Document 2002 - Juin 1940 : les Allemands entrent dans Paris.
Immédiatement, ils mettent en place un système de pillage et de répression. Afin de satisfaire les besoins d'" effort de guerre " et mener à bien ces divers objectifs, ils s'assurent du concours
de mercenaires recrutés dans les rangs du grand banditisme. Ce fut le début d'une longue idylle entre la pègre et les autorités d'occupation : trafics, perquisitions, arrestations, exécutions.
Quatre années d'échange de " bons procédés " entre les services allemands (Abwehr et Sipo-SD) et le " milieu " français.
Les nazis donnèrent ainsi aux cercles diffus de la criminalité française les moyens de s'organiser en officines structurées autour de meneurs incontestés, de " parrains " tout puissants. Henri
Chamberlin, dit " Henri Lafont ", chef de la " Gestapo française de la rue Lauriston ", en fut l'une des figures les plus emblématiques. Son service, véritable " mutuelle du crime ", regroupa
plusieurs générations de truands, de la fine fleur des malfrats des années 30 à ceux qui deviendront les caïds des années 60.
Riche de nombreuses archives inédites, et notamment celles de la préfecture de Police, ce document offre un nouvel éclairage sur l'implantation des organes répressifs allemands en France. Un
tableau vivant, riche de nombreux portraits, de la " voyoucratie " parisienne et de son action au service des nazis.
Broché
Paru le : 19/02/2002
Éditeur : Michalon
L'auteur en quelques mots en 2002 ...
Grégory Auda, diplômé d'histoire contemporaine, collabore actuellement au service des archives de la préfecture de Police de Paris.
INTERVIEW
Comment avez-vous découvert l’existence de ce monsieur Joanovici ?
Fabien Nury : Il y a quelques années, quand je travaillais sur Les Brigades du Tigre, j’avais été conduit à m’intéresser à l’histoire du crime organisé en France. Ce qui m’a amené à la « French Connection » et de là, au rôle du crime organisé sous l’Occupation, qui est plus qu’ambigu, notamment dans ses relations avec la gestapo française. Et au milieu de mes documentations sur les gangsters corses, je suis tombé sur ce nom, Joseph Joanovici, qui avait l’air de faire des affaires avec beaucoup d’entre eux. En creusant, j’ai découvert une personnalité incroyable et fascinante, dont l’histoire était bien plus originale, avec beaucoup plus d’émotions possibles, de dilemmes et de paradoxes, qu’avec tous les gangsters auxquels je m’étais précédemment intéressé. Il existe une documentation assez abondante sur Joanovici, et, ce qui est très intéressant, contradictoire.
C’est-à-dire que les historiens ou commentateurs prennent un parti ou l’autre ?
FN : Oui, il y a des œuvres à charge, d’autres à
décharge. Boudard a écrit à décharge [dans L'étrange Monsieur Joseph (Joseph Joanovici), Robert Laffont]. Dans Le Roman vrai de la IIIe et IVe République, ils écrivent à décharge. Certaines sources cherchent à exonérer Joanovici, d’autres voudraient l’enfoncer.
Sylvain Vallée : Il y a aussi quelques bouquins plus neutres, qui cherchent l’objectivité. Le livre de Grégory Auda, notamment [Les belles années du « milieu » 1940-1944 - Le grand banditisme dans la machine répressive allemande en France, Michalon], que d’ailleurs nous avons eu la chance de rencontrer, plus ou moins par hasard.
FN : En faisant le tour de toutes ces sources, je
me suis rendu compte que j’avais envie de toutes les croire, en bien comme en mal. Je crois, et il y a de nombreux témoignages à cet appui, qu’il a sauvé environ 150 personnes des camps de la
mort. Ce qui n’est pas rien. Je crois aussi qu’il a fait tuer des gens, et qu’il a participé directement à un meurtre. Ce qui n’est pas rien non plus.
A-t-il des descendants, qui auraient pu vous donner un retour direct sur votre œuvre ?
FN : Joanovici a eu des filles. Il n’a eu aucun
descendant qui porte son nom. Nous n’avons eu aucun écho, mais de toute façon nous ne sommes pas les premiers à parler de lui. Une grande partie de sa vie fait partie du domaine public. C’est
quelqu’un qui a été très célèbre après-guerre. C’était un peu le Bernard Tapie de la fin des années 1940, mais en bien plus sulfureux ! Un certain nombre de proches de Joanovici a probablement
plutôt eu envie de faire oublier leurs liens avec lui.
SV : Difficile de se réclamer de lui, alors que le
feuilleton Joanovici était constamment dans la presse des années 1950, avec de nouvelles révélations tous les mois. Et puis, nous faisons de la bande dessinée, nous ne révélons rien de
nouveau.
FN : J’ai reçu quelques courriers de gens qui
prétendaient avoir des informations sur Joanovici… mais aucun héritier ne nous a donné son avis sur la façon dont nous traitons de son parent.
Et donc, cette anecdote, sur la rencontre avec Grégory Auda ?
SV : J’étais, avec mon éditeur, à la recherche du
crédit photographique de la photo anthropométrique que nous avons mise en page de titre. Nous sommes donc allés à la source, aux archives de la Préfecture de police de Paris. On se balade avec le
bouquin d’Auda sous le bras, puisque la photo en question apparaît sur la couverture. Et on rencontre quelqu’un qui nous explique que l’auteur de notre livre travaillait là, à la préfecture, dans
le bureau juste à côté ! Nous avons donc eu la possibilité de discuter avec lui, et de fil en aiguille, il nous a rédigé la préface du tome 2.
Comment Sylvain Vallée a-t-il été choisi, pour cette saga ?
FN : Pour un récit comme celui-ci, qui soulève
des thèmes extrêmement graves, il vaut mieux savoir où on va et ne pas naviguer à vue. J’ai donc commencé par rédiger un plan, un traitement d’une cinquantaine de pages, qui m’a permis de définir
que la bande dessinée allait faire environ six tomes. J’ai mis du temps à chercher comment j’allais architecturer le tome 1. A l’époque, Laurent Muller était directeur éditorial chez Glénat
[après quoi il a cofondé les éditions 12 bis, NDLR]. Il a lu le projet et l’a adoré. Nous nous sommes alors mis en quête d’un dessinateur. Sylvain a fait partie des premiers
reçus.
SV : Laurent me connaissait
depuis Gil St-André. Il savait que j’avais envie de changer d’univers, et il m’avait envoyé différents projets, sans que j’ai le déclic. Puis il m’a envoyé
ce scénario, et c’était exactement ce que je recherchais, à la condition de pouvoir y mettre un dessin qui ne soit pas un dessin réaliste comme Fabien et Laurent pouvaient s’y attendre quand ils
m’ont contacté. Je n’avais pas envie de refaire du réalisme d’époque, comme j’avais pu faire sur Gil
St-André, transposé aux années 1940. J’avais envie de revenir à un dessin
plus expressionniste, plus lâché, qui est celui de mes origines.
Celui des affiches éditées au Cycliste ?
Oui, et de mon premier bouquin chez
eux, L’écrin. J’avais
beaucoup appris en faisant du dessin réaliste surGilSt-André, mais
j’avais envie de revenir à quelque chose de plus lâché. Du coup, j’ai montré à Fabien mes recherches et mon book rempli de dessins de style plus caricatural, et nous avons convenu que ce style
pouvait être approprié à son histoire, à condition que la mise en scène, soit elle réaliste.
En même temps, quelle audace ! Raconter l’histoire d’un Juif collabo, c’est déjà un thème un peu ardu. Le traiter dans un style
caricatural, cela paraît une évidence maintenant que c’est sorti, et qu’on peut voir la qualité de la série et ses intentions. Mais pour lancer un projet comme cela, ça n’a pas dû être
simple…
FN : Il faut reconnaître qu’on a fait peur à pas
mal de monde. Et qu’on s’est fait peur aussi.
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