royaume de Savoie-Piémont-Sardaigne, avec lequel la France fut plus d’une fois en guerre. Le territoire de Barraux fait partie du Dauphiné de Vienne, rattaché à la France en 1349 sous le nom de Dauphiné de France. La frontière franchissait l’Isère à cet endroit. Derrière la forteresse, le massif de la Chartreuse, très escarpé, sur lequel se situe l’abbaye de la Grande Chartreuse, avec ses moines et sa célèbre liqueur.  


Guerres de religion et politique internationale

La construction de la forteresse a une histoire assez cocasse. Au temps de Henri IV, roi de Navarre devenu roi de France, les Savoyards catholiques avec leur duc Emmanuel avaient réussi à conquérir cette région entre Isère et Chartreuse, qui était protestante, et y construisirent la première véritable forteresse, sous la direction d’un expert de renommée européenne, le piémontais Ercole Negro. La France dut laisser faire. Provocation supplémentaire, le duc de Savoie décide d’appeler la forteresse St Barthélémy, en souvenir du massacre des protestants en 1572, massacre duquel d’ailleurs Henri de Navarre, futur Henri IV, avait échappé de justesse. Charmante attention ! Le connétable de Lédiguières, protestant et commandant militaire de la région, persuade le roi de laisser faire : « Laissez votre cousin de Savoie faire la dépense. Quand le fort sera à peu près terminé et encore sans garnison, je le prendrai. » Ce qui fut fait en 1598 : le roi de France obtint bon marché cette belle forteresse, qui fut rebaptisée en Ste Catherine ! Henri IV installa une garnison de Suisses catholiques de Fribourg, pour éviter que les soldats fraternisent avec les Dauphinois protestants. Par ailleurs les Suisses, même catholiques, détestaient les Savoyards, pourtant catholiques. Homme rusé, ce Henri IV !

Fort-Barraux sera impliqué sans cesse dans les relations avec la Savoie et a une riche histoire diplomatique, ayant abrité des rois, des personnages illustres en voyage, des négociations. De 1692 à 1700, Vauban va rénover la forteresse, achevée selon ses plans en 1768. Après la Révocation de l’Edit de Nantes de 1685, à laquelle Vauban s’est d’ailleurs opposé dans son célèbre libelle, toute présence protestante avait disparu de Fort-Barraux. Les guerres de Succession d’Espagne et d’autres encore passèrent par là, celles de la Révolution et de l’Empire, qui en 1815 virent l’occupation de la forteresse par les Autrichiens. Après cette date, la forteresse servira de plus en plus de prison ou de dépôt, surtout après 1860, lorsque la frontière avec la Savoie disparut. 

Les deux Guerres Mondiales et l’aumônerie militaire protestante allemande

C'est ainsi que l’histoire protestante de la forteresse va reprendre en 1914-18, avec le camp pour 200 officiers allemands et autrichiens prisonniers, de haut rang et de grandes familles nobiliaires, dont un neveu de Bismark et un Hohenzollern, petit cousin du Kaiser, tous deux protestants. Les photos montrent des gens bien traités, avec leurs uniformes impeccables, leurs moustaches, leurs décorations militaires, vivant plutôt agréablement et faisant à une soixante une promenade journalière au village et à son bistrot, gardés par deux soldats français seulement. L’aumônerie catholique et protestante existait pour ces officiers.

Le style va changer en 1939-40. D’abord les Français de Paris enferment des civils allemands, puis ceux de Vichy des Juifs, des espagnols républicains, des droits communs et des souteneurs de Marseille recevant de l’argent de leurs prostituées, des résistants. Les conditions deviennent dures, sans être barbares, même quand la Milice prend le commandement du camp, car à aucun moment les Allemands ne dirigeront le fort.

Après la guerre, la IV ème République enferme à nouveau des civils allemands, puis un total de 6280 prisonniers de guerre allemands de la Wehrmacht, Luftwaffe et Kriegsmarine, mais pas de SS :  905 dans la forteresse même et le reste dans divers détachements extérieurs, fermes et usines. Pour ces prisonniers, « les aumôniers assurent des services réguliers dans la chapelle du camp ; ils officient plus rarement dans les détachements. Aumônier catholique : Alois Luttermann, mat. 415932 ; aumôniers protestants : Schuster, mat. 415951, Rodewald, mat. 439514. » (rapport du 4.7.1946).

Les peintures de Robert Haas

Un souvenir à la fois étonnant et impressionnant reste de cette aumônerie. Un peintre parmi ces prisonniers, Robert Haas (1898 Heilbronn – 1977 Munich), assez connu en Allemagne, entreprit de décorer la chapelle du fort, construite peu après la mort de Vauban  en 1707. Robert Haas était catholique. Il représente Jésus portant sa croix, à droite, et la Déposition de la croix, à gauche, avec 2 peintures annexes, dans un style néo-italien et baroque, typiquement catholique. Au fond, faisant face à l’autel baroque du début du 18e Siècle, un Christ bénissant, dans un demi-cercle symbolisant le ciel, en style grisaille bistre, blanc et noir, surmontant une inscription en gothique géométrique des années trente : « Ich bin bei euch alle Tage bis an das Ende der Welt ». Le tableau, mettant en valeur la parole du Christ, est typiquement protestant, mais le texte n’est pas celui de Luther, qui dit : « …bis an der Welt Ende » : c’est celui de la Bible catholique allemande.

Haas avait employé les couleurs que les gardiens français pouvaient lui fournir : du brun pour les portes, du bleu à mélanger au crépis, du rouge antirouille, du gris pour le fer, du noir pour les inscriptions, du blanc pour les fonds d’inscription. Son aide était un sous-marinier, unique survivant de 16 équipages coulés !

 Le décor servait à la fois aux protestants et aux catholiques, devant un autel de forteresse du Roi-soleil. Bel exemple de désaveu de l’absolutisme vaniteux du roi, mais surtout d’œcuménisme, et aussi de tolérance des autorités militaires françaises. D’ailleurs tout le monde s’accorde à dire que, grâce aux Conventions de Genève, les prisonniers allemands étaient mieux alimentés et soignés que la population française environnante. Ce qui explique que Fort-Barreaux est le seul camp de prisonniers allemands dont les anciens ont constitué une « Association des anciens prisonniers et gardiens du Fort-Barraux ! »

           Fort-Barraux, près de Poncharra, tél : 06.37.63.02.95.

           se visite tous les après-midis de juillet et d’août,

           Les dimanches et jours fériés en mai, juin, juillet.

HISTOIRE PROTESTANTE: FORT BARRAUX, dans l'Isère

http://www.chants-protestants.com/index.php?option=com_content&task=view&id=1400&Itemid=61


Crédit photographique :


« Fort-Barraux est situé dans le massif de la Chartreuse, dominant la vallée de l'Isère »
(source : Fort-Barraux, quatre siècles d'histoires de François Lesbros).

www.recitus.qc.ca/.../equip32/fortbarreaux.php


Résistance en Isère

www.resistance-en-isere.com/mr/index/num/30/lan/1

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