Dans le prolongement de l'histoire des femmes, les études sur le genre conduisent à étendre les analyses sur l'ensemble des domaines qui à la
construction de la différence des sexes: histoire du participent féminin et du masculin, histoire de la mixité et des rapports sociaux de sexe, histoire des pratiques et des imaginaires sociaux.
Cet ouvrage réunit des travaux d'historiens, de sociologues, de littéraires qui analysent les variations des relations homme/femme sur une période de dix siècles. Ils sont regroupés selon cinq
thèmes majeurs: l'ajustement des représentations et l'invention des normes, les savoirs, pouvoirs et révolutions, les guerres, les situations inédites. Ces questions sont traitées dans un cadre
comparatiste particulièrement fécond, entre les périodes historiques et à l'intérieur du monde occidental. En posant pour problématique : le genre face aux mutations, la différence entre les
sexes se vérifie comme une construction sociale en perpétuel renouvellement, sensible à tout changement économique, politique, culturel. Le colloque international, organisé par l'UMR-CNRS 6040
CRHISCO (Centre de recherche historique sur les sociétés et cultures de l'Ouest européen) s'est tenu à l'université Rennes 2 en septembre 2002 a pu montrer que toute mutation de la société
s'accompagne d'un ajustement du genre, c'est-à-dire d'un polissage des stéréotypes du masculin/féminin, d'une variation des identités, sexuelles, d'un changement dans les relations hommes/femmes.
Au moment -où le débat public converge sur l'aspiration à la parité homme/femme, cet ouvrage montre que la différence entre les sexes, leurs relations demeurent une institution instable, qui,
telle la toile de Pénélope, est tissée le jour et dénouée la nuit...
de Luc Capdevila (Auteur), Sophie Cassagnes (Auteur), Martine Cocaud (Auteur), Dominique Godineau (Auteur), Collectif (Auteur), Jean-Christophe Cassard (Auteur)
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Broché: 403 pages
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Editeur : PU Rennes (8 janvier 2004
Biographie de l'auteur
Luc CAPDEVILA, maître de conférences à l'université de Rennes 2, Sophie CASSAGNES, professeure à l'université de Limoges, Martine COCAUD, maîtresse de conférences à l'université de Rennes 2, Dominique GODINEAU, maîtresse de conférences à l'université de Rennes 2, François ROUQUET, maître de conférences à l'université de Rennes 1 et Jacqueline SAINCLIVIER professeure à l'université de Rennes 2
Bard Christine, Baudelot Christian, Mossuz-Lavau Janine (Dir.), Quand les femmes s’en mêlent : genre et pouvoir, Paris, Ed. de la Martinière, 2004, 376 p.
Le genre face aux mutations : masculin et féminin, du Moyen-Age à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, 403 p.
Bard Christine (Dir.), Le genre des territoires : féminin, masculin, neutre, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 2004, 348 p.
Le siècle des féminismes ; pref. de Michelle Perrot, Paris, Ed. de l’Atelier, 2003, 463 p.
(Compte-rendu paru dans la Revue historique)
http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/Compte/Genre.htm
Avant le genre, il y eut l’histoire des femmes (herstory aux Etats-Unis) qui commença à s’institutionnaliser en France dans les années 70, grâce à quelques historiennes dont bien sûr Michelle Perrot. Cette histoire s’intéressa d’abord aux territoires du quotidien, aux gestes jusqu’alors obscurs de femmes largement exclues de l’espace public.
Très vite aussi paraissent les premières histoires du féminisme, en lien d’abord avec l’histoire du syndicalisme et du socialisme puis sous la forme de grandes fresques érudites dues à Florence Rochefort et Laurence Klejman, Christine Bard ou Sylvie Chaperon. La problématique du genre ne s’y exprime pas encore, du moins de façon explicite. Le récent ouvrage Le siècle des féminismes qui peut être lu comme un manuel ou comme un digest des travaux existants en témoigne. Au-delà des connaissances qu’il peut contribuer à diffuser plus largement, et de sa très louable volonté de dépasser une lecture exclusivement occidentale du féminisme, il relève bien plus d’une traditionnelle histoire des femmes que d’une analyse en termes de genre. L’article de Steven Hause sur l’histoire internationale du suffrage, par exemple, dont on sait que son auteur fut pionnier en la matière, égrène les luttes et les conquêtes du suffragisme, bien plus qu’il ne fait une lecture sexuée (ou genrée) de l’histoire du suffrage. Steven Hause s’inscrit ainsi bien plus dans une perspective de herstory que de gender story.
C’est dans le monde anglo-saxon que le concept de gender , le sexe socio-culturel, le sexe social défini en
opposition au sexe biologique apparaît pour la première fois, d’abord utilisé par des psychologues dans les années cinquante-soixante puis repris par l’historienne féministe britannique Ann
Oakley, dans un ouvrage paru en 1972 : sex, gender and society. Mais le gender ne devient vraiment un concept familier aux historiens américains que dans les années 80 après la publication du
célèbre article de Joan Scott : Gender : a useful category of historical analysis(1986) .
En France , il faudra encore dix ans pour que soit vaincue la méfiance à l’égard d’un concept considéré comme importé , intraduisible et auquel on a d’abord préféré la notion de rapports de sexes. Depuis, l’usage du concept, c’est-à-dire en fait une relecture sexuée de l’histoire générale s’est , sinon banalisée, du moins étendue .La catégorie du genre est entrée dans les usages de la profession historienne, y devenant un instrument d’analyse au même titre que la classe, et y acquérant une forme de légitimité. Aux Etats-Unis, le genre a fait l’objet de vigoureux débat. Certaines partisanes de la herstory pensait que son utilisation pouvait nuire à leur œuvre de mise en évidence des processus de domination, de réhabilitation du rôle historique des femmes. Le lieu de l’interrogation s’est aussi déplacé vers l’analyse du rapport genre-sexualité , avec la remise en question du caractère « naturel » du sexe biologique, son historicisation. Les plus récents développements sont ceux induits par une pensée queer qui subvertit les identités et joue avec les codes, introduit du « trouble dans le genre » , pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Judith Butler. Certain(e)s aux Etats-Unis reprochent par ailleurs au genre de s’être galvaudé , banalisé et lui conteste désormais tout pouvoir opératoire.
Mais en France, l’utilisation du concept de genre produit encore de beaux fruits: un colloque tenu en 2002 à l’Association française des sciences politiques et publié sous le titre Quand les femmes s’en mêlent : genre et pouvoir en apporte brillamment la preuve argumentée. Il s’agit de présenter, outre deux histoires générales du concept en France (Françoise Thébaud) et aux Etats-Unis (Eric Fassin) les acquis des recherches « genrées » selon trois grands axes : genre et pouvoir, genre et militantisme, genre et politiques publiques. Chaque contribution est en fait une synthèse, le résultat des travaux menés, que ce soit en sociologie du travail où Margaret Maruani met au jour la difficile émergence d’une lecture sexuée dans un monde intellectuel où les pères fondateurs ont totalement ignoré la variable sexe ; en sociologie de l’éducation où Catherine Marry met au cœur de son propos la mixité et son influence sur l’égalité des sexes ; ou en sciences politiques où Françoise Gaspard analyse les travaux sur la citoyenneté. Le livre pourrait aisément s’intituler : Etat des savoirs sur le genre. Il témoigne certes que la notion a acquis une légitimité en sciences sociales mais aussi qu’il est sans doute encore nécessaire de donner à lire, eu égard à sa difficile acclimatation en France, la preuve de son efficacité. L’ouvrage Genre et mutations, quant à lui, issu de plusieurs rencontres scientifiques interroge les mutations et les crises à partir du genre. Au-delà de la richesse de bien des contributions, le propos, toujours clair quand il s’agit des crises du court terme comme les guerres, se noie peut-être un peu dans la longue durée . Mais l’interrogation se révèle finalement pertinente. La conclusion qui s’impose est que le genre n’a vraiment rien d’un invariant. A propos d’un ouvrage qui , pour certaines contributions, explore des périodes de l’histoire bien éloignées du contemporain, on pourrait sans difficulté reprendre les propos de Christian Baudelot : « Et pourtant sur le fond morose et parfois inquiétant du maintien ou de l’accroissement de tous ces régimes d’inégalité, le genre fait bande à part . Il bouge et se trouve animé de mouvements contradictoires : avancées, reculades, transformations…. ». C’est aussi une des conclusions possibles d’un troisième colloque dont le très beau thème renvoie comme un clin d’œil à la première histoire des femmes : celle qui interrogeait les territoires du féminin. Sous la direction de Christine Bard, le genre des territoires s’interroge sur les espaces masculins et féminins , sur ce qu’Erwin Goffman appelle la « co-présence des sexes », qu’il définit comme « un type de relation sociale bien particulière, entre ségragation et indifférenciation, où les femmes et les hommes sont ensemble et séparés ». La mixité est bien sûr au cœur du propos, une mixité qu’il s’agit de penser comme pratique, comme idéal, voir comme utopie. Il s’agit d’affiner une analyse qui ne peut pas simplement être structurée suivant la fameuse dichotomie public/privé, construite au XIXème siècle. Y manque cependant, du fait de l’absence actuelle de recherches, des contributions sur le véritable « apartheid » sexuel dont le monde offre encore malheureusement bien des exemples.
Toujours est-il, et ces trois colloques en sont la preuve éclatante, que le genre s’est révélé un outil efficace , et ce particulièrement pour une profession historienne qui a parfois un certain mal à conceptualiser sa pratique.