Marion Sigaut, écrivain et historienne, passionnée par le XVIIIe siècle, ou siècle
des Lumières, a déjà à son actif une belle étude historique : La Marche rouge, Les Enfants de l'Hôpital
général. Elle nous offre ici un superbe récit romanesque autour de l'attentat de Damiens.
Le livre se présente comme les mémoires apocryphes d'un magistrat ayant eu à juger François Damiens, un beau et ombrageux domestique d'une quarantaine d'années qui blessa d'un coup de canif le roi Louis XV un soir de janvier 1757.
Bien que la blessure fut bénigne, le meurtrier fut soumis à une peine d'une extrême dureté. Les magistrats en charge des interrogatoires et du procès outrepassèrent la volonté du roi en le torturant de toutes les façons possibles et en l'écartelant le 28 mars 1757, comme Ravaillac un siècle et demi plus tôt. Faute d'expérience, ils fouillèrent dans les archives pour reconstituer ces pratiques d'un autre âge.
L'outrance de sa peine révulsa une opinion publique pourtant habituée à bien des horreurs. Elle a intrigué aussi Marion Sigaut qui a cherché dans les documents de l'époque les motivations cachées des magistrats.
Une fenêtre sur le siècle des Lumières
C'est ainsi que, faisant parler le prince Emmanuel de Croÿe, l'un des principaux enquêteurs, l'historienne revient sur les aspects sombres d'un siècle des Lumières qui commence avec le Régent et les spéculations de John Law.
Elle évoque aussi bien les turpitudes du prince de Conti, le «Singe vert», que les manigances des parlementaires, soucieux de leurs privilèges et de leur pouvoir, et les petites lâchetés des intellectuels de l'époque, tel Voltaire... Elle développe surtout la thèse d'un complot contre la monarchie que Damiens, domestique chez différents magistrats, aurait tenté à sa manière de mettre à jour.
Le livre, écrit à la première personne, est accessible à tous les publics et ne nécessite aucune connaissance préalable pour aborder l'époque, son atmosphère et sa maîtrise du beau langage.
La performance de Marion Sigaut rappelle celle d'une autre mémorialiste, Françoise Chandernagor, auteur de L'Allée du roi (1981), mémoires apocryphes de Mme de Maintenon. On lui souhaite le même succès auprès du public.
Fabienne Manière
http://www.herodote.net/articles/article.php?ID=1119
À
condition d'être correctement vêtu, rien n'est plus facile que de s'introduire au château de Versailles. Ce 5 janvier 1757, un fruste domestique, Robert François Damiens, en fait l'expérience,
s'y promenant toute la journée. À 6 heures du soir, malgré le froid, le roi Louis XV doit sortir. Il porte une veste, un habit de velours et une redingote doublée de fourrure. Au moment où il
s'apprête à monter en carrosse, Damiens sort un canif et frappe. Le souverain palpe sa chemise, en retire sa main ensanglantée. « Je suis blessé, dit-il, c'est cet homme ! Qu'on le garde, qu'on
ne le tue pas ! » On immobilise le coupable, on le fouille, l'interroge, le torture. Le 18 janvier, on le conduit à la Conciergerie.
Fils d'un fermier de l'Artois, il a été laquais chez les jésuites, chez plusieurs seigneurs et conseillers du Parlement, est devenu garçon de librairie, avant de filer avec la caisse. Il a 42 ans, a abandonné femme et enfant. « Robert le Diable », comme on le nommait dans sa jeunesse, un pauvre diable en vérité. Les querelles du Parlement et du clergé, les mauvais propos entendus de magistrats, les pamphlets, les chansons ordurières ont troublé sa pauvre cervelle. Il a voulu donner un avertissement au roi, le rappeler à ses devoirs.
La blessure, portée au côté droit, est insignifiante. Louis, bon par nature, est enclin à la clémence. Une peine symbolique doit suffire. Mais l'émotion est considérable et le Parlement fait du zèle pour montrer sa loyauté. Le 26 mars, il condamne le régicide - car toute atteinte à la personne royale relève du crime de lèse-majesté - à être écartelé, comme Ravaillac. Le 28, en place de Grève, la foule est immense. On lui brûle la main droite. On tenaille son buste. On lui verse du plomb fondu, de l'huile bouillante et de la résine. Les quatre chevaux s'essoufflant, le bourreau doit donner « un coup de tranchoir aux jointures ». Au bout de plusieurs heures et l'arrachement de trois de ses membres, Damiens expire enfin. Quand on lui a détaillé le supplice à endurer, il a simplement soupiré : « La journée sera rude ! » HISTORIA
Jean-Christian PETITFILS, historien
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