Si les chercheurs utilisent de plus en plus régulièrement les documents issus des tribunaux, ils sont, par contre, peu nombreux à connaître les richesses des archives des prisons de la ville de Québec au 19e siècle, pourtant relativement complètes.
L’histoire des prisons de Québec remonte au début de la colonie. Au 17e siècle, elles sont d’abord localisées dans le fort Saint-Louis et dans l’édifice occupé par la Sénéchaussée de Québec à la Haute-Ville. Vers 1690, la brasserie construite dans la Basse-Ville par l’intendant Talon héberge la résidence de l’intendant, le siège des tribunaux de Québec et les prisons. Incendiés en 1713, ces bâtiments sont reconstruits à partir de 1716 et comprennent alors les appartements et la cave du geôlier, un cabinet pour interroger les prisonniers, la prison civile et plusieurs cachots voûtés. Des vestiges de ces derniers se trouvent encore aujourd’hui en dessous de la maison Fraser située sur la rue Saint-Nicolas. À partir de 1745, la Redoute royale, récemment terminée, sert de prison militaire et accueille des prisonniers de guerre.
Durant le Régime anglais, différents bâtiments sont utilisés jusqu’à l’inauguration en 1814 de la prison située sur la rue Saint-Stanislas (Chaussée-des-Écossais). Pendant un demi-siècle, elle accueillera plusieurs dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Inaugurée en 1867, une nouvelle prison, située sur le site actuel des Plaines d’Abraham remplacera cet édifice qui deviendra par la suite le Morrin College et est aujourd’hui occupé par la Literary and Historical Society of Quebec. Désaffectée en 1970, la Prison des Plaines est remplacée par le Centre de détention de Québec à Orsainville. Par ailleurs, de 1932 à 1979, la maison Gomin sert de prison des femmes.
La vie dans les cachots des prisons de Québec est extrêmement difficile. Que ce soit au 17e siècle ou durant les siècles qui suivent, des témoignages signalent régulièrement leur insalubrité, surtout en hiver où le froid et l’humidité rendent les séjours en ces lieux particulièrement pénibles. Des prisonniers tombent malades, subissent des engelures et même meurent des suites des mauvaises conditions de détention. Ainsi, en 1686, le gouverneur Denonville informe le ministre de la Marine « qu’en hyver les prisonniers sont gellez et qu’il s’en est trouvé à qui il a falu couper les pieds pour cela ».
Au 19e siècle, la situation reste tout aussi pénible. En mai 1814, le Grand Jury trouve la prison dans un état acceptable mais remarque que certaines pièces sont surpeuplées par des prisonniers de toute provenance. Vagabonds, aliénés et félons vivent ensemble dans un état de promiscuité rendant impossible la conservation d’un état de propreté suffisant pour protéger la santé des prisonniers. Plusieurs d’entre eux sont malades et, faute de ressources financières suffisantes, ils ne reçoivent pas de soins médicaux. Dans la partie de la prison servant de maison de correction, le Grand Jury a trouvé une douzaine de femmes enfermées dans une seule pièce, la plupart dans un état de déchéance abject, sales et presque nues, et plusieurs souffrant de maladie. Ces dénonciations seront régulièrement reprises par la suite.
Lors de la désaffection de la Prison des Plaines, les archives des prisons de Québec sont transférées au Centre d’archives de Québec des Archives nationales du Québec, aujourd’hui Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Cet ensemble documentaire compte plus de 400 boîtes et registres (E17, contenants 1960-01-036/1565 à 1981) et couvre la période allant de 1813 à 1972. Pour le 19e siècle, on retrouve, en particulier, des renseignements touchant les soins médicaux (1861-1904), les réquisitions de produits divers (1847-1901), les vêtements et la literie (1837-1871), la nourriture (approvisionnement et distribution,1829-1956), les décès (1841-1916), les prisonniers et prisonnières condamnés aux travaux forcés (1860-1863), les punitions et les évasions (1850-1892), le contrôle quotidien des activités des prisonniers et prisonnières (1850-1861, 1874-1876, 1901), les prisonniers reçus à la prison sous ordres verbaux seulement (1897-1920), les prisonniers et prisonnières emprisonnés en vertu de mandats (1842-1872), les mandats du Gouverneur (transfert de prisonniers à l'asile, emprisonnement temporaire, etc., 1854-1877), les mandats d'arrestation et d'emprisonnement (1822-1948), des coupures de journaux relatives à des procès et autres affaires judiciaires (1864-1916), les relevés des emprisonnements pour délits (1855-1860), des listes de condamnations (1819-1880) et plusieurs registres de comptabilité.
Toutefois, la série documentaire la plus intéressante demeure sans conteste les registres d'écrou, c’est-à-dire la liste des prisonniers admis à la prison et qui sont complets pour la période de 1813 à 1965. Ils indiquent le numéro du prisonnier, sa nationalité, l'offense commise, la date et la durée de l'emprisonnement ainsi que le nom de la personne qui l'a ordonné, la date de sa libération et l'autorité qui l'a ordonnée. De plus, l’âge et la description physique du détenu sont souvent mentionnés. A partir de 1848, les registres fournissent également des renseignements sur l'occupation, l'état civil, le niveau d'instruction, les habitudes morales (sobriété, ivrognerie).
Les motifs menant à l’incarcération sont multiples. Les petits vols abondent et méritent généralement une peine d’environ six mois d’incarcération, en plus du fouet sur la place du marché. Les désertions d’apprentis, de serviteurs, mais surtout de marins, apparaissent en grand nombre, au même titre que les insubordinations de matelots envers leur capitaine. Pour ce délit, la peine est normalement d’une vingtaine de jours de prison, mais plusieurs matelots déserteurs sont libérés après requête de leur capitaine. Les voies de fait et coups apparaissent régulièrement à travers les registres, comme d’ailleurs les cas de femmes battues par leur époux. Dans ce dernier cas, l’incarcération est souvent de courte durée et le prévenu est habituellement libéré sous caution. L’emprisonnement pour dettes est également courant à l’époque.
Les condamnations à la déportation, au pilori, au fouet, aux travaux forcés, à la maison de correction et à
la pendaison se retrouvent ici et là parmi les registres d’écrou. Ici, la sévérité des peines retient l’attention : trois mois de prison pour un serviteur ayant fait trop de bruit dans la maison
de son maître; pour avoir volé une paire de souliers, un prévenu fut condamné à recevoir 39 coups de fouet et à six mois de détention en maison de correction. En 1815, Antoine Marcoux est
condamné à être pendu pour le vol d’une vache! Les condamnations à mort sont fréquentes, mais il faut souligner que l’obtention d’un pardon ou d’une commutation de peine est régulière. Ce fut le
cas d’Antoine Marcoux qui bénéficia de la clémence du gouverneur et fut par la suite déporté en dehors de la province.
Derrière la criminalité, grande et petite, c’est toute la misère de cette époque qui ressort et qui se devine à la lecture des archives de la prison. Si toutes les couches de la population sont
représentées, les plus démunis sont les plus touchés. Les cas de récidive sont nombreux. Pour les années 1850 à 1899, Sœur Josette Poulin a relevé 15 332 admissions de femmes, mais note que 3 175
personnes différentes seulement sont concernées. C’est dire l’ampleur du phénomène.
En vertu des dispositions de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, la consultation des registres d’écrou est soumise à la règle de 100 ans puisqu’ils contiennent des informations nominatives et sont considérés comme des documents administratifs. Pour la période antérieure à 1906, les documents sont donc entièrement ouverts au public.
Enfin, signalons que les documents relatifs aux poursuites judiciaires reliées à l’incarcération sont conservés pour une part par les Archives de la ville de Québec (Cour du Recorder), mais surtout par Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Le chercheur devra se rendre sur place pour effectuer ses recherches. Les cédéroms Thémis 2, produits par la Société de recherche historique Archiv-Histo, décrivent à la pièce les dossiers de la Cour des sessions générales de la paix du district de Québec (TL31,S1,SS1) jusqu’au début du 20e siècle. Avec les documents du fonds de la Cour du banc du roi pour le district de Québec (TL18) et du fonds Cour du banc du roi, Greffe de Québec (TP9,S1), cet ensemble documentaire forme l’essentiel des archives judiciaires criminelles du 19e siècle disponibles au Centre d’archives de Québec.
Rénald Lessard en collaboration avec Vincent Du Sablon
http://www.banq.qc.ca/collections/genealogie/inst_recherche_ligne/instr_prisons/prison/