Document 2002 - L'histoire des combattants de la Grande Guerre ne doit pas négliger les écrits laissés
par les acteurs qui, aux qualités d'observation, ajoutent une forte capacité de réflexion.
Dirons-nous encore que le simple soldat ne sait voir la guerre qu'au ras de la tranchée après cette phrase de Louis Chaléat, dès novembre 1914 : " Ce sera, je crois, le plus qui pourra résister
en vivres qui aura la victoire " ? L'équipe qui a réalisé ce livre a atteint l'objectif de rassembler en abondance des textes inédits. Il a même été nécessaire d'opérer des choix, en respectant
l'esprit et le ton de chaque témoignage.
Les pensées profondes des combattants sont souvent inexprimées par écrit pour ne pas accroître l'angoisse des familles ou pour échapper à la censure du courrier. Entre hommes, on peut évoquer la
souffrance et l'horreur. Mais, précise Victorin Fournet à son beau-frère : " Tâche de ne pas l'écrire [à la maison] : il s'en ferait trop de mauvais sang. Il vaut mieux que tu gardes tout pour
toi ".
Cependant, l'émotion brise parfois les barrages : " Ceux qui ont été tués au début ont eu rudement de la chance car ils n'ont pas eu la souffrance que nous avons eue ".
Le discours caché vient au jour dans les carnets personnels. Mais le lecteur attentif en découvrira des traces dans les lettres. Des aspirations à la révolte, quelques descriptions de mouvements
de refus y figurent aussi. Une première lecture pourrait être drômoise. Les documents fourmillent de renseignements sur la vie locale, les combattants aiment retrouver les amis " du pays ", avec
eux " causer un peu l'argot du pays ".
On échange les nouvelles des gens " du pays ". Une deuxième lecture peut privilégier l'émotion avec, toujours, le poids de la séparation, de l'incertitude et de l'angoisse, et, parfois, au bout
la mort ou l'amputation. La guerre introduit une violence inhabituelle. Les normes sont bouleversées. On tue et on se fait tuer. Enfin, la lecture atteint un autre niveau quand on a le souci de
situer les témoignages dans le contexte et l'évolution chronologique, dans leurs convergences et leurs contradictions.
Les situations sont diverses, les hommes évoluent. En mars 1915, Gabriel Thivolle Cazat exprime sa confiance en la victoire ; en novembre, il note : " Que ça finisse donc comme ça voudra, mais
que l'on rentre chez soi ". " Et personne ne dit rien : ça vous révolte. Mais que puis je faire moi seule ? ", se demande la femme de Louis Magnan. Il ne reste à son mari qu'à continuer à
souffrir. " Puisque je suis mouton comme les autres ", ajoute-t-il, désespéré.
(D'après la préface de Rémy Cazals, professeur d'histoire contemporaine à l'Université
Toulouse-Mirail)