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http://a6.idata.over-blog.com/299x239/0/51/33/86/fort.jpgProfession : profileuse. Des scènes de crime aux fameux « cold cases », ces trentenaires sont sollicitées en toute discrétion. Leur unité, unique en son genre en France, travaille sur l'analyse comportementale. Rencontre inédite avec cette bande des quatre au QG des experts de la gendarmerie


Les « drôles de dames » sont sorties de l'ombre. Après la découverte des corps de Thérèse et de Jacques Prévost, ce couple de septuagénaires à la retraite, sauvagement tués le 25 janvier dernier de 87 coups de couteau dans leur pavillon de Pont-Sainte-Maxence (Oise), la procureure de Senlis a annoncé avoir sollicité le Département des Sciences comportementales (DSC) de la gendarmerie. En son sein : quatre « profileuses » habituellement appelées en toute discrétion pour aider à la résolution des crimes « extraordinaires ». Elles sont les seuls experts officiels de ce type en France. Leur mission : dresser le portrait psychologique des violeurs et des meurtriers, détecter les crimes en série et reprendre sous un nouveau jour les affaires non résolues - les fameux « cold cases » remontant parfois à vingt ou trente années. «Face à la complexité de la scène du crime et à la violence des coups portés [la retraitée aurait en outre subi un début de décapitation, NDLR], leurs compétences m'ont semblé intéressantes pour aider les enquêteurs à orienter leurs recherches », justifie la magistrate Chantal Berger. « Un vrai plus », reconnaît l'adjudant Philippe Caron, qui dirige l'enquête localement.


Les filles du DSC, créé voilà sept ans, n'ont aura. « Surtout qu'en tant que jeunes femmes [33 ans chacune, 29 pour «la petite dernière»] on cumulait les handicaps ! Au début, il y avait des doutes, des réticences. On nous appelait les «Madame Soleil» !», raconte le capitaine Marie-Laure Brunel-Dupin, qui fut la première analyste comportementale de l'unité, ainsi que sa conceptrice (lire encadré). Plus de cinq années « expérimentales » auront même été nécessaires pour que leur travail apparaisse dans les procédures. «Depuis 2006, c'est obligatoire. Maintenant, on nous connaît mieux et, à part quelques récalcitrants, les enquêteurs n'hésitent plus à demander notre intervention sur les dossiers difficiles. » L'équipe fonctionne même à flux tendu, avec 54 affaires traitées en 2008 et 32 en 2009 !


C'est derrière les murs épais du Fort de Rosny-sous-Bois, le QG des experts de la gendarmerie, qu'elles ont leur repaire. Quelques ordinateurs, un lampadaire en papier japonais et une bibliothèque remplie de livres de criminologie aux titres aussi évocateurs que « la Mort en direct. Snuff Movies » ou « Criminal Shadows, dans la tête d'un serial killer ». Malgré les huit affaires qu'elles ont sur les bras ce jour, les lieux sont étonnamment paisibles, ordonnés. « C'est indispensable pour notre concentration», commente Marie-Laure, devant ses dossiers alignés. « Mais je ne suis pas la plus Bree Van De Kamp de toutes ! », ironise-t-elle, faisant allusion à l'obsessionnelle maîtresse de maison de la série « Desperate housewives ». Aussitôt, les regards se tournent vers Elen, la rousse du service, «pointilleuse et faussement distante », ainsi qu'elle se décrit elle-même. «Attachante en vrai», tranche Stéphanie, la plus blagueuse, avec la jeune Audrey, surnommée « la psy » à cause de son cursus initial en psychologie, tandis que les trois autres ont derrière elles cinq ans de droit pénal, complétés par des spécialisations en psychiatrie, criminologie et victimologie... Contractuelles de la gendarmerie, elles continuent du reste à faire de la recherche, ainsi que des formations universitaires. Elen, par exemple, prépare actuellement un diplôme sur les troubles de la sexualité. Aucune, à vrai dire, n'avait au départ imaginé passer directement des amphis à la vie de caserne. Mobilisables à tout instant, elles vivent désormais au sein du Fort, avec compagnons et enfants. C'est comme cela que le soir de son anniversaire, en 2003, Marie-Laure a dû abandonner ses convives au moment de sabrer le champagne pour prendre la route du Grand-Bornand, où la famille Flactif venait d'être retrouvée entièrement massacrée. Elle est rentrée quatre jours plus tard du « chalet de l'horreur »

Le plus souvent, elles partent à deux sur le terrain, afin de confronter leurs perceptions, et sont systématiquement accompagnées de l'un des trois « référents police judiciaire » du département. Des officiers chevronnés qui leur servent de « passerelles » avec les enquêteurs. « Sur place, nous ne disons jamais rien, précise le lieutenant Stéphanie Le Maout On s'imprègne des lieux, on photographie, on filme, et on note tout ce qui peut nous servir. » De retour à Rosny, l'analyse du profil peut commencer.

Cluedo mental

Comme dans une sorte de Cluedo mental, elles se remémorent la scène du crime, se glissent dans la peau du tueur, marchent dans ses pas, cherchent à comprendre ses émotions, ses raisonnements... Pendant ce temps, installés dans un bureau vitré de l'autre côté du couloir, les référents PJ se chargent de recueillir tous les éléments du dossier (rapports d'experts scientifiques, PV d'auditions...), puis leur transmettent les informations expurgées de tout ce qui pourrait influencer leur travail. « Les hypothèses des gendarmes et la liste des suspects ne leur sont communiquées qu'une fois leur rapport rendu», confirme le capitaine Marc Mazert.

« Ni flashs ni visions ! »

En mai 2006, au lendemain d'une fête de village à Moulins-Engilbert, dans la Nièvre, le corps de Mathias, 4 ans, est retrouvé assassiné et violé, nu sous un amas de terre. En moins de 48 heures, les psychocriminologues délivrent un profil partiel. La prise de risque élevée - une réunion publique - ainsi que le meurtre visiblement improvisé les conduisent sur la piste d'un récidiviste en matière d'agressions sexuelles sur mineurs, qui aurait pris peur d'être dénoncé par sa victime. Le contexte géographique leur indique qu'il s'agit probablement d'un habitant du village. Pour accéder à la scène, il fallait en effet pouvoir franchir dans le noir une passerelle au-dessus d'une rivière... Enfin, la façon dont le corps est abandonné, sans soin particulier, semble indiquer qu'il connaissait mal le garçonnet. «Le recouvrement du visage avec un linge, par exemple, aurait au contraire pu signifier une volonté de rendre une apparence supportable à sa victime, et par incidence un lien de connaissance plus profond», schématise Marie-Laure. Grâce à leurs indications, les enquêteurs cernent vite le coupable et confirmeront entièrement le scénario proposé. « Ils auraient probablement abouti aux mêmes résultats, nuance la jeune femme. Mais nous leur avons fait gagner du temps. »

Plongé dans leur univers, on songe à Jodie Foster en Clarice Starling dans « le Silence des agneaux » ou aux héros des séries policières de nos petits écrans. La comparaison leur arrache un soupir navré. «On a pâti des clichés que ces fictions véhiculent, déplore Stéphanie. Nous n'avons rien à voir avec ces personnages qui débarquent sur une scène de crime et qui résolvent une affaire juste en regardant un suspect dans le blanc des yeux. Nous n'avons ni flashs ni visions ! Nos méthodes sont purement objectives, et l'intuition n'y a guère sa place. » Pour le «profilage», «la mission la plus motivante intellectuellement », selon le lieutenant Elen Vuidard, « celle qui nous met véritablement face au crime »,« Cela nous permet d'être sûres de ne rien oublier et de structurer notre analyse intellectuelle. Si, à la fin, nos conclusions diffèrent, on peut ainsi remonter facilement dans le processus pour voir où nous avons divergé. » elles suivent un protocole scientifique rigoureux, qui place aujourd'hui la France à l'avant-garde de la recherche comportementale. Élaboré sur mesure avec des scientifiques de différents pays, il contient pas moins de 180 items sous forme de questionnaires et de tableaux à remplir.

Mode de vie de la victime, niveau de violence de l'agression, technique, aspect émotionnel ou sexuel du crime, circonstances géographiques voire météorologiques... , tout est passé au crible. « Un travail de bénédictin », résume le capitaine Pierre Chaignon, chef du département. « Un simple mégot abandonné sur une scène du crime peut avoir une signification comportementale », explique Marie-Laure. Une cigarette, brutalement jetée au sol, laissera plutôt supposer que le criminel était stressé, et qu'il a bondi sur sa victime pour assouvir une pulsion. Un amas de mégots en revanche pourra vouloir dire qu'il « profitait » patiemment de son crime. «Mis en faisceau avec d'autres facteurs, cela nous conduira à chercher en priorité une personne avec un passé pénal. »

« Évacuer les horreurs »

Cependant, il arrive aussi qu'une scène de crime soit volontairement «polluée». «Malheureusement, les criminels s'inspirent de plus en plus souvent des fictions qu'ils voient à la télé», constatent-elles. Comme ce concierge d'immeuble qui avait violé une locataire et avait introduit dans son vagin du sperme récupéré dans des préservatifs volés dans les poubelles d'une autre voisine. «Je l'avais vu faire la veille dans un épisode de NCIS», déclarera-t-il lors de sa garde à vue ! Des aveux qu'elles ont contribué à obtenir. Les analystes ont, en effet, l'occasion d'intervenir lors des auditions de suspects pour assister les enquêteurs. A distance, via ordinateur, elles leur indiquent les questions ou les comportements adaptés face aux réactions du suspect. Elles scrutent les mouvements du corps, les modulations de la voix, les attitudes de repli éventuellement liées à un traumatisme passé qu'il faudra creuser. Dans le cas du concierge violeur, c'est son agitation à l'évocation de sa mère qui les aiguillera. Celle-ci se révélera avoir eu un passé de prostituée et l'avoir abandonné enfant, avant de resurgir récemment dans sa vie...

Le café est froid, le mess du Fort de Rosny a fermé. Bientôt quatre heures que les profileuses parlent avec passion. Des discussions qu'elles tiennent rarement avec leurs proches ou les étrangers, mais très souvent entre elles «pour évacuer et digérer les horreurs ». Régulièrement, elles sont aussi « débriefées » par des psychologues. Avant de les quitter, on insiste tout de même : pas la moindre petite série télé qui trouverait grâce à leurs yeux ? «On craque toutes un peu sur le beau «Mentalist», concèdent-elles. Mais c'est sans doute «Esprits criminels», à cause du travail d'équipe, qui se rapproche le plus de notre réalité. Sauf qu'au lieu du Falcon, nous, on a une Mégane ! » Eh oui, la gendarmerie reste la gendarmerie...

Les Drôles de Dames du Fort de Rosny

Marie Lemonnier

Le Nouvel Observateur Nº2368

SEMAINE DU JEUDI 25 Mars 2010

http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2368/articles/a421943-.html



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