Document Mars 2011 - Ce livre est le récit de mon voyage au pays du pouvoir. Il commence au lendemain de
l'abolition de la peine de mort en octobre 1981 et s'achève à mon départ de la Chancellerie, en février 1986. Il y est beaucoup question de justice, parfois de politique.
Le temps écoulé rend singulières les passions que soulevait alors mon action. Le cardinal Lustiger m'avait prévenu au
lendemain de l'abolition : « On ne touche pas à la mort impunément. »
Ces années de luttes, je les raconte telles que je les ai vécues. Le lecteur ne sera pas surpris d'y trouver, mêlée au récit des événements, l'expression de mes convictions sur ce que devrait
être la justice dans la République.
De tout ce que j'ai pu réaliser à cette époque, l'essentiel demeure : irréversibilité de l'abolition, suppression des juridictions d'exception, dépénalisation de l'homosexualité, progrès des droits des victimes, ouverture aux citoyens de la Cour européenne des droits de l'homme, amélioration du régime des prisons, et bien d'autres mesures encore.
Je n'ai pas non plus dissimulé mes échecs, qu'il s'agisse de la surpopulation carcérale, de la pauvreté budgétaire, ou de convaincre l'opinion que la première mission de la justice est de faire respecter la loi et de garantir les libertés individuelles comme le prescrit la Constitution, et non d'être le pompier de la délinquance, comme on s'obstine à le faire croire.
En achevant cet ouvrage, ma conclusion est simple : « Lecture faite, persiste et signe. »
R.B.
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La revue de presse François Busnel - Lire-L'Express, mars 2011
Avec une remarquable acuité, le promoteur de l'abolition de la peine de mort raconte les quatre ans et demi qu'il passa à la chancellerie, du 23 juin 1981 au 19 février 1986...
Mais Robert Badinter fut, surtout, l'homme par qui les plus importants progrès de la fin du XXe siècle transitèrent en France : abolition de la peine de mort, votée le 30 septembre 1981, quelques semaines après la loi d'amnistie ; dépénalisation de l'homosexualité (Badinter rappelle, en toile de fond, l'emprisonnement, puis la mort, du poète Oscar Wilde) ; suppression des juridictions d'exception ; amélioration du régime des prisons ; ouverture aux citoyens de la Cour européenne des droits de l'homme...
Robert Badinter fend l'armure. Et livre un témoignage saisissant sur l'histoire de notre temps.
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La revue de presse Vincent Giret - Libération du 3 mars 2011
Trente ans plus tard, Robert Badinter livre le récit de son action de ministre dans un ouvrage qui tient autant du journal de bord d'un ministre singulier que d'une magistrale leçon d'action politique en terrain hostile. Pendant quatre ans, ce ministre-là, novice en politique, mal à l'aise dans les rituels restés monarchiques de la République, réforme tous azimuts et essuie en retour l'une des plus longues et des plus violentes charges qu'un homme politique peut endurer...
Peut-on réformer contre l'opinion, braver les sondages, affronter de face le populisme et s'inscrire dans le temps de la grande politique ? Au-delà d'un plaidoyer pro domo, Robert Badinter livre une pièce importante dans un dossier qui tient aussi de la philosophie politique. A l'approche d'une échéance décisive, et pour la gauche en particulier, c'est tout sauf un livre d'histoire.
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Les courts extraits de livres : 24/03/2011
À la Chancellerie - Quelques jours s'étaient écoulés depuis le vote de l'abolition de la peine de mort, le 30 septembre 1981. Comme tous les lundis, à 9 heures, j'avais réuni dans mon bureau les membres du cabinet et les directeurs des services pour préparer les travaux de la semaine.
L'atmosphère y était cordiale, peu hiérarchique, la pointe d'humour bienvenue pour combattre la solennité des lieux. Le bureau du ministre était logé dans ce qui avait été jadis la bibliothèque de la Chancellerie. Les dimensions et le décor étaient excessivement majestueux. Trois portes-fenêtres s'ouvraient sur le jardin à la française où Marie-Antoinette aurait fait, avec le petit dauphin, sa dernière promenade avant d'être enfermée au Temple au lendemain de l'insurrection du 10 août 1792. J'ignore si l'anecdote est vraie. Une certaine mélancolie régnait sur ces plates-bandes ordonnées et ces massifs taillés. J'attribuais au fantôme de la reine cette atmosphère nostalgique qui s'attristait encore à l'automne ou aux jours de pluie. En réalité, la froideur qu'exhalait le jardin venait de l'insertion de ce carré de verdure et de graviers entre les hauts bâtiments voisins qui l'enserraient. Ce jardin ne recouvrait son charme qu'à la fin du printemps, lors de l'éclosion des roses. L'été, lorsque la Chancellerie était désertée par des vacances que je jugeais toujours trop longues, les fenêtres ouvertes laissaient passer les accords très «jazzy» du pianiste du Ritz, notre voisin. Il affectionnait, à l'heure du thé ou de l'apéritif, les mélodies de Gershwin ou de Cole Porter, singulière musique de fond pour l'étude de demandes de grâce ou de libération conditionnelle de grands criminels.
Rien de tel, évidemment, lors des conférences hebdomadaires du lundi matin. À dessein, je ne me tenais pas derrière le bureau ministériel. Nous nous réunissions dans un angle de la vaste pièce, encadré par les hauts panneaux de la bibliothèque. À mi-hauteur, de fins grillages emprisonnaient les recueils des arrêts du parlement de Paris, aux dorures ternies par les siècles. Amateur passionné de documents judiciaires, il m'arrivait, quand j'étais seul, d'ouvrir les panneaux et de parcourir par plaisir ces parchemins dont les plus anciens remontaient au XIVe siècle. Devant ces ouvrages vénérables, nous nous installions en demi-cercle, assis dans des fauteuils Louis XVI dont l'authenticité paraissait douteuse, ornés de tapisseries au point représentant les fables de La Fontaine. Je prenais place, face à eux, dans l'angle d'un canapé raide et inconfortable qui offrait asile aux dossiers posés à côté de moi. Toute solennité était proscrite, comme toute familiarité hors de propos dans ces circonstances. J'avais été frappé d'entendre François Mitterrand, au Conseil des ministres, interpeller deux ministres importants qui, lors d'une discussion, s'étaient appelés par leurs prénoms en usant du tutoiement. «Messieurs, vous n'êtes pas ici au bureau exécutif du Parti socialiste», avait rappelé sèchement le président de la République. Rien d'aussi solennel à la Chancellerie, mais je veillais discrètement à ce qu'une réunion de travail ne dégénérât point en rencontre de copains...
Auteur : Robert Badinter
Date de saisie : 24/03/2011
Genre : Documents Essais d'actualité
Éditeur : Fayard, Paris, France
Collection : Documents
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