Archive de presse 2009 - LE MONDE BOUGE - Neuf kilomètres de rayonnage ! Les archives de la préfecture de police, à Paris, devenues un musée, regorgent d'histoires sordides ou grivoises. Avec des figures du crime aujourd'hui oubliées, comme la fameuse “veuve rouge”, célèbre “connaissance” du président Félix Faure...
Que n'a pas fait la police ! Des procès-verbaux de l'époque de la Révolution, des registres d'écrou des anciennes prisons de Paris, des enquêtes sur la mendicité, les épidémies, la prostitution, les manifestations et, sous la série bien nommée PJ, des dossiers d'assassinats des XIXe et XXe siècles... Sur neuf kilomètres de rayonnage, les archives de la préfecture de police, mitoyennes du musée de la Préfecture, dans le 5e arrondissement de Paris, regorgent de crimes et de mystères. Elles témoignent d'existences ordinaires soudainement interrompues par les crimes les plus sordides, allant du simple fait divers aux attentats politiques ou aux grandes affaires criminelles.
La salle de lecture est petite, fréquentée par des chercheurs de tous âges et de toutes nationalités. Concentrés sur les dossiers qu'ils étudient, ils observent parfois leur vis-à-vis avec des mines de conspirateurs, cherchant discrètement à deviner sur quel sujet il travaille et quels sont les documents qu'il consulte. Le silence qui règne dans la salle est le même que dans toutes les bibliothèques, mais l'atmosphère y est différente en raison de la qualité particulière de la mémoire qu'elle recèle et qui fermente dans les cartons en provenance des sous-sols. Si nombre d'archives ne sont pas librement consultables mais soumises à autorisation, comme certaines concernant l'Occupation, la Libération ou la guerre d'Algérie, la plupart des documents, qui touchent aux époques plus anciennes, sont de véritables mines.
Une plume méticuleuse de la police des mœurs a répertorié,
au début du XXe siècle, les courtisanes, leur adresse,
leur parcours et leurs amants, souvent aussi
leur photographie.
On trouve tout sous la poussière des archives et dans ce musée pas comme les autres. Dans un registre aux coins métalliques, muni d'un fermoir, une plume méticuleuse de la police des mœurs a répertorié, au début du XXe siècle, les courtisanes, leur adresse, leur parcours et leurs amants, souvent aussi leur photographie. Poses et regards défient aujourd'hui encore celui qui consulte le dossier. Ailleurs, il faut sortir d'une chemise en carton des feuilles de papier pelure, doubles de frappe machine où sont consignés des rapports d'inspecteurs, pour deviner, sous le style administratif, l'émotion parfois grande qui a saisi celui qui rend compte. Car la Belle Epoque ne le fut pas toujour s.
Les pièces à conviction liées aux grandes affaires criminelles, exposées dans les vitrines du musée, constituent une véritable collection de tout ce qui tranche, perfore, fracture et tue presque à tous les coups, rassemblée par le commissaire de police Gustave Macé entre 1879 et 1884. Une lame de sabre qui a tué un garçon de recettes de la Société générale en 1878, un couteau catalan de quarante-six centimètres utilisé contre une veuve en 1880, une bague à tête de mort, destructrice pour les mâchoires, signe distinctif des « Apaches », des os de mouton, véritables poignards, utilisés par les garçons bouchers dans les rixes... L'arsenal, sophistiqué ou artisanal, a de quoi impressionner. Certaines armes cumulent les modes opératoires, comme ce coup de poing américain qui fait également office de poignard et de pistolet. Quant à ce treillage en fer, ce n'est pas un croisillon de jardin mais un gilet pare-balles artisanal utilisé par un marlou vers 1900. On ignore s'il mit réellement son utilisateur à l'abri des Browning 7,65 de la police de l'époque.
Défrayant la chronique des journaux, de plus en plus alléchés par le sang dès la fin du XIXe siècle, les crimes répertoriés sont restés dans la mémoire populaire sous des intitulés évocateurs comme celui de La Malle sanglante. Curieuse affaire qui commença par un mystère des plus touffus : le 16 août 1889, on retrouve dans les taillis d'une route qui longe le Rhône, près de la commune de Millery, un corps d'homme en état de décomposition enfermé dans un sac de toile cirée. Rapprochement est fait avec la disparition d'un huissier, signalée le 27 juillet précédent, un certain Toussaint Auguste Gouffé, veuf et père de deux enfants, qui avait, selon l'acte d'accusation dressé plus tard, «de mauvaises mœurs»puisqu'il courait la grisette en fin de semaine.
Certaines femmes, créatures fatales
à la réputation sulfureuse, avaient
bien le don de capter l'attention.
Le docteur Lacassagne (1843-1924), criminologue et expert en médecine légale, identifia le cadavre comme étant celui de l'huissier. Et l'enquête reconstitua peu à peu le déroulement des faits : l'huissier avait été séduit par Gabrielle Bompard, « fille de mœurs dissolues», elle-même maîtresse et complice d'un certain Eyraud, « homme plus que suspect ». Recherché, le couple, qui avait étranglé l'huissier et s'était débarrassé de son cadavre, s'était enfui aux Etats-Unis, en Angleterre, au Canada, quand le coup de théâtre survint : Gabrielle Bompard se rendit à la police, niant toute complicité active dans le crime, affirmant qu'elle n'y avait assisté que sous hypnose. Cette mystérieuse criminelle « à l'étrange absence de sens moral [et au] vaniteux besoin de mise en scène»fascina enquêteurs et jurés, stupéfaits de la voir charger avec autant de désinvolture son ancien complice, qui fut par la suite arrêté à la Havane, extradé, jugé et exécuté en 1891.
Condamnée à vingt ans de travaux forcés, Gabrielle Bompard fut libérée en 1905. Cette affaire fit tellement de bruit qu'elle suscita - déjà - un véritable merchandisingautour du crime avec, par exemple, des reproductions de la malle sanglante en format réduit. L'une d'entre elles repose aujourd'hui sous vitrine au musée.
Certaines femmes, créatures fatales à la réputation sulfureuse, avaient bien le don de capter l'attention. Grâce à elles, le mystère n'a rien perdu de son charme ni le coup de main de son éclat. Ainsi, le crime de l'impasse Ronsin,qui eût pu suggérer un joli titre à Simenon, fit en 1909 la une des grands journaux populaires. L'affaire n'aurait sans doute pas eu un tel retentissement si la femme du peintre assassiné Steinheil, qu'on retrouva ligotée sur les lieux du crime, n'avait été Marguerite Japy, dite Meg, la fameuse « connaissance » de Félix Faure, entre les bras de qui on supposait que le président de la République était passé de plaisir à trépas le 16 février 1899. De là à imaginer que la belle carnassière volait de député en diplomate en échange de commandes de tableaux pour son mari, il n'y avait qu'un pas, que l'on franchit aisément, transformant ce fait divers en affaire d'Etat. Il fallut toute l'imagination des échotiers pour aller jusqu'à supposer que le criminel complice de la belle Meg était son amant, ministre de l'Agriculture en exercice, ou encore que le « Syndicat juif» était derrière toute cette affaire, comme il l'aurait déjà été en inspirant l'assassinat du président Félix Faure, opposé à la révision du procès Dreyfus.
“Des mystères ? Oui, beaucoup sommeillent
encore dans les archives.”
Séduisante, altière, troublante, énigmatique, Meg Steinheil, surnommée «la veuve rouge »,avait tous les appas de la future lady Beltham, femme de Fantômas, dont les aventures feraient frémir la France du président Fallières quelques mois plus tard. L'affaire, qui passionna la France entière, profita en tout cas à celle que l'on appela aussi «la Sarah Bernhardt des assises» car elle devint objet d'adoration pour les « enclitophiles »,c'est-à-dire les amoureux des criminelles, et fut acquittée sous les acclamations. Le Petit Parisienne consacra pas moins d'un tiers de sa pagination à son procès. Et L'Humanité, pourtant rétive aux faits divers, lui consentit également quatre colonnes. Bruno Fuligni, maître d'œuvre du bel ouvrage sur les trésors inédits des archives de la préfecture de police, rappelle, dans l'article qu'il a consacré à cette formidable affaire, que la pulpeuse madame Steinheil, dont on ignore encore si elle était innocente, coula des jours heureux, devenue lady Scarlett Abonger, femme d'un riche Anglais, et mourut en 1954 à l'âge de 85 ans.
Les archives et le musée - qui fêtera ses 100 ans en septembre prochain avec une grande exposition - n'ont pas encore tout révélé. « Je découvre encore dans nos fonds des photos de personnages non identifiés, confie Isabelle Astruc, spécialiste du XIXe siècle et conservatrice du musée de la Préfecture de police. Elles avaient été prises avant Bertillon et j'ignore s'il s'agit d'authentiques criminels ou de simples vagabonds fichés.»Alphonse Bertillon (1853-1914), d'abord obscur employé à la préfecture, après être parvenu à convaincre ses supérieurs, révolutionna l'identification criminelle avec l'anthropométrie et fut à l'origine de l'identité judiciaire et de la police scientifique. «Une des plus grandes joies de ma carrière, ajoute Isabelle Astruc, fut d'ailleurs de trouver en 1986 dans une cave du Palais de justice ce que je pris d'abord pour une machine à coudre et qui était en réalité un petit appareil photo avec son soufflet, signé Bertillon, de 1914, à l'abandon et dans un état lamentable. Alors, des mystères ? Oui, beaucoup sommeillent encore dans les archives : qui était, par exemple, ce fameux Campi, arrêté en août 1883 après avoir, rue du Regard, fracturé le crâne d'une femme et de son frère avec une massette utilisée par les casseurs de pierre ? Il fut condamné et exécuté l'année suivante, mais sans avoir révélé son vrai nom.»
Musée de la préfecture de police |
Le 10 août 2009 à 18h30 |
Crédit photographique - Le pistolet de Paul Gorguloff, ayant servi à l'assassinat du président Paul Doumer en 1932 - Photos : Jérôme Bonnet pour Télérama
A VOIR
Musée de la Préfecture de police, 4, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, situé dans l'hôtel de police du 5e arrondissement.
Tél : 01-44-41-52-50. e-mail : prefpol.archives-et-musée@interieur.gouv.fr
A
LIRE
“Dans les secrets de la police. Quatre siècles d'histoire, de crimes et de faits divers dans les archives de la préfecture de police”, sous la direction de Bruno Fuligni, éd. L'Iconoclaste, 336 p., 69 EUR.
“L'Encre et le Sang. Récits de crimes et société à la Belle Époque”, de Dominique Kalifa, éd. Fayard, 1995, 23 EUR.
“Archives d'anthropologie criminelle de médecine légale et de psychologie normale et pathologique”, publiées sous la direction du docteur Lacassagne, (disponibles en ligne sur www.criminocorpus.cnrs.fr)
“Nouveaux Mystères de Paris”, hors-série du magazine de la préfecture de police, 90 p., 9,50 EUR.
http://www.telerama.fr/monde/bienvenue-dans-une-bibliotheque-sanglante-et-croustillante,45741.php